Pierre de Ronsard, ou la naissance de la poésie amoureuse

Biographie de Pierre de Ronsard (1524-1585)

Poète certainement le plus emblématique et populaire de la renaissance, Pierre de Ronsard naît le 10 septembre 1524 au Château de la Possonnière  près du village de Couture-sur-Loir dans le  Comté de Vendôme. Né de famille aristocratique parent de Bayard et même de la reine Elisabeth d’Angleterre, il est le fils cadet de Louis de Ronsard et de Jeannez Chaudrier. Hevalier, son père combattit sous Louis XII et François 1er et joua le rôle de maître d’hôtel des enfants de François Ier lors de leur captivité en Espagne.

Passionné de l’Italie de la renaissance, son père l’élève dans l’engouement pour les arts et les lettres. Pierre rentre au collège de Navarre à Paris en 1533 qu’il quitte semble t-il à cause de ses maîtres qui le terrifient. Ses résultats sont bien en de ça de ses facultés.

A douze ans il rentre au service de la cour de France en tant que page, ce qui lui permet de voyager beaucoup. Il fait la rencontre de poètes, des clercs, d’humanistes …avec qui il apprend beaucoup.

Très doué pour l’escrime, l’équitation et les exercices physiques, il se prédestine à une carrière militaire et diplomatique. Il renonce malgré lui car des otites à répétitions le rendent quasiment sourd. Il se découvre un don pour la poésie en lisant plusieurs œuvres notamment de l’antiquité dont Virgile et Horace. Il s’exerce en latin puis se met à les imiter en français sans avoir fait d’études littéraires. Au collège de Coqueret à paris où il rentre il rencontre des écrivains avec qui il apprend. Il est particulièrement influencé par Jean Dorat son maître helléniste.

En 1544 Ronsard s’installe à Paris et s’inscrit à l’université. Il forme avec Joachim Bellay qu’il vient de rencontrer, et quelques poètes la Pléiade. Ce groupe se donne pour mission de protéger la langue française, de l’enrichir et de créer une véritable littérature française inspirée des auteurs latins et grecs. Il se rend en 1545 à Poitiers foyer intellectuel par excellence pour rejoindre son cousin le cardinal Jean de Bellay. Il entame des études de droit et sous l’influence de Marot il s’amuse à versifier. Sous celle de Peletier il imite tout aussi bien les poètes de l’antiquité que ceux de la Renaissance italienne.

Son talent s’affirme, Henri II, François 1er, Charles IX, Marguerite de France (la sœur du roi et de Charles IX)… tombent sous son charme. Celui qui lui confère des traitements privilégiés. En 1558 Pierre de Ronsard est nommé Poète officiel de la cour, conseiller et aumônier ordinaire du roi Henri II. Cette consécration est considérée comme une reconnaissance de son génie, le « prince des poètes »

Avec la mort d’Henri II, il perd sa place dans la cour, et devient chanoine et archidiacre (1560). Il profite de cette situation pour réunir et publier en quatre volumes l’ensemble de ses œuvres. Il s‘engage de plus en plus dans le domaine politique, et se met du côté des catholiques. Il est de nouveau rappelé à la Cour pour être Poète officiel de Charles IX. C’est là que son rôle politique s’affirme avec des écrits engagés tels « Discours sur les misères de ce temps », « Remontrance au peuple de France », ou encore « Réponses aux injures et calomnies des ministres de Genève » (1563) dans lequel il se prononce pour le catholicisme.

Il quitte de nouveau la Cour et se réfugie dans ses prieurés de Vendée et de Touraine pour se consacrer dans la solitude à l’édition de ses œuvres complètes. Il s’installe ensuite à Saint-Cosme-en-l’Isle, près de Tours, dans le prieuré dont il deviendra le prieur en 1585. Considéré comme un grand poète de l’amour, il reçoit notamment la visite de Catherine de Médicis et de son fils, le roi Charles IX avec qui il se réconcilie. La reine l’invite à consoler Hélène de Surgères, sa fille d’honneur qui vient de perdre son amoureux au combat. Il écrit pour elle « Sonnets pour Hélène » et en tombe follement amoureux malgré son âge. Il lui écrit même « Vivez si m’en croyez ! N’attendez à demain ! Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ! » . Mais il n’obtiendra jamais d’elle  plus que « Je vous aime, poète ! » Elle décède peu après de chagrin sans doute, et pucelle semble t-il.

Il décède dans la nuit du 27 au 28 décembre 1585 dans sa demeure de Saint-Cosme torturé par la goutte et les insomnies. Il est alors enterré dans la crypte de l’église du prieuré de Saint-Cosme, qui est resté longtemps en en ruine. Après sa réhabilitation, le site a été ouvert en 1951 au public. Fermé de nouveau pour restauration, il sera accessible au public en janvier 2015. Deux mois après sa mort il reçoit un hommage officiel au collège de Boncourt, où ses funérailles solennelles sont célébrées à Paris le 25 février 1586, date anniversaire de la bataille de Pavie. Toute la cour s’y presse.

Œuvre de Ronsard

La carrière poétique de Pierre de Ronsard va de 1550 à 1585, trente ans pour nous offrir une œuvre vaste et variée. Maître de la poésie lyrique qui fait de lui un poète de l’amour et de la nature, elle est tout aussi qu’engagée et officielle. Humaniste avant tout, il renoue avec Homère, Horace ou encore Virgile pour s’inspirer de la poésie de l’antiquité. Comblé de biens et d’honneurs,  il met son talent au service de la royauté.

Le conflit religieux qui se transforme en guerre civile qui dévaste le pays ne le laisse pas indifférent. Il manifeste sa profonde amertume, et choisit de défendre la foi des ancêtres en s’en prenant violemment par la plume aux protestants.

Une partie de son œuvre restent donc militante, animé qu’il est par sa foi catholique pour la défense de la paix. Certains écrits sont tellement violents qu’ils sont pathétiques. En tant que poète officiel, il participe par sa poésie à pacifier les esprits lors des voyages du roi et de la reine dans les provinces françaises. La Franciade écrit à la gloire de la France illustre bien son patriotisme et son statut de poète national.

Œuvres de Pierre de Ronsard

La vie et les œuvres lyriques de Ronsard ont été fortement influencés par quelques femmes, dont il était amoureux et pour lesquelles il avait de l’admiration. A la jeune Cassandre, puis Marie et enfin Hélène ses inspiratrices, il a offert des sonnets amoureux pour chanter sa passion et l’amour qui lui ont valu le titre de poète amoureux. Pour le prestige il s’est ensuite intéressé à d’autres genres poétiques, celui qui porte sur les hymnes et l’épopée. Entre les deux et en tant que poète officiel, il compose des discours sur la situation du pays. Son œuvre peut-être classée selon quatre catégories :

Les Odes (1550-1552) : Ronsard tente de revenir au lyrisme antique, avec des inspirations multiples.

Les Amours (De 1552 1578) : sont des poèmes d’inspiration personnelle

Les Hymnes (1555 – 1556) : le ton est épique

Les Discours (1562 – 1563) : Ronsard utilise la satire et apparaît éloquent dans le parti prit pour la foi catholique et Charles IX.

La Franciade (1572) : poème épique composé à la demande de Charles IX à la gloire de la France, mais qu’il n’achève pas, découragé par la situation qui prévaut notamment la guerre civile. Il met en scène Francus (Francien) fils d’Hector présenté comme le fondateur de la nation française.  

Poèmes posthumes (1586) : Juste après sa mort, les amis de Ronsard publient quelques poèmes de la fin de sa vie. Ceux sont des sonnets qui racontent sa souffrance physique, alors que la mort se profile à l’horizon (Je n’ai plus que les os ou Ah! longues nuits d’hivers…).

Quelques œuvres et extraits de Ronsard

Les Odes

ou Les Odes de Ronsard (1549 à 1552)   

En introduisant l’Ode dans la poésie française, Ronsard tente de revenir au lyrisme antique avec des inspirations plus en vogue et plus variées. C’est une véritable révolution lyrique qui déclenche même une polémique. Les Odes sont le fruits de l’enseignement qu’il a reçu de Dorat au collège de Coqueret et de son admiration aux poètes de l’Antiquité notammlent le Grec Pindare. Ces odes lui valent les faveurs d’Henri II.

A la forêt de gastine

Couché sous tes ombrages vers
Gastine, je te chante
Autant que les Grecs par leurs vers
La forest d’Erymanthe.
Car malin, celer je ne puis
A la race future
De combien obligé je suis
A ta belle verdure :
Toy, qui sous l’abry de tes bois
Ravy d’esprit m’amuses,
Toy, qui fais qu’à toutes les fois
Me respondent les Muses :
Toy, par qui de ce meschant soin
Tout franc je me délivre.
Lors qu’en toy je me pers bien loin.
Parlant avec un livre.
Tes bocages soient tousjours pleins
D’amoureuses brigades,
De Satyres et de Sylvains,
La crainte des Naiades.
En toy habite désormais
Des Muses le college.
Et ton bois ne sente jamais
La flame sacrilège.

Contre Denise Sorcière

L’inimitié que je te porte.
Passe celle, tant elle est forte,
Des aigneaux et des loups,
Vieille sorcière deshontée,
Que les bourreaux ont fouettée
Te honnissant de coups.

Tirant après toy une presse
D’hommes et de femmes espesse,
Tu monstrois nud le flanc.
Et monstrois nud parmy la rue
L’estomac, et l’espaule nue
Rougissante de sang.

Mais la peine fut bien petite.
Si lon balance ton mérite :
Le Ciel ne devoit pas
Pardonner à si lasche teste,
Ains il devoit de sa tempeste
L’acravanter à bas.

La Terre mère encor pleurante
Des Geans la mort violante
Bruslez du feu des cieux,
(Te laschant de son ventre à peine)
T’engendra, vieille, pour la haine
Qu’elle portait aux Dieux.

Tu sçais que vaut mixtionnée
La drogue qui nous est donnée
Des pays chaleureux.
Et en quel mois, en quelles heures
Les fleurs des femmes sont meilleures
Au breuvage amoureux.

Nulle herbe, soit elle aux montagnes.
Ou soit venimeuse aux campagnes,
Tes yeux sorciers ne fuit.
Que tu as mille fois coupée
D’une serpe d’airain courbée,
Béant contre la nuit.

Le soir, quand la Lune fouette
Ses chevaux par la nuict muette,
Pleine de rage, alors
Voilant ta furieuse teste
De la peau d’une estrange beste
Tu t’eslances dehors.

Au seul soufler de son haleine
Les chiens effroyez par la plaine
Aguisent leurs abois :
Les fleuves contremont reculent.
Les loups effroyablement hurlent
Apres toy par les bois.

Adonc par les lieux solitaires.
Et par l’horreur des cimetaires
Où tu hantes le plus,
Au son des vers que tu murmures
Les corps des morts tu des-emmures
De leurs tombeaux reclus.

Vestant de l’un l’image vaine
Tu viens effroyer d’une peine
(Rebarbotant un sort)
Quelque veufve qui se tourmente,
Ou quelque mère qui lamente
Son seul héritier mort.

Tu fais que la Lune enchantée
Marche par l’air toute argentée,
Luy dardant d’icy bas
Telle couleur aux joues pâlies.
Que le son de mille cymbales
Ne divertiroit pas.

Tu es la frayeur du village :
Chacun craignant ton sorcelage
Te ferme sa maison.
Tremblant de peur que tu ne taches
Ses bœufs, ses moutons et ses vaches
Du just de ta poison.

J ’ay veu souvent ton œil senestre.
Trois fois regardant de loin paistre
La guide du troupeau.
L’ensorceler de telle sorte.
Que tost après je la vy morte
Et les vers sur la peau.

Comme toy, Medée exécrable
Fut bien quelquefois profitable :
Ses venins ont servy,
Reverdissant d’Eson l’escorce :
Au contraire, tu m’as par force
Mon beau printemps ravy.

Dieux ! si là haut pitié demeure,
Pour recompense qu’elle meure,
Et ses os diffamez
Privez d’honneur de sépulture,
Soient des oiseaux goulus pasture,
Et des chiens affamez.

A Cassandre (1552)

Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.
Las ! voyez comme en peu d’espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu’une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vôtre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.

Odelette à une jeune maîtresse

Pourquoy comme une jeune poutre
De travers guignes tu vers moy ?
Pourquoy farouche fuis-tu outre
Quand je veux approcher de toy ?

Tu ne veux souffrir qu’on te touche ;
Mais si je t’avoy sous ma main,
Asseure toy que dans la bouche
Bien tost je t’aurois mis le frain.

Puis te voltant à toute bride
Je dresserois tes pieds au cours.
Et te piquant serois ton guide
Par la carriere des Amours,

Mais par l’herbe tu ne fais ores
Qui suivre des prez la fraicheur,
Pource que tu n’as point encores
Trouvé quelque bon chevaucheur.

A la fontaine Bellerie

O Fontaine Bellerie,
Belle fontaine cherie
De noz Nymphes, quand ton eau
Les cache au creux de ta source
Fuyantes le Satyreau,
Qui les pourchasse à la course
Jusqu’au bord de ton ruisseau,
Tu es la Nymphe eternelle
De ma terre paternelle :
Pource en ce pré verdelet
Voy ton Poëte qui t’orne
D’un petit chevreau de laict,
A qui l’une et l’autre corne
Sortent du front nouvelet.
L’Esté je dors ou repose
Sus ton herbe, où je compose,
Caché sous tes saules vers,
Je ne sçay quoy, qui ta gloire
Envoira par l’univers,
Commandant à la Mémoire

Que tu vives par mes vers.
L’ardeur de la Canicule
Le verd de tes bords ne brûle.
Tellement qu’en toutes pars
Ton ombre est espaisse et drue
Aux pasteurs venant des parcs.
Aux beufs laz de la charuë,
Et au bestial espars.
Iô, tu seras sans cesse
Des fontaines la princesse,
Moy célébrant le conduit
Du rocher perse, qui darde
Avec un enroué bruit
L’eau de ta source jazarde
Qui trepillante se suit.

Quand je suis vingt ou trente mois

Quand je suis vingt ou trente mois
Sans retourner en Vandomois,
Plein de pensées vagabondes.
Plein d’un remors et d’un souci.
Aux rochers je me plains ainsi.
Aux bois, aux antres, et aux ondes.

Rochers, bien que soyez âgez
De trois mil ans, vous ne changez
Jamais ny d’estat ny de forme :
Mais tousjours ma jeunesse fuit.
Et la vieillesse qui me suit.
De jeune en vieillard me transforme.

Bois, bien que perdiez tous les ans
En l’hyver voz cheveux plaisans,
L’an d’après qui se renouvelle.
Renouvelle aussi vostre chef :
Mais le mien ne peut derechef
R’avoir sa perruque nouvelle.

Antres, je me suis veu chez vous
Avoir jadis verds les genous.
Le corps habile, et la main bonne :
Mais ores j’ay le corps plus dur,
Et les genous, que n’est le mur »
Qui froidement vous environne.

Ondes, sans fin vous promenez.
Et vous menez et ramenez
Voz flots d’un cours qui ne séjourne :
Et moy sans faire long séjour
Je m’en vais de nuict et de jour.
Mais comme vous, je ne retourne.

Si est-ce que je ne voudrois
Avoir esté rocher ou bois.
Pour avoir la peau plus espesse,
Et veincre le temps emplumé :
Car ainsi dur je n’eusse aimé
Toy qui m’as fait vieillir, Maistresse.

Verson ces roses pres ce vin

Verson ces roses pres ce vin,
De ce vin verson ces roses,
Et boyvon l’un à l’autre, afin
Qu’au coeur noz tristesses encloses
Prennent en boyvant quelque fin.

La belle Rose du Printemps
Aubert, admoneste les hommes
Passer joyeusement le temps,
Et pendant que jeunes nous sommes
Esbatre la fleur de noz ans.

Tout ainsi qu’elle défleurit
Fanie en une matinée,
Ainsi nostre âge se flestrit,
Làs ! et en moins d’une journée
Le printemps d’un homme perit.

Ne veis-tu pas hier Brinon
Parlant, et faisant bonne chere,
Qui làs ! aujourd’huy n’est sinon
Qu’un peu de poudre en une biere,
Qui de luy n’a rien que le nom ?

Nul ne desrobe son trespas,
Caron serre tout en sa nasse,
Rois et pauvres tombent là bas :
Mais ce-pendant le temps se passe
Rose, et je ne te chante pas.

La Rose est l’honneur d’un pourpris,
La Rose est des fleurs la plus belle,
Et dessus toutes a le pris :
C’est pour cela que je l’appelle
La violette de Cypris.

La Rose est le bouquet d’Amour,
La Rose est le jeu des Charites,
La Rose blanchit tout au tour
Au matin de perles petites
Qu’elle emprunte du Poinct du jour.

La Rose est le parfum des Dieux,
La Rose est l’honneur des pucelles,
Qui leur sein beaucoup aiment mieux
Enrichir de Roses nouvelles,
Que d’un or, tant soit precieux.

Est-il rien sans elle de beau ?
La Rose embellit toutes choses,
Venus de Roses a la peau,
Et l’Aurore a les doigts de Roses,
Et le front le Soleil nouveau.

Les Nymphes de Rose ont le sein,
Les coudes, les flancs et les hanches :
Hebé de Roses a la main,
Et les Charites, tant soient blanches,
Ont le front de Roses tout plein.

Que le mien en soit couronné,
Ce m’est un Laurier de victoire :
Sus, appellon le deux-fois-né,
Le bon pere, et le fàison boire
De ces Roses environné.

Bacchus espris de la beauté
Des Roses aux fueilles vermeilles,
Sans elles n’a jamais esté,
Quand en chemise sous les treilles
Beuvoit au plus chaud de l’Esté.

Les Amours 

Les Amours représentent une série de recueils poétiques composés de 1552 à la fin de sa vie. Le poète célèbre l’Amour et la Vie à travers trois femmes qui l’ont fortement marqué. Il commence par Cassandre, puis Marie et termine par Hélène. Alors âgé de 20 ans, Ronsard rencontre en avril 1545 dans un bal à la cour de Blois Cassandre Salviati. Fille d’un banquier italien de François 1er, elle n’a que 13 ans. Il s’éprend vite d’elle, mais deux jours après la cour quitte Blois et la jeune femme disparaît. Il proclame « n’eut moyen que de la voir, de l’aimer et de la laisser au même instant ». Clerc Tonsuré il ne peut même si elle le désirait l’épouser. Cassandre se marie l’année suivante avec Jean peigné, Seigneur de Pray (Pré). Il ne s’en remettra pas et sa poésie, où cassandre a une place de choix, sera sa thérapie et sera influencée par cet amour platonique qu’il voue à la dame qui rappelle celui de Pétrarque (poète et humaniste italien) à Laure. Ronsard est tellement épris qu’il fait figurer dans toutes ses rééditions le portrait de Cassandre avec la formule ως ιδον, ως εμανην signifiant «dès que je vis Cassandre, le délire me saisit ».

L’Amour de Cassandre

Prends cette rose aimable comme toi,
Qui sers de rose aux roses les plus belles,
Qui sers de fleur aux fleurs les plus nouvelles,
Dont la senteur me ravit tout de moi.

Prends cette rose, et ensemble reçois
Dedans ton sein mon cœur qui n’a point d’ailes :
Il est constant, et cent plaies cruelles
N’ont empêché qu’il ne gardât sa foi.

La rose et moi différons d’une chose :
Un soleil voit naître et mourir la rose,
Mille Soleils ont vu naître m’amour,

Dont l’action jamais ne se repose.
Que plût à Dieu que telle amour enclose,
Comme une fleur, ne m’eût duré qu’un jour.

Une beauté de quinze ans enfantine

Une beauté de quinze ans enfantine,
Un or frisé de maint crêpe anelet,
Un front de rose, un teint damoiselet,
Un ris qui l’âme aux Astres achemine ;

Une vertu de telles beautés digne,
Un col de neige, une gorge de lait,
Un coeur jà mûr en un sein verdelet,
En Dame humaine une beauté divine ;

Un oeil puissant de faire jours les nuits,
Une main douce à forcer les ennuis,
Qui tient ma vie en ses doigts enfermée

Avec un chant découpé doucement
Ore d’un ris, or’ d’un gémissement,
De tels sorciers ma raison fut charmée.

Je voudrais bien richement jaunissant

Je voudrais bien richement jaunissant,
En pluie d’or goutte à goutte descendre
Dans le giron de ma belle Cassandre,
Lorsqu’en ses yeux le somme va glissant;

Puis je voudrais en taureau blanchissant
Me transformer pour sur mon dos la prendre,
Quand en avril par l’herbe la plus tendre
Elle va, fleur, mille fleurs ravissant

Je voudrais bien pour alléger ma peine,
Être un Narcisse, et elle une fontaine,
Pour m’y plonger une nuit à séjour :

Et si voudrais que cete nuit encore
Fût éternelle, et que jamais l’aurore
Pour m’éveiller ne rallumât le jour

Avant le temps tes temples fleuriront

Avant le temps tes temples fleuriront,
De peu de jours ta fin sera bornée,
Avant le soir se clorra ta journée ,
Trahis d’espoir tes pensers periront :

Sans me flechir tes escrits fletriront,
En ton desastre ira ma destinée,
Ta mort sera pour m’aimer terminée,
De tes souspirs noz neveux se riront.

Tu seras fait d’un vulgaire la fable :
Tu bastiras sus l’incertain du sable,
Et vainement tu peindras dans les cieux :

Ainsi disoit la Nymphe qui m’afolle,
Lors que le ciel tesmoin de sa parolle,
D’un dextre éclair fut presage à mes yeux.

Pour te servir, l’attrait de tes beaux yeux

Pour te servir, l’attrait de tes beaux yeux
Force mon âme, et quand je te veux dire
Quelle est ma mort, tu ne t’en fais que rire,
Et de mon mal tu as le cœur joyeux.

Puisqu’en t’aimant je ne puis avoir mieux,
Permets au moins, qu’en mourant je soupire,
De trop d’orgueil ton bel œil me martyre,
Sans te moquer de mon mal soucieux.

Moquer mon mal, rire de ma douleur,
Par un dédain redoubler mon malheur.
Haïr qui t’aime et vivre de ses plaintes,

Rompre ta foi, manquer de ton devoir,
Cela, cruelle, hé ! n’est-ce pas avoir
Les mains de sang et d’homicide teintes?

Amour me tue, et si je ne veux dire 

Amour me tue, et si je ne veux dire
Le plaisant mal que ce m’est de mourir.
Tant j’ai grand’ peur qu’on veuille secourir
Le doux tourment pour lequel je soupire.

Il est bien vrai que ma langueur désire
Qu’avec le temps je me puisse guérir :
Mais je ne veux ma dame requérir
Pour ma santé, tant me plaît mon martyre

Tais-toi langueur, je sens venir le jour,
Que ma maîtresse après si long séjour,
Voyant le mal que son orgueil me donne.

Qu’à la douceur la rigueur fera lieu.
En imitant la nature de Dieu,
Qui nous tourmente, et puis il nous pardonne.

Amour, amour, que ma maîtresse est belle !

Amour, amour, que ma maîtresse est belle !
Soit que j’admire ou ses yeux mes seigneurs,
Ou de son front la grâce et les honneurs,
Ou le vermeil de sa lèvre jumelle.

Amour, amour, que ma dame est cruelle !
Soit qu’un dédain rengrége mes douleurs.
Soit qu’un dépit fasse naître mes pleurs,
Soit qu’un refus mes plaies renouvelle.

Ainsi le miel de sa douce beauté
Nourrit mon cœur : ainsi sa cruauté
D’un fiel amer aigrit toute ma vie :

Ainsi repu d’un si divers repas,
Ores je vis, ores je ne vis pas,
Égal au sort des frères d’Œbalie.

Si  je trépasse entre tes bras, ma dame

Si je trépasse entre tes bras, ma dame,
Je suis content : aussi ne veux-je avoirs
Plus grand honneur au monde, que me voir,
En te baisant , dans ton sein rendre I’âme.

Celui dont Mars la poitrine renflamme,
Aille à la guerre; et d’ans et de pouvoir
Tout furieux, s’ébatte à recevoir
En sa poitrine une espagnole lame :

Moi plus couard , je ne requiers sinon,
Après cent ans sans gloire et sans renom.
Mourir oisif en ton giron, Cassandre.

Car je me trompe, ou c’est plus de bonheur
D’ainsi mourir, que d’avoir tout l’honneur
D’un grand César, ou d’un foudre Alexandre.

Prends cette rose

Prends cette rose aimable comme toi,
Qui sers de rose aux roses les plus belles,
Qui sers de fleur aux fleurs les plus nouvelles,
Dont la senteur me ravit tout de moi.

Prends cette rose, et ensemble reçois
Dedans ton sein mon cœur qui n’a point d’ailes :
Il est constant, et cent plaies cruelles
N’ont empêché qu’il ne gardât sa foi.

La rose et moi différons d’une chose :
Un soleil voit naître et mourir la rose,
Mille Soleils ont vu naître m’amour,

Dont l’action jamais ne se repose.
Que plût à Dieu que telle amour enclose,
Comme une fleur, ne m’eût duré qu’un jour.

Quand au temple nous serons

Quand au temple nous serons
Agenouillés, nous ferons
Les dévots selon la guise
De ceux qui pour louer Dieu
Humbles se courbent au lieu
Le plus secret de l’église.

Mais quand au lit nous serons
Entrelacés, nous ferons
Les lascifs selon les guises
Des amants, qui librement
Pratiquent folâtrement
Dans les draps cent mignardises.

Pourquoi donque quand je veux
Ou mordre tes beaux cheveux,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou toucher à ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloître enfermée ?

Pour qui gardes-tu tes yeux
Et ton sein délicieux,
Ton front, ta lèvre jumelle ?
En veux-tu baiser Pluton
Là-bas après que Charon
T’aura mise en sa nacelle ?

Après ton dernier trépas,
Grêle tu n’auras là-bas
Qu’une bouchette blémie :
Et quand mort je te verrais
Aux ombres je n’avouerais
Que jadis tu fus m’amie.

Ton test n’aura plus de peau,
Ni ton visage si beau
N’aura veines ni artères :
Tu n’auras plus que des dents
Telles qu’on les voit dedans
Les têtes des cimetères

Donc que tandis que tu vis,
Change, maîtresse, d’avis,
Et ne m’épargne ta bouche.
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De m’avoir été farouche.

Ah je meurs ! ah baise-moi !
Ah ! maîtresse, approche-toi !
Tu fuis comme un faon qui tremble
Au moins souffre que ma main
S’ébatte un peu dans ton sein.
Ou plus bas, si bon te semble

Que maudit soit le miroir

Que maudit soit le miroir qui vous mire,
Et vous fait, être ainsi fière en beauté,
Ainsi enfler le cœur de cruauté ,
Me refusant le bien que je désire !

Depuis trois ans pour vos yeux je soupire :
Et si mes pleurs, ma foi, ma loyauté
N’ont, ô destin ! de votre cœur ôté
Ce doux orgueil qui cause mon martyre.

Et cependant vous ne connaissez pas
Que ce beau mois et votre âge se passe,
Comme une fleur qui languit contre-bas;
Et que le temps passé ne se ramasse.

Tandi à qu’avez la jeunesse et la grâce
Et le temps propre aux amoureux combats,
De suivre amour ne soyez jamais lasse.
Et sans aimer n’attendez le trépas.

Dame, depuis que la premiere fléche

Dame, depuis que la premiere fléche
De ton bel oeil m’avança la douleur,
Et que sa blanche et sa noire couleur
Forçant ma force, au cœur me firent bréche:

Je sen toujours une amoureuse méche,
Qui se ralume au meillieu de mon cœur,
Dont le beau rai (ainsi comme une fleur
S’écoule au chaut) dessus le pié me séche.

Ni nuit, ne jour, je ne fai que songer,
Limer mon cœur, le mordre et le ronger,
Priant Amour, qu’il me tranche la vie.

Mais lui, qui rit du torment qui me point,
Plus je l’apelle, et plus je le convie,
Plus fait le sourd, et ne me répond point.

Continuation des Amours

ou Premier livre des Amours (1555)

En 1555 Ronsard rencontre Marie Dupin de Bourgueil, une paysanne de 15 ans qu’il qualifiera de « fleur angevine de quinze ans ». L’amour qu’il éprouve pour elle atténue les tourments nés de ses sentiments pour Cassandre. Tout comme il a composé pour celle-ci de beaux vers, une partie de son œuvre est consacrée à sa nouvelle muse succédant ainsi à l’austère Cassandre qui reste néanmoins  présente dans certains sonnets. C’est Marie qui inspire donc à l’auteur « La continuation des Amours » écrit avec un langage plus simple, et moins de recherche stylistique.

Marie qui voudrait

(Le poète cherche à inciter Marie à partager son amour)

Marie, qui voudrait votre beau nom tourner,
Il trouverait Aimer : aimez-moi donc, Marie,
Faites cela vers moi dont votre nom vous prie,
Votre amour ne se peut en meilleur lieu donner;

S’il vous plaît pour jamais un plaisir demener,
Aimez-moi, nous prendrons les plaisirs de la vie,
Pendus l’un l’autre au col, et jamais nulle envie
D’aimer en autre lieu ne nous pourra mener.

Si faut-il bien aimer au monde quelque chose:
Celui qui n’aime point, celui-là se propose
Une vie d’un Scythe, et ses jours veut passer

Sans goûter la douceur des douceurs la meilleure.
Eh, qu’est-il rien de doux sans Vénus? Las! A l’heure
Que je n’aimerai point, puissé-je trépasser!

Marie, vous passez en taille, et en visage

Marie, vous passez en taille, et en visage,
En grâce, en ris, en yeux, en sein, et en téton,
Votre moyenne soeur, d’autant que le bouton
D’un rosier franc surpasse une rose sauvage.

Je ne dis pas pourtant qu’un rosier de bocage
Ne soit plaisant à l’oeil, et qu’il ne sente bon ;
Aussi je ne dis pas que votre soeur Thoinon
Ne soit belle, mais quoi ? vous l’êtes davantage.

Je sais bien qu’après vous elle a le premier prix
De ce bourg, en beauté, et qu’on serait épris
D’elle facilement, si vous étiez absente.

Mais quand vous approchez, lors sa beauté s’enfuit,
Ou morne elle devient par la vôtre présente,
Comme les astres font quand la Lune reluit.

Amourette

Marie, à tous les coups vous me venez reprendre
Que je suis trop léger, et me dites toujours,
Quand je vous veux baiser, que j’aille à ma Cassandre,
Et toujours m’appelez inconstant en amours.

Je le veux être aussi, les hommes sont bien lourds
Qui n’osent en cent lieux neuve amour entreprendre.
Celui-là qui ne veut qu’à une seule entendre,
N’est pas digne qu’Amour lui fasse de bons tours.

Celui qui n’ose faire une amitié nouvelle,
A faute de courage, ou faute de cervelle,
Se défiant de soi, qui ne peut avoir mieux.

Les hommes maladifs, ou matés de vieillesse,
Doivent être constants : mais sotte est la jeunesse
Qui n’est point éveillée, et qui n’aime en cent lieux.

Marie, baisez-moi

Marie, baisez-moi ; non, ne me baisez pas,
Mais tirez-moi le coeur de votre douce haleine;
Non, ne le tirez pas, mais hors de chaque veine
Sucez-moi toute l’âme éparse entre vos bras;

Non, ne la sucez pas ; car après le trépas
Que serais-je sinon une semblance vaine,
Sans corps, dessus la rive, où l’amour ne démène
(Pardonne-moi, Pluton) qu’en feintes ses ébats ?

Pendant que nous vivons, entr’aimons-nous, Marie,
Amour ne règne pas sur la troupe blêmie
Des morts, qui sont sillés d’un long somme de fer.

C’est abus que Pluton ait aimé Proserpine;
Si doux soin n’entre point en si dure poitrine:
Amour règne en la terre et non point en enfer.

Marie, vous avez la joue aussi vermeille

Marie, vous avez la joue aussi vermeille
Qu’une rose de mai, vous avez les cheveux
De couleur de châtaigne, entrefrisés de noeuds,
Gentement tortillés tout autour de l’oreille.

Quand vous étiez petite, une mignarde abeille
Dans vos lèvres forma son doux miel savoureux,
Amour laissa ses traits dans vos yeux rigoureux,
Pithon vous fit la voix à nulle autre pareille.

Vous avez les tétins comme deux monts de lait,
Qui pommellent ainsi qu’au printemps nouvelet
Pommellent deux boutons que leur châsse environne.

De Junon sont vos bras, des Grâces votre sein,
Vous avez de l’Aurore et le front, et la main,
Mais vous avez le coeur d’une fière lionne.

Je veux, me souvenant de ma gentille amie

Je veux, me souvenant de ma gentille amie,
Boire ce soir d’autant, et pour ce, Corydon,
Fais remplir mes flacons, et verse à l’abandon
Du vin pour réjouir toute la compagnie.

Soit que m’amie ait nom ou Cassandre ou Marie,
Neuf fois je m’en vais boire aux lettres de son nom :
Et toi, si de ta belle et jeune Madelon,
Belleau, l’amour te point, je te pri, ne l’oublie.

Apporte ces bouquets que tu m’avais cueillis,
Ces roses, ces œillets, ce jasmin et ces lys :
Attache une couronne à l’entour de ma tête.

Gagnons ce jour ici, trompons notre trépas :
Peut-être que demain nous ne reboirons pas.
S’attendre au lendemain n’est pas chose trop prête.

La nouvelle continuation des Amours

ou Le second livre des Amours (1578)

Je ne suis seulement amoureux de Marie

Je ne suis seulement amoureux de Marie,
Anne me tient aussi dans les liens d’Amour,
Ore l’une me plaît, ore l’autre à son tour:
Ainsi Tibulle aimait Némésis, et Délie.

On me dira tantôt que c’est une folie
D’en aimer, inconstant, deux ou trois en un jour,
Voire, et qu’il faudrait bien un homme de séjour,
Pour, gaillard, satisfaire à une seule amie.

Je réponds à cela, que je suis amoureux,
Et non pas jouissant de ce bien doucereux,
Que tout amant souhaite avoir à sa commande.

Quant à moi, seulement je leur baise la main,
Les yeux, le front, le col, les lèvres et le sein,
Et rien que ces biens-là d’elles je ne demande.

Sonnet à Marie

Je vous envoye un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies,
Qui ne les eust à ce vespre cuillies,
Cheutes à terre elles fussent demain.

Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu’elles soient fleuries,
En peu de tems cherront toutes flétries,
Et comme fleurs, periront tout soudain.

Le tems s’en va, le tems s’en va, ma Dame,
Las ! le tems non, mais nous nous en allons,
Et tost serons estendus sous la lame:

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n’en sera plus nouvelle:
Pour-ce aimés moy, ce-pendant qu’estes belle.

Bonjour mon cœur (Chanson)

Bonjour mon coeur, bonjour ma douce vie.
Bonjour mon oeil, bonjour ma chère amie,
Hé ! bonjour ma toute belle,
Ma mignardise, bonjour,
Mes délices, mon amour,
Mon doux printemps, ma douce fleur nouvelle,
Mon doux plaisir, ma douce colombelle,
Mon passereau, ma gente tourterelle,
Bonjour, ma douce rebelle.

Hé ! faudra-t-il que quelqu’un me reproche
Que j’aie vers toi le coeur plus dur que roche
De t’avoir laissée, maîtresse,
Pour aller suivre le Roi,
Mendiant je ne sais quoi
Que le vulgaire appelle une largesse ?
Plutôt périsse honneur, court, et richesse,
Que pour les biens jamais je te relaisse,
Ma douce et belle déesse.

Douce Maîtresse (Chanson)

Douce Maîtresse, touche,
Pour soulager mon mal,
Ma bouche de ta bouche
Plus rouge que coral ;
Que mon col soit pressé
De ton bras enlacé.

Puis, face dessus face,
Regarde-moi les yeux,
Afin que ton trait passe
En mon coeur soucieux,
Coeur qui ne vit sinon
D’Amour et de ton nom.

Je l’ai vu fier et brave,
Avant que ta beauté
Pour être son esclave
Du sein me l’eût ôté ;
Mais son mal lui plaît bien,
Pourvu qu’il meure tien.

Belle, par qui je donne
A mes yeux, tant d’émoi,
Baise-moi, ma mignonne,
Cent fois rebaise-moi :
Et quoi ? faut-il en vain
Languir dessus ton sein ?

Maîtresse, je n’ai garde
De vouloir t’éveiller.
Heureux quand je regarde
Tes beaux yeux sommeiller,
Heureux quand je les vois
Endormis dessus moi.

Veux-tu que je les baise
Afin de les ouvrir ?
Ha ! tu fais la mauvaise
Pour me faire mourir !
Je meurs entre tes bras,
Et s’il ne t’en chaut pas !

Ha ! ma chère ennemie,
Si tu veux m’apaiser,
Redonne-moi la vie
Par l’esprit d’un baiser.
Ha ! j’en sens la douceur
Couler jusques au coeur.

J’aime la douce rage
D’amour continuel
Quand d’un même courage
Le soin est mutuel.
Heureux sera le jour
Que je mourrai d’amour !

Ma maîtresse est toute angelette (Chanson)

Ma maîtresse est toute angelette,
Toute belle fleur nouvelette,
Toute mon gracieux accueil,
Toute ma petite brunette,
Toute ma douce mignonnette,
Toute mon coeur, toute mon oeil.

Toute ma grâce et ma Charite,
Toute belle perle d’élite,
Toute doux parfum indien,
Toute douce odeur d’Assyrie,
Toute ma douce tromperie,
Toute mon mal, toute mon bien.

Toute miel, toute reguelyce,
Toute ma petite malice,
Toute ma joie, et ma langueur,
Toute ma petite Angevine,
Ma toute simple, et toute fine,
Toute mon âme, et tout mon coeur.

Encore un envieux me nie
Que je ne dois aimer m’amie :
Mais quoi ? Si ce bel envieux
Disait que mes yeux je n’aimasse
Penseriez-vous que je laissasse,
Pour son dire, à n’aimer mes yeux ?

Ce jour de Mai

Ce jour de Mai qui a la tête peinte,
D’une gaillarde et gentille verdeur,
Ne doit passer sans que ma vive ardeur
Par votre grâce un peu ne soit éteinte.

De votre part, si vous êtes atteinte
Autant que moi d’amoureuse langueur,
D’un feu pareil soulageons notre coeur,
Qui aime bien ne doit point avoir crainte.

Le Temps s’enfuit, cependant ce beau jour,
Nous doit apprendre à demener l’Amour,
Et le pigeon qui sa femelle baise.

Baisez-moi donc et faisons tout ainsi
Que les oiseaux sans nous donner souci :
Après la mort on ne voit rien qui plaise.

Quand je suis tout baissé sur votre belle face

Quand je suis tout baissé sur votre belle face,
Je vois dedans vos yeux je ne sais quoi de blanc,
Je ne sais quoi de noir, qui m’émeut tout le sang,
Et qui jusques au coeur de veine en veine passe.

Je vois dedans Amour, qui va changeant de place,
Ores bas, ores haut, toujours me regardant,
Et son arc contre moi coup sur coup débandant.
Las ! si je faux, raison, que veux-tu que j’y fasse ?

Tant s’en faut que je sois alors maître de moi,
Que je vendrais mon père, et trahirais mon Roi,
Mon pays, et ma sœur, mes frères et ma mère :

Tant je suis hors du sens, après que j’ai tâté
A longs traits amoureux de la poison amère,
Qui sort de ces beaux yeux, dont je suis enchanté.

Sur la mort de Marie

Il s’agit d’un recueil de poèmes qui figure dans le second livre des Amours (1578). Ils portent sur Marie Dupin sa muse, décédée en 1573, et Marie de Cleves décédée en 1574 à l’âge de 21 ans, maîtresse d’Henri III.

Comme on voit sur la branche

Poème officiel et de circonstance car composé à la demande d’Henri III. C’est l’hommage d’un roi très affecté par le décès de sa maîtresse à la fleur de l’âge.

Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose :

La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur :
Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose :

Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.

Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.

Terre, ouvre moi ton sein

Terre, ouvre moi ton sein, et me laisse reprendre
Mon trésor, que la Parque a caché dessous toi :
Ou bien si tu ne peux, ô terre, cache moi
Sous même sépulture avec sa belle cendre.

Le trait qui la tua devait faire descendre
Mon corps auprès du sien pour finir mon émoi :
Aussi bien, vu le mal qu’en sa mort je reçoi,
Je ne saurais plus vivre, et me fâche d’attendre.

Quand ses yeux m’éclairaient, et qu’en terre j’avais
Le bonheur de les voir, à l’heure je vivais,
Ayant de leurs rayons mon âme gouvernée.

Maintenant je suis mort : la Mort qui s’en alla
Loger dedans ses yeux, en partant m’appela,
Et me fit de ses pieds accomplir ma journée.

Alors que plus Amour nourrissait mon ardeur

Alors que plus Amour nourrissait mon ardeur,
M’assurant de jouir de ma longue espérance :
À l’heure que j’avais en lui plus d’assurance,
La Mort a moissonné mon bien en sa verdeur.

J’espérais par soupirs, par peine, et par langueur
Adoucir son orgueil : las ! je meurs quand j’y pense.
Mais en lieu d’en jouir, pour toute récompense
Un cercueil tient enclos mon espoir et mon cœur.

Je suis bien malheureux, puisqu’elle vive et morte
Ne me donne repos, et que de jour en jour
Je sens par son trépas une douleur plus forte.

Comme elle je devrais reposer à mon tour :
Toutefois je ne vois par quel chemin je sorte,
Tant la Mort me rempêtre au labyrinth d’Amour.

Ha ! Mort, en quel état maintenant tu me changes ! 

Ha ! Mort, en quel état maintenant tu me changes !
Pour enrichir le ciel, tu m’as seul appauvri,
Me ravissant les yeux desquels j’étais nourri,
Qui nourrissent là-haut les esprits et les anges.

Entre pleurs et soupirs, entre pensers étranges,
Entre le désespoir tout confus et marri,
Du monde et de moi-même et d’Amour, je me ri,
N’ayant autre plaisir qu’à chanter tes louanges.

Hélas ! tu n’es pas morte, hé ! c’est moi qui le suis.
L’homme est bien trépassé, qui ne vit que d’ennuis,
Et des maux qui me font une éternelle guerre.

Le partage est mal fait : tu possèdes les cieux,
Et je n’ai, malheureux, pour ma part que la terre,
Les soupirs en la bouche, et les larmes aux yeux.

Quand je pense à ce jour

Quand je pense à ce jour, où je la vis si belle
Toute flamber d’amour, d’honneur et de vertu,
Le regret, comme un trait mortellement pointu,
Me traverse le cœur d’une plaie éternelle.

Alors que j’espérais la bonne grâce d’elle,
L’amour a mon espoir par la Mort combattu :
La Mort a mon espoir d’un cercueil revêtu,
Dont j’espérais la paix de ma longue querelle.

Amour, tu es enfant inconstant et léger :
Monde, tu es trompeur, pipeur et mensonger,
Décevant d’un chacun l’attente et le courage.

Malheureux qui se fie en l’Amour et en toi :
Tous deux comme la Mer vous n’avez point de foi,
L’un fin, l’autre parjure, et l’autre oiseau volage.

Elégie (extraits)

Le jour que la beauté du monde la plus belle
Laissa dans le cercueil sa dépouille mortelle
Pour s’envoler parfaite entre les plus parfaits,
Ce jour Amour perdit ses flammes et ses traits,
Éteignit son flambeau, rompit toutes ses armes,
Les jeta sur la tombe, et l’arrosa de larmes :
Nature la pleura, le Ciel en fut fâché
Et la Parque, d’avoir un si beau fil tranché…

Dans mon sang elle fut si avant imprimée,
Que toujours en tous lieux de sa figure aimée
Me suivait le portrait, et telle impression
D’une perpétuelle imagination
M’avait tant dérobé l’esprit et la cervelle,
Qu’autre bien je n’avais que de penser en elle,
En sa bouche, en son ris, en sa main, en son œil,
Qu’au cœur je sens toujours, bien qu’ils soient au cercueil…

Ô beaux yeux, qui m’étiez si cruels et si doux,
Je ne me puis lasser de repenser en vous,
Qui fûtes le flambeau de ma lumière unique,
Les vrais outils d’Amour, la forge, et la boutique.
Vous m’ôtâtes du cœur tout vulgaire penser,
Et l’esprit jusqu’au ciel vous me fîtes hausser.
J’appris à votre école à rêver sans mot dire,
À discourir tout seul, à cacher mon martyre ;
À ne dormir la nuit, en pleurs me consumer…

Puis Amour que je sens par mes veines s’épandre,
Passe dessous la terre, et rattise la cendre
Qui froide languissait dessous votre tombeau,
Pour rallumer plus vif en mon cœur son flambeau,
Afin que vous soyez ma flamme morte et vive,
Et que par le penser en tous lieux je vous suive…

Puis Amour que je sens par mes veines s’épandre,
Passe dessous la terre, et rattise la cendre
Qui froide languissait dessous votre tombeau,
Pour rallumer plus vif en mon cœur son flambeau,
Afin que vous soyez ma flamme morte et vive,
Et que par le penser en tous lieux je vous suive…

Je déplais à moi-même, et veux quitter le jour,
Puis que je vois la Mort triompher de l’Amour,
Et lui ravir son mieux, sans faire résistance.
Malheureux qui le suit, et vit sous son enfance !
Et toi, Ciel, qui te dis le père des humains,
Tu ne devais tracer un tel corps de tes mains
Pour si tôt le reprendre : et toi, mère Nature,
Pour mettre si soudain ton œuvre en sépulture…

J’ordonne que mes os pour toute couverture
Reposent près des siens sous même sépulture :
Que des larmes du ciel le tombeau soit lavé,
Et tout à l’environ de ces vers engravé :
« Passant, de cet amant entends l’histoire vraie.
De deux traits différents il reçut double plaie :
L’une que fit l’Amour, ne versa qu’amitié :
L’autre que fit la Mort, ne versa que pitié.
Ainsi mourut navré d’une double tristesse,
Et tout pour aimer trop une jeune maitresse. »

Aussitôt que Marie

Aussitôt que Marie en terre fut venue,
Le Ciel en fut marri, et la voulut ravoir :
À peine notre siècle eut loisir de la voir,
Qu’elle s’évanouit comme un feu dans la nue.

Des présents de Nature elle vint si pourvue,
Et sa belle jeunesse avait tant de pouvoir
Qu’elle eût peu d’un regard les rochers émouvoir,
Tant elle avait d’attraits et d’amours en la vue.

Ores la Mort jouit des beaux yeux que j’aimais,
La boutique, et la forge, Amour, où tu t’armais.
Maintenant de ton camp cassé je me retire :

Je veux désormais vivre en franchise et tout mien.
Puisque tu n’as gardé l’honneur de ton empire,
Ta force n’est pas grande, et je le connais bien.

Épitaphe de Marie

Ci reposent les os de toi, belle Marie,
Qui me fis pour Anjou quitter le Vendômois,
Qui m’échauffas le sang au plus vert de mes mois,
Qui fus toute mon cœur, mon sang, et mon envie.

En ta tombe repose honneur et courtoisie,
La vertu, la beauté, qu’en l’âme je sentois,
La grâce et les amours qu’aux regards tu portois,
Tels qu’ils eussent d’un mort ressuscité la vie.

Tu es telle Marie un bel astre des cieux :
Les Anges tous ravis se paissent de tes yeux,
La terre te regrette. O beauté sans seconde !

Maintenant tu es vive, et je suis mort d’ennui.
Ha, siècle malheureux ! Malheureux est celui
Qui s’abuse d’Amour et qui se fie au Monde.

Les hymnes 

Dans les hymnes, vers généralement glorificateurs, Ronsard s’identifie à Horace faisant l’éloge de Rome et d’Auguste comme s’il voulait restaurer ce genre antique.

Avec les hymnes, Ronsard s’éloigne un temps de la poésie de Pétrarque pour une poésie plutôt philosophique. Une première en France qui lui vaut les éloges des humanistes. Il intéresse ainsi à l’ordre de l’univers (ciel, astres, étoiles…) et du monde qui en doit être le miroir. Une partie des hymnes est consacrée à des éloges de personnes (encomiastiques) et à des célébrations de victoires (épiniciens). Une autre qui est bien plus scientifico-philosophique s’intéresse à la condition et à l’esprit humains, aux phénomènes de la nature. Si Ronsard fait l’éloge d’un souverain vertueux et Prince juste il célèbre également la justice, qu’il pense être la vertu principale du Cardinal de Lorraine, la mort et l’épopée.

Hymne de L’Eternité

Rempli d’un feu divin qui m’a l’âme échauffée,
Je veux mieux que devant, suivant les pas d’Orphée,
Découvrir les secrets de Nature et des Cieux,
Recherchés d’un esprit qui n’est point ocïeux;
Je veux, s’il m’est possible, atteindre à la louange
De celle qui jamais par les ans ne se change,
Mais bien qui fait changer les siècles et les temps,
Les mois et les saisons et les jours inconstants,
Sans jamais se muer, pour n’être point sujette
Comme Reine et maîtresse à la loi qu’elle a faite…
Donne-moi, s’il te plaît, immense Eternité,
Pouvoir de raconter ta grande Déité;
Donne l’archet d’airain et la Lyre ferrée,
D’acier donne la corde et la voix acérée,
Afin que ma chanson dure aussi longuement
Que tu dures au Ciel perpétuellement,
Toi la Reine des ans, des siècles et de l’âge,
Qui as eu pour ton lot tout le Ciel en partage,
La première des Dieux, où bien loin de souci
Et de l’humain travail qui nous tourmente ici
Par toi-même contente et par toi bienheureuse,
Eternelle tu vis en tous biens plantureuse.
Tout au plus haut des Cieux, dans un trône doré
Tu te sieds en l’habit d’un manteau coloré
De pourpre rayé d’or, de qui la broderie
De tous côtés s’éclate en riche orfèvrerie,
Et là, tenant au poing un grand Sceptre aimantin,
Tu établis tes lois au sévère Destin,
Qu’il n’ose outrepasser, et que lui-même engrave
Fermes au front du Ciel; car il est ton esclave,
Ordonnant dessous toi les neuf temples voûtés
Qui dedans et dehors cernent de tous côtés,
Sans rien laisser ailleurs, tous les membres du monde,
Qui gît dessous tes pieds comme une boule ronde…
Nous autres journaliers, nous perdons la mémoire
Des siècles jà coulés, et si ne pouvons croire
Ceux qui sont à venir, comme étant imparfaits
Et d’une masse brute inutilement faits,
Aveuglés et perclus de sa sainte lumière,
Que le péché perdit en notre premier père;
Mais ferme tu retiens dedans ton souvenir
Tout ce qui est passé, et ce qui doit venir,
Comme haute Déesse éternelle et parfaite,
Et non ainsi que nous de masse impure faite.
Tu es toute dans toi, ta partie et ton tout,
Sans nul commencement, sans milieu ni sans bout,
Invincible, immuable, entière et toute ronde,
N’ayant partie en toi qui en toi ne réponde,
Toute commencement, toute fin, tout milieu,
Sans tenir aucun lieu de toutes choses lieu,
Qui fais ta Déité du tout par tout étendre,
Qu’on imagine bien et qu’on ne peut comprendre.
Regarde-moi, Déesse au grand oeil tout-voyant,
Mère du grand Olympe au grand tour flamboyant,
Grande Mère des Dieux, grande Reine et Princesse;
Si je l’ai mérité, concède-moi, Déesse,
Concède-moi ce don: c’est qu’après mon trépas,
Ayant laissé tomber ma dépouille çà-bas,
Je puisse voir au Ciel la belle Marguerite
Pour qui j’ai ta louange en cet Hymne décrite.

Hymne du très Chrestien Roy Henry II (extraits)

Muses, quand nous voudrons les louënges chanter
Des Dieux, il nous faudra au nom de Jupiter
Commencer et finir, comme au Dieu qui la bande
Des autres Dieux gouverne, et maistre leur commande
Mais quand il nous plaira chanter l’honneur des Roys,
Il faudra par HENRY, le grand Roy des François,
Commencer et finir, comme au Roy qui surpasse
En grandeur tous les Roys de cette terre basse…

Là donc, divines Sœurs, à cette heure aydés moy
A chanter dignement vostre Frere, mon Roy,
Qui naguiere banit avecques sa promesse
Loing de vous et de moy la Crainte et la Paresse,
Lors qu’il nous fist lever d’un seul clin de ses yeux
(Quand moins nous y pensions) le front jusques aux cieux.

Le bucheron qui tient en ses mains la cougnée,
Entré dedans un bois pour faire sa journée,
Ne sçait où commencer : icy le tronc d’un Pin
Se presente à sa main, là celluy d’un Sapin,
Icy du coing de l’œil merque le pié d’un Chesne,
Là celluy d’un Fouteau, icy celluy d’un Frene :
A la fin tout pensif, de toutes pars cherchant
Lequel il coupera, tourne le fer tranchant
Sur le pié d’un Ormeau, et par terre le rue,
Afin d’en charpenter quelque belle charue :
Ainsi tenant es mains mon Luc bien apresté,
Entré dans ton Palais devant ta Majesté,
Tout pensif, je ne sçay quelle vertu premiere
De mille que tu as sera mise en lumiere :
Car les biens que Nature a partis à chacun,
Liberale à toy seule, te les donne en commun :
Qui ne soit vray, l’on voit qu’une plaisante forme
Par vicieuses meurs bien souvent se difforme,
Celluy qui est en guerre aux armes estimé
En temps de paix sera pour ses vices blasmé,
L’un est bon pour regir les affaires publiques
Qui gaste en sa maison les choses domestiques,
L’un est recommandé pour estre bien sçavant
Qui sera mesprisé pour estre mal vivant :
Mais certes tous les biens, que de grace Dieu donne
A tous diversement, sont tous en ta personne :
C’est pour cela qu’icy ta Justice, et ta Foy,
Ta Bonté, ta Pitié, d’un coup, s’offrent à moy,
Ta vaillance au combat, au conseil ta Prudence :
Ainsi je reste pauvre, et le trop d’abondance
De mon riche sujet m’engarde de penser
A laquelle de tant il me faut commencer.
Si faut il toutesfois qu’à l’une je commence,
Car j’oy desja ta voix d’un costé qui me tance,
Et de l’autre costé, je m’entens accuser
De ma Lyre, qu’en vain je la fais trop muser,
Sans chanter ta loüenge. Or’sus chantons-la donques,
Et la faisons sonner, si elle sonna oncques,
Et venons à chercher quel Astre bien tourné
Pour estre un si grand Roy t’avoit predestiné.
Le beau porteur d’Hellés, qui fut maison commune,
Alors que tu naquis, à Venus et la Lune
Et à l’heureux Soleil, te donnerent cet heur
D’estre Roy, pour passer les autres en grandeur.

Or’ qui voudroit conter de quelle grande largesse
A respandu le Ciel dessus toy sa richesse,
Il n’auroit jamais fait, et son vers, tournoyé
Aux flotz de tant d’honneurs, seroit bien tost noyé.
Il t’a premierement, quant à ta forte taille,
Fait comme un de ces Dieux qui vont à la bataille,
Ou de ces Chevaliers qu’Homere nous a peints
Si vaillans devant Troïe, Ajax, et les germains
Rois pasteurs de l’armée, et le dispos Achille,
Qui, r’embarrant de coups les Troïens à leur ville,
Comme un loup les aigneaux par morceaux les hachoit,
Et des fleuves le cours d’hommes mortz empeschoit :
Mais bien que cet Achille ait le nom de pied-viste,
De coureur, de sauteur, pourtant il ne merite
D’avoir l’honneur sus toy, soit à corps elancé
Pour sauter une haie, ou franchir un fossé,
Ou soit pour voltiger, ou pour monter en selle
Armé de teste en pied, quand la guerre t’appelle.
Or’ parle qui voudra de Castor et Pollux,
Enfans jumeaux d’un œuf, tu merites trop plus
De renom qu’ilz n’ont fait, d’autant que tu assemble
En toy ce que les deux eurent jadis ensemble :
L’un fut bon Chevalier, l’autre bon Escrimeur,
Mais tu as ces deux en toy le double d’honneur :
Car où est l’Escrimeur, tant soit bon, qui s’aprouche
De toy, sans emporter au logis une touche ?
Ou soit que de l’espée il te plaise joüer,
Soit qu’en la gauche main te plaise secoüer
La targue ou le bouclier, ou soit que l’on s’attache
Contre toy, pour branler ou la pique ou la hache,
Nul mieux que toy ne sçait comme il faut demarcher,
Comme il faut un coup feint sous les armes cacher,
Comme l’on se mesure, et comme il faut qu’on baille
D’un revers un estoc, d’un estoc une taille.
Quant à bien manier et piquer un cheval,
La France n’eut jamais ny n’aura ton egal,
Et semble que ton corps naisse hors de la selle
Centaure mi-cheval, soit que poullain rebelle…

Or’ quand tu ne serois Roy, ny Seigneur, ne Prince,
Encore on te voiroit, par toute la Province
En qui tu serois né, dessus tous estimé,
Et bien tost d’un grand Roy, ou d’un grand Prince aimé,
Pour les dons que le Ciel t’a donnez en partage :
Car tu es bien adroit, et de vaillant courage :
Tesmoing est de ton cœur cette jeune fureur
Dont tu voulus pres Marne assaillir l’Empereur,
Lequel ayant passé les bornes de la Meuse
Menassoit ton Paris, ta grand’ Cité fameuse :
Tu luy eusses deslors ta vertu fait sentir,
Et, se tirant le poil, mille fois repentir
D’estre en France venu, sans une paix fardée,
Dont, à son grand besoing, sa vie fut gardée.
Mais qui pourroit conter les biens de ton esprit ?
Tant s’en faut qu’on les puisse arrenger par escrit,
Qui les pourra conter pourra conter l’arene
Que la force du vent au bord d’Aphrique amene…

Il n’y eut jamais Prince en l’antique saison,
Ny en ce temps icy, mieux garni de raison,
Ny d’aprehension, que toy, ny de memoire.
Or quant à ta memoire on ne la sçauroit croire,
Qui familierement ne t’auroit pratiqué :
Car si tu as un coup un homme remerqué
Sans plus du coing de l’œil, allast-il aux Tartares,
Navigast-il à l’Inde, ou aux Isles barbares
Où de l’humaine chair vivent les habitans,
Voire et sans retourner sejournast-il vingt ans :
Si de fortune apres revient en ta presence,,
Soudainement auras de luy recognoissance,
Ce qui est necessaire à un Prince d’avoir,
Pour jamais n’oublier ceux qui font leur devoir :
Car pour neant un homme au danger met sa vie
Pour son Prince servir, si son Prince l’oublie

Que diron-nous encor’ ? plus que les autres Roys
Tu es dur au travail : s’ilz portent le harnois
Une heure sur le dos, ilz ont l’eschine arnée,
Et en lieu d’un roussin prennent la hacquenée :
Mais un jour, voire deux, tu soustiens le labeur
Du harnois sus l’eschine, et juges la sueur
» Estre le vray parfum qui doit orner la face
» D’un Roy, qui pour combattre a vestu la cuirasse :
Aussi davant le temps le poil blanc t’est venu,
Et ja tu as le chef et le menton chenu,
Signe de grand travail, et de grande sagesse,
Qui de leurs beaux presens decorent ta jeunesse,
Luy adjoustant le poix de meure gravité…

Le Riche dessous toy ne craint aucunement
Qu’on luy oste ses biens par faulz accusement,
Le Voleur, le Meurtrier impunis ne demeurent,
Les hommes innocens par faux Juges ne meurent
Sous toy leur Protecteur, les coupables aussi
Envers ta Majesté treuvent peu de mercy,
Car tu n’es pas un Roy favorisant le vice,
Ny qui pour la faveur corrompe la Justice :
Mais tu es bien un Roy qui veux en verité
Que la Justice face à chacun equité.
Je ne dy pas aussi que vers l’homme coulpable
Ta Majesté ne soit quelque fois pitoyable :
S’il est fort et vaillant, et si ses vieux Ayeux
En guerre ont fait jadis quelque fait glorieux
A tes predecesseurs pour servir la Coronne,
A celuy quelque fois ta Clemence pardonne,
Car tu n’es pas cruel, et ta royalle main
Ne se resjoüist point du pauvre sang humain,
A l’exemple de Dieu, bien que du Ciel il voye
Que tout le genre humain icy bas se fourvoye
En vices dissolu, et ne veut s’amender,
Pourtant il ne luy plaist à tous coups debander
Son foudre punisseur sur la race des hommes,
Car il nous cognoist bien, et sçait de quoy nous sommes,
Et s’il vouloit ruer son tonnerre à tous coups
Que nous faisons peché, il nous occiroit tous :
Et pource, de pitié ses foudres il retarde,
Et en lieu de noz chefs, pour nous estonner, darde
Ou les sommets d’Athos, ou les Cerauniens,
Ou les pins sourcilleux des bois Dodoniens,
Ou les monstres marins, et du boulet qu’il rue
Tousjours nous espouvante, et peu souvent nous tue…

Or’ quant à la vertu qui plus t’esleve aux cieux,
C’est Libéralité, à l’exemple des Dieux
Qui donnent à foison, estimans l’Avarice
(Comme elle est vrayement) l’escolle de tout vice,
Laquelle plus est soule et plus cherche à manger
De l’or tres miserable aquis à grand danger :
Mais tu ne veux souffrir qu’un thresor dans le Louvre,
Se moisissant en vain, d’une rouille se couvre,
Tu en donnes beaucoup à tes soudars François,
Et à tes Conseillers qui dispensent tes loix,
Aux Princes de ton sang, et aux estranges Princes
Qui se rendent à toy, bannis de leurs Provinces :
Tu en despens beaucoup en Royaux bastimens,
Voire, et qui trop mieux vaut, aux soudars Allemans,
Aux Soüisses beaucoup, affin que tu achettes
Avecques pension leurs vies, tes sujettes,
Pour espargner ton peuple, aymant mieux aux dangers
Que tes propres sujetz mettre les estrangers,
Acte d’un Roy benin, et propre à toy, qui aymes
Le sang de tes sujetz autant que le tien mesmes.

On ne voit Artizan, en son art excellant,
Maçon, Peintre, Poëte, ou Escrimeur vaillant,
A qui ta plaine main, de grace, n’eslargisse
Quelque digne present de son bel artifice,
Et c’est l’occasion, ô magnanime Roy,
Que chacun te vient voir, et veut chanter de toy…

Que diray plus de toy ? et de l’obeissance
Que portois à ton Père es ans de ton enfance,
L’honorant tellement comme ton Pere et Roy
Que les autres enfans prenoient exemple à toy ?
Et certes, qui plus est, de rechef tu l’honores
Comme un Fils pitoyable apres sa mort encores
Environnant son corps d’un tombeau somptueux,
Où le docte cizeau d’un art presomptueux
A le marbre animé de batailles gravées,
Et des guerres par luy jadis parachevées.

  • Dedans ce Mausolée enclos en mesme estuy,

Tes deux Freres esteints dorment avecques luy,
Et ta Mere à ses flancz, lesquels t’aiment et prisent
Et du Ciel, où ilz sont, tes guerres favorisent,
Et sont tous resjouis : tes Freres, pour te voir
Sans eux faire si bien en France ton devoir,
Et ton Pere, dequoy icy bas en la terre
Tu le passes d’autant (quant aux faits de la guerre)
Qu’Achille fist Pelée, et qu’Ajax Telamon,
Et que son pere Atré le grand Agamemnon.
Car tu as (quelque cas que ta main delibere)
Tousjours de ton costé la Fortune prospere
Avecques la Vertu, et c’est ce qui te fait,
Pour t’allier des deux, venir tout à souhait.
Vray est quant à tes faitz, tu veux sur toute chose
Qu’aux gestes de ton Pere homme ne les propose,
Mais la Fame qui vole et parle librement,
Et qui sujette n’est à nul commandement,
Donne l’honneur aux tiens, et en cette partie
De tes humbles sujetz ta loy n’est obeïe.

O mon Dieu que de joye, et que d’aise reçoit
Ta Mere, quand du Ciel ça bas elle voit
Si bien regir ton peuple, et garder l’heritage
De sa noble Duché qui luy vint en partage,
Laquelle a plus de joye et de plaisir reçeu
De t’avoir en son ventre heureusement conçeu
Que Thetis d’enfanter Achille Peleïde
Ou Argie la Greque en concevant Tydide…

Artemis aux Veneurs, Mars preside aux Guerriers,
Vulcan aux Marechaux, Neptune aux Mariniers,
Les Poëtes Phebus et les Chantres fait naistre,
» Mais du grand Jupiter les Roys tiennent leur estre.
Aussi lon ne voit rien au monde si divin
Que sont les grandz Seigneurs, ne qui tant soit voisin
De Jupiter qu’un Roy, dont la main large et grande
Aux Soudars, aux Chasseurs, et aux Chantres commande,
Et bref à tout chacun : car sçauroit-on rien voir
Au monde, qui ne soit plié sous le pouvoir
De Roys, enfans du Ciel, qui leurs sceptres estandent
De l’une à l’autre Mer, et apres DIEU commandent ?
Jupiter est leur Pere, et generalement
Il fait des biens aux Roys, mais non egallement,
Car les uns ne sont Roys que d’une petite Isle,
Les autres d’un Desert, ou d’une pauvre Ville,
Les autres ont leur regne en un païs trop froid,
Glacé, souflé de vent, les autres sous l’endroit
Du Cancre chaleureux, où nul vent ne soulage
En Esté, tant soit peu, leur bazané visage :
Mais le nostre a le sien dans un lieu temperé,
Long, large, bien peuplé, de Villes remparé,
De Chasteaux et de Forts, dont les murs, qui se donnent
Au Ciel, de leur hauteur les estrangers estonnent.
Ce grand DIEU bien souvent des Princes l’apareil
Tranche au meilieu du fait, et leur rompt le conseil,
Les uns font en un an, ou deux, leurs entreprises,
Des autres à-neant les affaires sont mises,
Et tout cela qu’ilz ont pensé songneusement,
Par ne sçay quel Destin leur succede autrement :
Mais les petits pensers venus en souvenance
De nostre Roy sont faits aussi tost qu’ils les pense,
Quant à ceux qui sont grandz, si les pense au matin,
Pour le moins vers le soir il en aura la fin.
Tant Jupiter l’estime, et tant il est prospere
Aux courageux dessains que son cœur delibere.

Mais quoy ? ou je me trompe, pour le seur je croy
Que Jupiter a fait partage avec mon Roy :
Il n’a pour luy, sans plus, retenu que les Nües,
Des Comettes, des Ventz, et des Gresles menües,
Des Neiges, des frimatz, et des pluyes de l’air,
Et je ne sçay quel bruit entourné d’un esclair,
Et d’un boulet de feu, qu’on appelle Tonnerre,
Mais pour soy nostre Prince a retenu la terre,
Terre plaine de biens, de villes et de forts
Et d’hommes à la guerre et aux Muses acortz.

Si Jupiter se vante avoir sous sa puissance
Plus de Dieux que tu n’as, il est de ce qu’il pense
Trompé totallement : s’il se vante d’un Mars,
Tu en as plus de cent qui meinent tes soudars,
Messeigneurs de Vandosme, et messeigneurs de Guise,
De Nemours, de Nevers, qui la guerre ont aprise
Dessous ta Majesté : s’il se vante d’avoir
Un Mercure pour faire en parlant son devoir,
Nous en avons un autre, acort, prudent et sage
Et trop plus que le sien facond en son langage :
Soit qu’il parle Latin, parle Grec, ou François
A tous ambassadeurs, sa mïelleuse voix
Les rend tous esbahys, et par grande merveille
Le cœur de ses beaux mots leur tire par l’oreille,
Tant la douce Python ses levres arrosa
De miel, quand jeune enfant sa bouche composa.
C’est ce grand Demi-dieu, Cardinal de Lorraine,
Qui bien aymé de toy en ta France rameine
Les antiques vertus : mais par sus tous aussi
Tu as ton Connestable, Anne Mommorency,
Ton Mars, ton Porte-espée, aux armes redoutable,
Et non moins qu’à la guerre au conseil profitable :
De luy souventesfois esbahy je me suis
Que son cerveau ne rompt, tant il est jours et nuitz
Et par sens naturel, et par experience
Pensant et repensant aux affaires de France.
Car luy sans nul repos ne fait que travailler,
Soit à combatre en guerre, ou soit à conseiller,
Soit à faire responce aux pacquets qu’on t’envoye
Bref, c’est ce vieux Nestor qui estoit devant Troye,
Duquel tousjours la langue au logis conseilloit,
Et la vaillante main dans les champs batailloit…

Et n’as-tu pas encor’ un autre Mars en France,
Un Marechal d’Albon, dont l’heureuse vaillance
A nul de tous les Dieux ceder ne voudroit pas,
S’ilz se joignent ensemble au meillieu des combas ?
Et n’as-tu pas aussi (bien qu’elle soit absente
De son païs natal) ta noble et sage tante
Duchesse de Ferrare, en qui le Ciel a mis
Le sçavoir de Pallas, les vertus de Themis ?

Et n’as-tu pas aussi une Minerve sage,
Ta propre unique Sœur, instruite des jeune âge
En tous artz vertueux, qui porte en son Escu
(J’entens dedans son cœur des vices invaincu)
Comme l’autre Pallas le chef de la Gorgonne,
Qui transforme en rocher l’ignorante personne
Qui s’ose approcher d’elle et veut loüer son nom ?
Et n’as-tu pas aussi, en lieu d’une Junon,
La royne ton espouse en beaux enfans fertille ?
Ce que l’autre n’a pas, car elle est inutile
Au lict de Jupiter, et sans plus n’a conçeu
Qu’un Mars et qu’un Vulcan : l’un qui est tout bossu,
Boiteux et dehanché : et l’autre tout colere,
Qui veut le plus souvent faire guerre à son Pere :
Mais ceux que ton espouse a conçeus à-foison
De toy, pour l’ornement de ta noble maison,
Sont beaux, droitz, et bien nez, et qui des jeune enfance
Sont apris à te rendre une humble obeissance…

Cela que DIEU bastit dans le grand edifice
De ce monde admirable, et bref ce que DIEU fait
Par mouvement semblable est par luy contrefait.
Les autres nuit et jour fondent artillerie,
Et grandz Cyclopes nudz font une baterie,
A grandz coups de marteaux, et avec tel compas,
D’ordre l’un apres l’autre au Ciel levent les bras,
Puis en frapent si haut sur le metal qui sonne,
Que l’Archenal prochain et le fleuve en resonne.

Et bref, c’est presque un Dieu que le Roy des François :
Tu es tant obey quelque part où tu sois
Que des la mer Bretonne à la mer Provensalle,
Et des monts Pyrenez aux portes de l’Italle,
Bien que ton regne soit largement estandu,
Si tu avois toussé tu serois entendu :
Car tu n’es pas ainsi qu’un Roy Loys onziesme,
Ou comme fut jadis le Roy CHARLES septiesme,
Qui avoient des parents et des Freres mutins,
Lesquelz en s’aliant d’autres Princes voisins,
Ou d’un duc de Bourgogne, ou d’un duc de Bretaigne,
Pour le moindre raport se mettoient en campagne
Contre le Roy leur Frere, et faisoient contre luy
Son peuple mutiner pour luy donner ennuy :
Mais tu n’as ny parens, ny Frere qui s’alie
Meintenant de Bourgogne, ou de la Normandie,
Ou des Princes Bretons : tout est sujet à toy,
Et la France aujourduy ne connoist qu’un seul Roy,
Que toy Prince HENRY le monarque de France,
Qui te courbant le chef te rend obeissance.
Pour toy le jour se leve en ta France, et la Mer
Fait pour toy tout autour ses vagues escumer,
Pour toy la Terre est grosse, et tous les ans enfante,
Pour toy des grandz Forestz la perruque naissante
Tous les ans se refrise, et les Fleuves sinon
Ne courent dans la Mer que pour bruire ton nom…

Car tu ne fus content seulement du royaume
Par ton Pere laissé : avecques le heaume,
Et la lance, et l’escu, tu as pris un grand soing,
Comme Prince vaillant, d’en acquerir plus loing,
Voire et de ragaigner les place que ton Pere
Perdit davant sa mort sur l’Angloise frontiere.
Car aussi tost que DIEU t’eut, de grace, ordonné
D’estre en lieu de ton Pere en France couronné,
Lors que chacun pensoit que tu courois la lance,
Que tu faisois tournois, et masques pour la dance,
Et qu’en ris et en jeux, et passetemps plaisans
De lente oisiveté tu rouillois tes beaux ans :
Au bout de quinze jours France fut esbaye,
Que tu avois desja l’Angleterre envahye,
Et sans en faire bruit, par merveilleux effortz,
Tu avois ja conquis de Boulongne les forts,
Et par armes contraint cette arrogance Angloise
A te vendre Boulongne et la faire Françoise.

Tu ne fus pas content de ce premier honneur,
Mais suyvant ta fortune et ton premier bon heur,
Deux ou trois ans apres tu mis en la campaigne
Ton camp, pour afranchir les Princes d’Alemaigne :
Adonq toy vestu, non des armes que feint
Homere à son Achille, où tout le Ciel fut peint,
Ains armé de bon cœur, de force, et de proüesse :
Tu ne mis seulle aux champs la Françoise jeunesse,
Mais Anglois, Escossois, Italiens et Grecz ,
Ayant ouy ton nom, voulurent voir de pres
Le port de ta grandeur, et tous s’asubjetirent
A tes loix, et pour toy les armeures vestirent,
Où la crainte et l’honneur furent de toutes pars
Si deument observés entre tant de soudars
(Bien qu’ilz fussent divers, de façon et langage)
Que mesmes l’ennemy ne sentit le pillage
(Merveille), et pour ce coup l’espée et les harnois
Par ton commandement obeirent aux loix.

Tu pris Mets en passant, puis venu sus la rive
Du Rhin, là t’apparut l’Alemaigne captive,
Laquelle avoit d’ahan tout le dos recourbé,
Ses yeux estoient cavez, son visage plombé,
Son chef se herissoit à tresses depliées,
Et de chesnes de fer ses mains estoient liées :
Elle, un peu s’acoudant de travers sus le bort,
Te fist cette requeste : O Prince heureux et fort,
Si Nature et pitié aux Monarques commandent
D’aider aux pauvres Roys qui secours leur demandent,
Et si de droit il faut secourir ses parens
Lors qu’on les voit tombez aux dangers apparens :
Las ! pren compassion de ma serve misere,
Et Filz donne secours à moy qui suis ta Mere.
Quand Francus ton ayeul de Troye fut chassé,
Il vint en mon païs, puis ayant amassé
Un camp de mes enfans alla veincre la France,
Et des miens et de luy les tiens prindrent naissance.

Ainsi dist l’Alemaigne, et à-peine n’eut pas
Achevé, que ses fers luy tomberent en bas,
Son dos redevint droit, et ses yeux et sa face
Revestirent l’honneur de leur premiere grace,
Et soudain de captive en liberté se vit,
Tant un grand Roy de France au besoing luy servit !
Ainsi qu’un bon enfant qui de sa mere a cure
Et n’est point entaché d’une ingrate nature…

Estant soul de la terre, apres tu fis armer
La flotte de tes Naux, et l’envoyas ramer
Dedans la mer Tyrrene, où elle print à force
Maugré le Genevois la belle Isle de Corse,
Pour mieux faire sçavoir aux estrangers lointains
Combien un Roy de France a puissantes les mains.
Bref, apres avoir fait à l’ennemy cognoistre
Que par mer tu estois et par terre, son maistre,
Forcé de ton Destin et de tes nobles faitz,
Humble, te vint prier de luy donner la Paix,
Ce que facillement luy acordas de faire.
» Car souvent un vainqueur au vaincu veut complaire…

Or’ la Paix est rompue, et ne faut plus chercher
Qu’à se meurdrir en guerre, et à se detrancher
L’un l’autre par morceaux, la Pitié est bannye,
Et en lieu d’elle regne Horreur, et Tyrannie :
On oit de tous costé les armeures tonner,
On n’oit pres de la Meuse autre chose sonner
Que mailles et boucliers, et Mars, qui se pourmene
S’egaye en son harnois dedans un char monté,
De quatre grandz coursiers horriblement porté.
La Fureur et la Peur leur conduisent la bride,
Et la Fame emplumée, allant devant pour guide,
Laisse avec un grand flot çà et là parmy l’air
Sous le vent des chevaux son panage voler,
Et Mars, qui de son char les espaules luy presse,
D’un espieu Thracien contraint cette Deesse
De cent langues semer des bruitz et vrais et faux,
Pour effroyer l’Europe et la remplir de maux.

Tu seras, mon grand Roy, le premier des gendarmes
Contre les Bourguignons qui vestiras les armes
Avecques ta Noblesse, et le premier seras
Qui de ta lance à jour leurs bandes fauceras,
Et bravement suivy de ton Infanterie
Tu feras à tes piez une grand’ boucherie
Des corps des ennemys l’un sur l’autre acablez,
Plus menu qu’on ne voit (quand les cieux sont troublez
Des ventz aux moys d’Hyver) tomber du Ciel de gresle
Sur la mer, sur les champs, sur les bois pesle-mesle :
La gresle sus la gresle à grandz monceaux se suit,
Fait maint bond contre terre, et demeine un grand bruit…

Si par ta grand bonté tu m’invites ches toy,
J’iray en ton Palais, menant avecques moy
(Si homme les mena) Phebus et Calliope,
Pour te celebrer Roy le plus grand de l’Europe :
» Car avecque l’honneur le labeur est util,
» Quand on cultive un champ qui est gras et fertil
Un Roy, tant soit il grand en terre ou en proüesse,
Meurt comme un laboureur sans gloire, s’il ne laisse
Quelque renom de luy, et ce renom ne peut
Venir apres la mort, si la Muse ne veut
Le donner à celluy qui doucement l’invite,
Et d’honneste faveur compense son merite.
Non, je ne suis tout seul, non, tout seul je ne suis,
Non, je ne le suis pas, qui par mes œuvres puis
Donner aux grandz Seigneurs une gloire eternelle :
Autres le peuvent faire, un Bellay, un Jodelle,
Un Baïf, Pelletier, un Belleau, et Tiard,
Qui des neuf Sœurs en don ont reçeu le bel art
De faire par les vers les grandz Seigneurs revivre,
Mieux que leurs bastimens, ou leurs fontes de cuivre
Mais quoy ? Prince, on dira que je suis demandeur,
Il vaut mieux achever l’Hymne de ta grandeur :
Car, peut estre, il t’ennuye oyant chose si basse,
Puis ma lyre s’enroue, et mon pouce se lasse.

Escoute donq ma voix, ô déesse Victoire,
Qui guaris des soudars les plaies, et qui tiens
En ta garde les Roys, les villes et leurs biens :
Qui portes une robe emprainte de trophées,
Qui as de ton beau chef les tresses estophées
De palme et de laurier, et qui montres sans peur
Aux hommes, comme il faut endurer le labeur :
Soit que tu sois au Ciel voisine à la Couronne,
Soit que ta Majesté gravement environne
Le trosne à Jupiter ou l’armet de Pallas,
Ou la bouclier de Mars : vien Deesse icy bas
Favoriser HENRY, et d’un bon œil regarde
La France pour jamais, et la pren sous ta garde.

Hymne de France

… Toujours le Grec la Grèce vantera,
Et l’Espagnol l’Espagne chantera,
L’Italien les Itales fertiles,
Mais moi Français la France aux belles villes,
Et son renom, dont le crieur nous sommes,
Ferons voler par les bouches des hommes…
Il ne faut point que l’Arabie heureuse,
Ni par son Nil l’Egypte plantureuse,
Ni l’Inde riche en mercerie étrange,
Fasse à la tienne égale sa louange;
Qui d’un clin d’oeil un monde peux armer,
Qui as les bras si longs dessus la mer,
Qui tiens sur toi tant de ports et de villes,
Et où les lois divines et civiles
En long repos tes citoyens nourrissent.
On ne voit point par les champs qui fleurissent
Errer ensemble un tel nombre d’abeilles,
Baisant les lis et les rosés vermeilles;
Ni par l’été ne marchent au labeur
Tant de fourmis, animaux qui ont peur
Qu’en leur vieillesse ils n’endurent souffrance,
Comme l’on voit d’hommes par notre France
Se remuer; soit quand Bellone anime
La majesté de leur coeur magnanime,
Ou quand la paix à son rang retournée,
Chacun renvoie exercer sa journée…
Mille troupeaux frisés de fines laines
Comme escadrons se campent en nos plaines;
Maint arbrisseau, qui porte sur ses branches
D’un or naïf pommes belles et franches,
Y croît aussi, d’une part verdissant,
De l’autre part ensemble jaunissant,
Le beau Grenat à la joue vermeille,
Et le Citron, délices de Marseille,
Fleurit ès champs de la Provence à gré.
Et l’Olivier à Minerve sacré
Leur fait honneur de ses fruits automniers,
Et jusqu’au ciel s’y dressent les Palmiers;
Le haut Sapin, qui par flots étrangers
Doit aller voir de la mer les dangers,
Y croît aussi et le Buis qui vaut mieux,
Pour y tailler les images des Dieux,
De ses bons Dieux, qui ont toujours souci
Et de la France et de mes vers aussi…
Ici et là, comme célestes flammes,
Luisent les yeux de nos pudiques femmes,
Qui toute France honorent de leur gloire,
Ores montrant leurs épaules d’ivoire,
Ores le col d’albâtre bien uni,
Ores le sein où l’honneur fait son nid;
Qui pour dompter la cagnarde paresse,
Vont surmontant d’une gentille adresse
Le vieil renom des pucelles d’Asie,
Pour joindre à l’or la soie cramoisie,
Ou pour broder au métier proprement
D’un nouveau Roi le riche accoutrement.
Que dirai plus des lacs et des fontaines,
Des bois tondus et des forêts hautaines?
De ces deux mers, qui d’un large et grand tour
Vont presque France emmurant tout autour?
Maint grand vaisseau, qui maint butin amène,
Parmi nos flots sûrement se promène.
Au dos des monts les grands forêts verdoient
Et à leurs pieds les belles eaux ondoient…
Dedans l’enclos de nos belles cités
Mille et mille arts y sont exercités.
Le lent sommeil, ni la morne langueur
Ne rompent point des jeunes la vigueur…
La Poésie et la Musique Soeurs,
Qui nos ennuis charment de leurs douceurs,
Y ont r’aquis leurs louanges antiques.
L’art non menteur de nos Mathématiques
Commande aux Cieux; la fièvre fuit devant
L’experte main du médecin savant.
Nos imagers ont la gloire en tout lieu
Pour figurer soit un Prince ou un Dieu,
Si vivement imitant la nature
Que l’oeil ravi se trompe en leur peinture.
Un million de fleuves vagabonds,
Traînant leurs flots délicieux et bons,
Lèchent les murs de tant de villes fortes,
Dordogne, Somme, et toi Seine, qui portes
Dessus ton dos un plus horrible faix
Que sur le tien Neptune tu ne fais.
Ajoutez-y tant de palais dorés,
Tant de sommets de temples honorés,
Jadis rochers, que la main du maçon
Elabora d’ouvrage et de façon.
L’art dompte tout, et la persévérance.
Que dirons-nous encor de notre France?…
C’est celle-là qui a produit ici
Roland, Renaud, et Charlemagne aussi,
Lautrec, Bayard, Trimouille et la Palice,
Et toi Henri,…
Roi qui doit seul par le fer de la lance,
Rendre l’Espagne esclave de sa France,
Et qui naguère a l’Anglais abattu,
Le premier prix de sa jeune vertu.
Qu’en leur vieillesse ils n’endurent souffrance,
Comme l’on voit d’hommes par notre France
Se remuer; soit quand Bellone anime
La majesté de leur coeur magnanime,
Ou quand la paix à son rang retournée,
Chacun renvoie exercer sa journée…
Mille troupeaux frisés de fines laines
Comme escadrons se campent en nos plaines;
Maint arbrisseau, qui porte sur ses branches
D’un or naïf pommes belles et franches,
Y croît aussi, d’une part verdissant,
De l’autre part ensemble jaunissant,
Le beau Grenat à la joue vermeille,
Et le Citron, délices de Marseille,
Fleurit ès champs de la Provence à gré.
Et l’Olivier à Minerve sacré
Leur fait honneur de ses fruits automniers,
Et jusqu’au ciel s’y dressent les Palmiers;
Le haut Sapin, qui par flots étrangers
Doit aller voir de la mer les dangers,
Y croît aussi et le Buis qui vaut mieux,
Pour y tailler les images des Dieux,
De ses bons Dieux, qui ont toujours souci
Et de la France et de mes vers aussi…
Ici et là, comme célestes flammes,
Luisent les yeux de nos pudiques femmes,
Qui toute France honorent de leur gloire,
Ores montrant leurs épaules d’ivoire,
Ores le col d’albâtre bien uni,
Ores le sein où l’honneur fait son nid;
Qui pour dompter la cagnarde paresse,
Vont surmontant d’une gentille adresse
Le vieil renom des pucelles d’Asie,
Pour joindre à l’or la soie cramoisie,
Ou pour broder au métier proprement
D’un nouveau Roi le riche accoutrement.
Que dirai plus des lacs et des fontaines,
Des bois tondus et des forêts hautaines?
De ces deux mers, qui d’un large et grand tour
Vont presque France emmurant tout autour?
Maint grand vaisseau, qui maint butin amène,
Parmi nos flots sûrement se promène.
Au dos des monts les grands forêts verdoient
Et à leurs pieds les belles eaux ondoient…
Dedans l’enclos de nos belles cités
Mille et mille arts y sont exercités.
Le lent sommeil, ni la morne langueur
Ne rompent point des jeunes la vigueur…
La Poésie et la Musique Soeurs,
Qui nos ennuis charment de leurs douceurs,
Y ont r’aquis leurs louanges antiques.
L’art non menteur de nos Mathématiques
Commande aux Cieux; la fièvre fuit devant
L’experte main du médecin savant.
Nos imagers ont la gloire en tout lieu
Pour figurer soit un Prince ou un Dieu,
Si vivement imitant la nature
Que l’oeil ravi se trompe en leur peinture.
Un million de fleuves vagabonds,
Traînant leurs flots délicieux et bons,
Lèchent les murs de tant de villes fortes,
Dordogne, Somme, et toi Seine, qui portes
Dessus ton dos un plus horrible faix
Que sur le tien Neptune tu ne fais.
Ajoutez-y tant de palais dorés,
Tant de sommets de temples honorés,
Jadis rochers, que la main du maçon
Elabora d’ouvrage et de façon.
L’art dompte tout, et la persévérance.
Que dirons-nous encor de notre France?…
C’est celle-là qui a produit ici
Roland, Renaud, et Charlemagne aussi,
Lautrec, Bayard, Trimouille et la Palice,
Et toi Henri,…
Roi qui doit seul par le fer de la lance,
Rendre l’Espagne esclave de sa France,
Et qui naguère a l’Anglais abattu,
Le premier prix de sa jeune vertu.
Je te salue, ô terre plantureuse,
Heureuse en peuple, et en Princes heureuse!
Moi ton Poète, ayant premier osé
Avoir ton los en rime composé,
Je te suppli’ qu’à gré te soit ma Lyre…

Hymne du printemps

Quand ce beau printemps je vois,
J’aperçois
Rajeunir la terre et l’onde
Et me semble que le jour
Et l’Amour
Comme enfants naissent au monde.
Le jour qui plus beau se fait
Nous refait
Plus belle et verte la terre;
Et Amour, armé de traits
Et d’attraits,
Dans nos coeurs nous fait la guerre.
Il répand de toutes parts
Feux et dards,
Et dompte sous sa puissance
Hommes, bêtes et oiseaux,
Et les eaux
Lui rendent obéissance.
Vénus avec son enfant
Triomphant,
Au haut de son coche assise,
Laisse ses cygnes voler
Parmi l’air
Pour aller voir son Anchise.
Quelque part que ses beaux yeux
Par les cieux
Tournent leurs lumières belles,
L’air qui se montre serein
Est tout plein
D’amoureuses étincelles.
Puis en descendant à bas
Sous ses pas
Croissent mille fleurs écloses;
Les beaux lis et les oeillets
Vermeillets
Y naissent entre les roses.
Je sens en ce mois si beau
Le flambeau
D’Amour qui m’échauffe l’âme,
Y voyant de tous côtés
Les beautés
Qu’il emprunte de ma Dame.
Quand je vois tant de couleurs
Et de fleurs
Qui émaillent un rivage,
Je pense voir le beau teint
Qui est peint
Si vermeil en son visage.
Quand je vois les grands rameaux
Des ormeaux
Qui sont lacés de lierre,
Je pense être pris ès lacs
De ses bras,
Et que mon col elle serre.
Quand j’entends la douce voix
Par les bois
Du gai rossignol qui chante,
D’elle je pense jouir
Et ouïr
Sa douce voix qui m’enchante.
Quand Zéphyre mène un bruit
Qui se suit
Au travers d’une ramée,
Des propos il me souvient
Que me tient
La bouche de mon aimée.
Quand je vois en quelque endroit
Un pin droit,
Ou quelque arbre qui s’élève,
Je me laisse décevoir,
Pensant voir
Sa belle taille et sa grève.
Quand je vois dans un jardin
Au matin
S’éclore une fleur nouvelle,
J’accompare le bouton
Au teton
De son beau sein qui pommelle.
Quand le Soleil tout riant
D’Orient
Nous montre sa blonde tresse,
Il me semble que je voi
Près de moi
Lever ma belle maîtresse.
Quand je sens parmi les prés
Diaprés
Les fleurs dont la terre est pleine,
Lors je fais croire à mes sens
Que je sens
La douceur de son haleine.
Bref, je fais comparaison,
Par raison,
Du printemps et de m’amie;
Il donne aux fleurs la vigueur,
Et mon coeur
D’elle prend vigueur et vie.
Je voudrais au bruit de l’eau
D’un ruisseau
Déplier ses tresses blondes,
Frisant en autant de noeuds
Ses cheveux,
Que je verrais friser d’ondes.
Je voudrais pour la tenir
Devenir
Dieu de ces forêts désertes,
La baisant autant de fois
Qu’en un bois
Il y a de feuilles vertes.
Ha! maîtresse, mon souci,
Viens ici,
Viens contempler la verdure!
Les fleurs de mon amitié
Ont pitié,
Et seule tu n’en as cure.
Au moins, lève un peu tes yeux
Gracieux,
Et vois ces deux colombelles,
Qui font naturellement
Doucement
L’amour du bec et des ailes.
Et nous, sous ombre d’honneur,
Le bonheur
Trahissons par une crainte;
Les oiseaux sont plus heureux,
Amoureux,
Qui font l’amour sans contrainte.
Toutefois ne perdons pas
Nos ébats
Pour ces lois tant rigoureuses;
Mais, si tu m’en crois, vivons
Et suivons
Les colombes amoureuses.
Pour effacer mon émoi
Baise-moi,
Rebaise-moi, ma Déesse;
Ne laissons passer en vain
Si soudain
Les ans de notre jeunesse.

Hymne à l’automne

Je n’avais pas quinze ans que les monts et les bois
Et les eaux me plaisaient plus que la cour des Rois,
Et les noires forêts en feuillage voutées,
Et du bec des oiseaux les roches picotées ;
Une vallée, un antre en horreur obscurci,
Un désert effroyable était tout mon souci ;
A fin de voir au soir les Nymphes et les Fées
Danser dessous la lune en cotte par les prées
Fantastique d’esprit, et de voir les Sylvains
Etre boucs par les pieds et hommes par les mains,
Et porter sur le front des cornes en la sorte
Qu’un petit agnelet de quatre mois les porte.
J’allais après la dance, et craintif je pressais
Mes pas dedans le trac des Nymphes, et pensais
Que pour mettre mon pied en leur trace poudreuse
J’aurais incontinent l’âme plus généreuse ;
Ainsi que l’Ascrean qui gravement sonna
Quand l’une des neuf Sœurs du laurier lui donna.
Or je ne fus trompé de ma jeune entreprise ;
Car la gentille Euterpe ayant ma dextre prise,
Pour m’ ôter le mortel par neuf fois me lava
De l’eau d’une fontaine où peu de monde va,
Me charma par neuf fois, puis d’une bouche enflée
(Ayant dessus mon chef son haleine soufflée)
Me hérissa le poil de crainte et de fureur,
Et me remplit le cœur d’ingénieuse erreur,
En me disant ainsi : « Puisque tu veux nous suivre,
Heureux après la mort nous te ferons revivre
Par longue renommée, et ton los ennobli
Accablé du tombeau n’ira point en oubli.»
« Tu seras du vulgaire appelé frénétique,
Insensé, furieux, farouche, fantastique,
Maussade, malplaisant, car le peuple médit
De celui qui de mœurs aux siennes contredit.
Mais courage, Ronsard ! les plus doctes poètes,
Les Sibylles, Devins, Augures et Prophètes,
Hués, sifflés, moqués des peuples ont été,
Et toutefois, Ronsard, ils disaient vérité.
N’espère d’amasser de grands biens en ce monde :
Une forêt, un pré, une montagne, une onde
Sera ton héritage, et seras plus heureux
Que ceux qui vont cachant tant de trésors chez eux.
Tu n’auras point de peur qu’un Roi, de sa tempête,
Te vienne en moins d’un jour escarbouiller la tête
Ou confisquer tes biens, mais, tout paisible et coi,
Tu vivras dans les bois pour la Muse et pour toi. »
Ainsi disait la nymphe, et de là je vins être
Disciple de Dorat, qui longtemps fut mon maître ;
M’apprit la poésie, et me montra comment
On doit feindre et cacher les fables proprement,
Et à bien déguiser la vérité des choses
D’un fabuleuxmanteau dont elles sont encloses.
J’appris en son école à immortaliser
Les hommes que je veux célébrer et priser,
Leur donnant de mes biens, ainsi que je te donne
Pour présent immortel l’Hymne de cet automne.

Hymne à la nuit 

Nuit, des amours ministre et sergente fidèle
Des arrêts de Venus, et des saintes lois d’elle,
Qui secrète accompagne
L’impatient ami de l’heure accoutumée,
Ô l’aimée des Dieux, mais plus encore aimée
Des étoiles compagnes,

Nature de tes dons adore l’excellence,
Tu caches les plaisirs dessous muet silence
Que l’amour jouissante
Donne, quand ton obscur étroitement assemble
Les amants embrassés, et qu’ils tombent ensemble
Sous l’ardeur languissante.

Lorsque l’amie main court par la cuisse, et ores
Par les tétins, auxquels ne se compare encore
Nul ivoire qu’on voie,
Et la langue en errant sur la joue, et la face,
Plus d’odeurs, et de fleurs, là naissantes, amasse
Que I’Orient n’envoie.

C’est toi qui les soucis, et les gênes mordantes,
Et tout le soin enclos en nos âmes ardentes
Par ton présent arraches.
C’est toi qui rends la vie aux vergers qui languissent,
Aux jardins la rosée, et aux cieux qui noircissent
Les idoles attaches.

Mais, si te plaît déesse une fin à ma peine,
Et donte sous mes bras celle qui est tant pleine
De menaces cruelles.
Afin que de ses yeux (yeux qui captifs me tiennent)
Les trop ardents flambeaux plus brûler ne me viennent
Le fond de mes mouelles.

L’hymne de la mort

D’autant que le Sommeil est le frere de celle,
Qui l’ame reconduit à la vie éternelle.
Où plus elle n’endure avec son Dieu là-haut
Ny peine, ny souci, ny froidure, ny chaud,
Procès, ny maladie ; ains, de tout mal exempte,
De siecle en siecle vit, bien-heureuse et contente,
Aupres de son facteur, non plus se renfermant
En quelque corps nouveau, ou bien se transformant
En estoile, ou vagant par l’air dans les nuages,
Ou voletant çà-bas dans les deserts sauvages
Comme beaucoup ont creu, mais en toute saison
Demourant dans le Ciel, son antique maison,
Pour contempler de Dieu l’éternelle puissance,
Les Démons, les Héros et l’Angelique essence,
Les Astres, le Soleil, et le merveilleux tour
De la voûte du Ciel qui nous cerne à l’entour,
Se contentant de voir dessous elle les nues,
La grand’mer ondoyante, et les terres cognues,
Sans plus y retourner ; car, à la vérité,
Rien peu se sentiroit de ta benignité,
O gracieuse Mort ! si, pour la fois seconde,
Abandonnoit le Ciel, et revenoit au monde.
Aussi dans ton lien tu ne la peux avoir
Qu’un coup, bien que ta main estende son pouvoir
En cent mille façons sur toute chose née.
Car, naissans, nous mourons : telle est la destinée
Des corps sujets à toy, qui tiens tout, qui prens tout
Qui n’as en ton pouvoir certaine fin ne bout ;
Et ne fust de Venus l’ame generative,
Qui tes fautes repare, et rend la forme vive,
Le monde periroit, mais son germe en refait
Autant de son costé, que ton dard en desfait.
Que ta puissance, ô Mort, est grande et admirable !
Rien au monde par toy ne se dit perdurable,
Mais, tout ainsi que l’onde aval des ruisseaux fuit
Le pressant coulement de l’autre qui la suit,
Ainsi le temps se coule, et le present fait place
Au futur importun, qui les talons luy trace.
Ce qui fut, se refait ; tout coule, comme une eau,
Et rien dessous le Ciel ne se voit de nouveau,
Mais la forme se change en une autre nouvelle.
Et ce changement-là, -Vivre, au monde s’appelle,
Et Mourir, quand la forme en une autre s’en-va.
Ainsi, avec Venus, la Nature trouva
Moyen de ranimer, par longs et divers changes,
La matière restant, tout cela que tu manges ;
Mais nostre ame immortelle est toujours en un lieu,
Au change non sujette, assise auprès de Dieu,
Citoyenne à jamais de la ville etherée,
Qu’elle avoit si long temps en ce corps desirée.
Je te salue, heureuse et profitable Mort,
Des extremes douleurs, medecin et confort.

Les Discours (1562 – 1563)

Poète engagé et officiel de la cour de Charles IX, Ronsard déploie la réthorique dans laquelle il excelle pour écrire sur les affaires de la France. Face aux menaces qui pèsent sur le pays, il ses sent interpelé pour défendre son unité et ses intêrets. Les Discours s’adressent essenteillemnt à tous ceux qui peuvent apporter un plus pour sortir la nation de la guerre civile dans laquelle les potestants l’ont plongée. Ils sont en faveur de Charles IX et de la paix. Pendant que Bellay caricature les courtisans et les cardinaux, lui prend part à la querelle de religion auprès des catholiques. Ronsard se transforme en militant. Pour agir sur le lecteur et l’influencer, il utilise une écriture plus pragmatique .    

Institution pour l’adolescence du roy treschrestien
Charles neufviesme de ce nom (1562)

Tout en restant poétique, Ronsard développe ici un discours également humaniste dont les enjeux sont cependant idéologiques, politiques et historiques. Il donne l’image idéale que doit être celle d’un prince pour être l’exemple, un modèle à imiter. Un prince que seul un poète peut conseiller, éclairer et aider à parfaire l’éducation qui doit être avant tout chrétienne dans une monarchie de droit divin et humaniste.

Extraits

Sire, ce n’est pas tout que d’estre Roy de France,
Il faut que la vertu honore vostre enfance :
Car un Roy sans vertu porte le sceptre en vain,
Et luy sert de fardeau, qui luy charge la main :
Pource on dit que Thetis la femme de Pelée,
Apres avoir la peau de son enfant brûlée
Pour le rendre immortel, le prist en son giron
Et de nuit l’emporta dans l’Antre de Chiron,
Chiron noble Centaure, à fin de luy aprendre
Les plus rares vertus dés sa jeunesse tendre,
Et de science et d’art son Achille honorer :
Car l’esprit d’un grand Roy ne doit rien ignorer.

Il ne doit seulement sçavoir l’art de la guerre,
De garder les cités, ou les ruer par terre,
De piquer les chevaux, ou contre son harnois
Recevoir mille coups de lances aux tournois :
De sçavoir comme il faut dresser une Embuscade,
Ou donner une Cargue, ou une Camisade,
Se renger en bataille, et soubs les estandars
Mettre par artifice en ordre ses soldars.

Les Roys les plus brutaulx telles choses n’ignorent,
Et par le sang versé leurs couronnes honorent :
Tout ainsi que Lyons, qui s’estiment alors
De tous les animaux estre veuz les plus fors,
Quand ils se sont repeuz d’un Cerf au grand corsage,
Et ont remply les champs de meurtre et de carnage.

Mais les princes Chrestiens n’estiment leur vertu
Procéder ny de sang ni de glaive pointu :
Ains par les beaux mestiers qui des Muses procedent,
Et qui de gravité tous les autres excédent :
Quand les Muses qui sont filles de Jupiter
(Dont les Roys sont issus) les Roys daignent hanter,
Elles les font marcher en toute reverence :
Loing de leur magesté banissent l’ignorance,
Et tous remplis de grace et de divinité,
Les font parmy le peuple ordonner equité.
Ils deviennent apris en la mathematique,
En l’art de bien parler, en histoire et musique,
En physiognomie, à fin de mieux sçavoir
Juger de leurs subjects seulement à les voir.

Telle science sceut le jeune prince Achille,
Puis scavant et vaillant il fit mourir Troille
Sur le champ Phrygien, et fit mourir encor
Le magnanime orgueil du furieux Hector,
Il tua Sarpedon, tua Pentasilée
Et par luy la cité de Troye fut brulée.
Tel fut jadis Thesée, Hercules, et Jason,
Et tous les vaillans preux de l’antique saison.
Tel vous serez aussi, si la Parque cruelle
Ne tranche avant le temps vostre trame nouvelle :

Car Charles, vostre nom tant commun à nos Roys,
Nom du Ciel revenu en France par neuf fois,
Neuf fois nombre parfait, comme cil qui assemble
Pour sa perfection trois Triades ensemble,
Monstre que vous aurez l’Empire, et le renom
Des huict Charles passez dont vous portés le nom.
Mais pour vous faire tel, il faut de l’artifice
Et dés jeunesse aprendre à combattre le vice.

Il faut premierement aprendre à craindre Dieu
Dont vous estes l’ymage : et porter au milieu
De vostre cueur son nom, et sa saincte parolle,
Comme le seul secours dont l’homme se consolle.

Apres si vous voulés en terre prosperer,
Il vous faut vostre mere humblement honorer,
La craindre et la servir, qui seulement de mere
Ne vous sert pas icy, mais de garde, et de père.
Apres, il fault tenir la loy de vos ayeulx,
Qui furent Roys en terre, et sont là hault aux cieux :
Et garder que le peuple imprime en sa cervelle
Les curieux discours d’une secte nouvelle.

Apres il fault apprendre à bien imaginer,
Autrement la raison ne pourroit gouverner :
Car tout le mal qui vient à l’homme prend naissance
Quand par sus la Raison le Cuider a puissance :

Tout ainsi que le corps s’exerce en travaillant,
Il faut que la Raison s’exerce en bataillant
Contre la monstrueuse et faulse fantasie,
De peur que vainement l’ame n’en soit saisie.
Car ce n’est pas le tout de sçavoir la vertu,
Il faut cognoistre aussi le vice revestu
D’un habit vertueux, qui d’autant plus offence
Qu’il se monstre honorable, et a belle aparance.

De là vous aprendrés à vous cognoistre bien,
Et en vous cognoissant vous ferés toujours bien :
Le vray commencement pour en vertus acroistre,
C’est (disoit Apollon) soymesme se cognoistre.
Celuy qui se cognoist, est seul maistre de soy,
Et sans avoir Royaume il est vrayement un Roy.

Commencés donq ainsi : puis si tost que par l’age
Vous serés homme fait de corps, et de courage,
Il fauldra de vous-mesme aprendre à commander,
A oyr vos subjects, les voir, et demander,
Les cognoistre par nom, et leur faire justice,
Honorer la vertu et corriger le vice.

Malheureux sont les Roys qui fondent leur apuy
Sur l’ayde d’un commis : qui par les yeux d’autruy
Voyent l’estat du peuple, et oyent par l’oreille
D’un flateur mensonger qui leur conte merveille.
Tel Roy ne regne pas, ou bien il regne en peur
(D’autant qu’il ne sçait rien) d’offencer un flateur.

Mais (Sire) ou je me trompe en voyant vostre grace
Ou vous tiendrez d’un Roy la legitime place :
Vous ferés vostre charge, et comme un prince doux
Audience et faveur vous donnerez à tous.

Vostre palais Royal cognoistrez en presence :
Et ne commetrez point une petite offence :
Si un pilote faut, tant soit peu, sur la mer,
II fera desoubs l’eau la navire abismer.
Aussi faillant un Roy tant soit peu, la province
Se perd, car volontiers le peuple suit son prince.

Aussi pour estre Roy vous ne devés penser
Vouloir comme un Tyran vos subjects offencer,
Car comme nostre corps, vostre corps est de boue :
Des petits et des grands la fortune se joüe :
Tous les regnes mondains se font et se defont,
Et au gré de fortune ils viennent et s’en vont,
Et ne durent non plus qu’une flamme allumée
Qui soudain est esprise et soudain consumée.

Or, Sire, imités Dieu, lequel vous a donné
Le sceptre, et vous a fait un grand Roy couronné,
Faites misericorde à celuy qui supplie,
Punissés l’orgueilleux qui s’arme en sa follie,
Ne poussés par faveur un homme en dignité,
Mais choisissés celuy qui l’a bien merité.
Ne baillés pour argent ny estats, ny offices,
Ne donnés aux premiers les vaccans benefices,
Ne souffrés pres de vous ne flateurs, ne vanteurs,
Fuyés ces plaisans fols qui ne sont que menteurs,
Et n’endurés jamais que les langues legeres
Mesdisent des Seigneurs des terres estrangeres.

Ne soyés point moqueur ny trop hault à la main,
Vous souvenant toujours que vous estes humain.
Ne pillez vos subjects par rançons ny par tailles,
Ne prenés sans raison ny guerres ny batailles,
Gardés le vostre propre, et vos biens amassés,
Car pour vivre content vous en avés assés.

S’il vous plaist vous garder sans archers de la garde,
Il faut que d’un bon œil le peuple vous regarde,
Qu’il vous ayme sans creinte, ainsi les puissans Roys
Ont gardé leur Empire, et non par le harnois.

Comme le corps Royal ayés l’ame Royalle,
Tirés le peuple à vous d’une main liberalle,
Et pensés que le mal le plus pernicieux
C’est un prince sordide et avaritieux.

Ayés autour de vous des personnes notables,
Et les oyés parler volontiers à vos tables,
Soyés leur auditeur comme fut vostre ayeul,
Ce grand François qui vit encores au cercueil.

Soyés comme un bon prince amoureux de la gloire,
Et faites que de vous se remplisse une histoire
Du temps victorieux, vous faisant immortel,
Comme Charles le Grand, ou bien Charles Martel.

Ne souffrés que les grands blessent le populaire,
Ne souffrés que le peuple au grand puisse desplaire,
Gouvernés vostre argent par sagesse et raison :
Le prince qui ne peut gouverner sa maison,
Sa femme, ses enfans, et son bien domestique,
Ne sçauroit gouverner une grand republique.

Pensés long temps devant que faire aucuns Edicts,
Mais si tost qu’ils seront devant le peuple mis,
Qu’ils soient pour tout jamais d’invincible puissance,
Car autrement vos loix sentiroient leur enfance.

Ne vous monstrés jamais pompeusement vestu,
L’habillement des Roys est la seule vertu :
Que votre corps reluise en vertus glorieuses,
Et non pas vos habits de perles precieuses.

D’amis plus que d’argent monstrés vous desireux,
Les Princes sans amis sont toujours malheureux.
Aymés les gens de bien, ayant toujours envie
De ressembler à ceux qui sont de bonne vie.
Punissés les malins et les seditieux :
Ne soyés point chagrin, despit, ne furieux,
Mais honeste et gaillard, portant sur le visage,
De vostre gentil’ame un gentil tesmoignage.

Or, Sire, pour autant que nul n’a le pouvoir
De chastier les Roys qui font mal leur devoir,
Punissés vous vous mesme, à fin que la Justice
De Dieu, qui est plus grand, vos fautes ne punisse.

Je dy ce puissant Dieu dont l’Empire est sans bout
Qui de son trosne assis en la terre voit tout,
Et fait à un chascun ses justices égalles.
Autant aux laboureurs qu’aux personnes Royalles :
Lequel je suppliray vous tenir en sa loy,
Et vous aymer autant qu’il fit David son Roy,
Et rendre comme à luy vostre sceptre tranquile :
Car sans l’ayde de Dieu la force est inutile.

Discours des misères de ce temps (1562)

Ce discours, qu’il compose après l’éclatement de la guere civile en 1562, s’adresse à Catherine de Médicis la Reine mère et à Théodore de Bèze (le chef des protestants). Il exhorte la première à user de son pouvoir, de son autorité et de son influence pour ramener la paix. Au second, tout en s’emportant contre les protestants qu’il accuse responsables de la guerre civile, il rappelle que la foi dicte de préférer la patience chrétienne à la violence.

Extraits

A la Reine, mère du Roi

… Las! ma Dame, en ce temps que le cruel orage
Menace les Français d’un si piteux naufrage,
Que la grêle et la pluie, et la fureur des cieux
Ont irrité la mer de vents séditieux,
Et que l’astre Jumeau ne daigne plus reluire,
Prenez le gouvernail de ce pauvre navire,
Et malgré la tempête, et le cruel effort
De la mer et des vents, conduisez-le à bon port.
La France à jointes mains vous en prie et reprie,
Las! qui sera bientôt et proie et moquerie
Des Princes étrangers, s’il ne vous plaît en bref
Par votre autorité apaiser son méchef.
Ha! que diront là-bas sous les tombes poudreuses
De tant de vaillants Rois les âmes généreuses?
Que dira Pharamond, Clodion et Clovis,
Nos Pépins, nos Martels, nos Charles, nos Loïs,
Qui de leur propre sang à tous périls de guerre
Ont acquis à leurs fils une si belle terre?
Que diront tant de Ducs et tant d’hommes guerriers
Qui sont morts d’une plaie au combat les premiers,
Et pour France ont souffert tant de labeurs extrêmes,
La voyant aujourd’hui détruire par soi-mêmes?
Ils se repentiront d’avoir tant travaillé,
Assailli, défendu, guerroyé, bataillé
Pour un peuple mutin divisé de courage,
Qui perd en se jouant un si bel héritage;
Héritage opulent, que toi, peuple qui bois
La Tamise Albionne, et toi, More qui vois
Tomber le chariot du Soleil sur ta tête,
Et toi, race Gothique aux armes toujours prête,
Qui sens la froide bise en tes cheveux venter,
Par armes n’aviez su ni froisser ni dompter.
Car tout ainsi qu’on voit de la dure cognée
Moins reboucher le fer, plus est embesognée
A couper, à trancher, et à fendre du bois,
Ainsi par le travail s’endurcit le François,
Lequel, n’ayant trouvé qui par armes le dompte,
De son propre couteau soi-même se surmonte…
O toi, historien, qui d’encre non menteuse
Ecris de notre temps l’histoire monstrueuse,
Raconte à nos enfants tout ce malheur fatal,
Afin qu’en te lisant ils pleurent notre mal
Et qu’ils prennent exemple aux péchés de leurs pères
De peur de ne tomber en pareilles misères.
De quel front, de quel oeil, ô siècles inconstants!
Pourront-ils regarder l’histoire de ce temps
En lisant que l’honneur et le sceptre de France,
Qui depuis si long âge avait pris accroissance,
Par une opinion nourrice des combats
Comme une grande roche est bronché contre bas!…
L’artisan par ce monstre a laissé sa boutique,
Le pasteur ses brebis, l’avocat sa pratique,
Sa nef le marinier, sa foire le marchand,
Et par lui le prudhomme est devenu méchant.
L’écolier se débauche, et de sa faux tortue
Le laboureur façonne une dague pointue,
Une pique guerrière il fait de son râteau,
Et l’acier de son coutre il change en un couteau.
Morte est l’autorité; chacun vit en sa guise;
Au vice déréglé la licence est permise;
Le désir, l’avarice et l’erreur insensé
Ont sens dessus-dessous le monde renversé.
On fait des lieux sacrés une horrible voirie,
Une grange, une étable et une porcherie,
Si bien que Dieu n’est sûr en sa propre maison.
Au ciel est revolée et Justice et Raison,
Et en leur place, hélas! règnent le brigandage,
La force, le harnois, le sang et le carnage.
Tout va de pis en pis: le sujet a brisé
Le serment qu’il devait à son Roi méprisé;
Mars enflé de faux zèle et de vaine apparence
Ainsi qu’une furie agite notre France…
O Dieu! qui de là-haut nous envoyas ton Fils
Et la paix éternelle avecque nous tu fis
Donne, je te suppli, que cette Reine mère
Puisse de ces deux camps apaiser la colère;
Donne-moi derechef que son sceptre puissant
Soit malgré le discord en armes fleurissant;
Donne que la fureur de la guerre barbare
Aille bien loin de France au rivage Tartare;
Donne que nos couteaux de sang humain tachés
Soient dans un magasin pour jamais attachés,
Et les armes au croc, sans être embesognées,
Soient pleines désormais de toiles d’araignées…

Continuation des discours des misères de ce temps

Ronsard invite dans cette continuation des discours Théodore Bèze (chef des protestants) à prendre le droit chemin. Il l’exhorte avec courtoisie à déposer les armes, pour l’amour de la patrie.

A la Reine mère

Madame, je serais ou du plomb ou du bois
Si moi que la nature a fait naître François,
Aux races à venir je ne contais la peine
Et l’extrême malheur dont notre France est pleine.
Je veux, malgré les ans, au monde publier
D’une plume de fer sur un papier d’acier
Que ses propres enfants l’ont prise et dévêtue
Et jusques à la mort vilainement battue.
Elle semble au marchand, hélas qui par malheur,
En faisant son chemin rencontre le voleur,
Qui contre l’estomac lui tend la main armée
D’avarice cruelle et de sang affamée.
Il n’est pas seulement content de lui piller
La bourse et le cheval ; il le fait dépouiller,
Le bat et le tourmente, et d’une dague essaie
De lui chasser du corps l’âme par une plaie ;
Puis en le voyant mort il se rit de ses coups,
Et le laisse manger aux mâtins et aux loups.
Si est-ce qu’à la fin la divine puissance
Court après le meurtrier et en prend la vengeance ;
Et dessus une roue (après mille travaux)
Sert aux hommes d’exemple et de proie aux corbeaux.
Mais ces nouveaux tyrans qui la France ont pillée,
Volée, assassinée, à force dépouillée,
Et de cent mille coups le corps lui ont battu,
(Comme si brigandage était une vertu)
Vivent sans châtiment et à les ouïr dire,
C’est Dieu qui les conduit, et ne s’en font que rire…
Or eux se vantant seuls les vrais enfants de Dieu,
En la dextre ont le glaive et en l’autre le feu,
Et comme furieux qui frappent et enragent,
Volent les temples saints, et les villes saccagent.
Et quoi ? brûler maisons, piller et brigander,
Tuer, assassiner, par force commander,
N’obéir plus aux Rois, amasser des armées,
Appelez-vous cela Églises reformées ?
Jésus que seulement vous confessez ici
De bouche et non de cœur, ne faisait pas ainsi ;
Et saint Paul en prêchant n’avait pour toutes armes
Sinon l’humilité, les jeûnes et les larmes ;
Et les pères martyrs aux plus dures saisons
Des tyrans, ne s’armaient sinon que d’oraisons ;
Bien qu’un ange du ciel, à leur moindre prière,
En soufflant eût rué les tyrans en arrière…
De Bèze, je te prie, écoute ma parole,
Que tu estimeras d’une personne folle ;
S’il te plaît toutefois de juger sainement,
Après m’avoir ouï tu diras autrement.
La terre qu’aujourd’huy tu remplis toute d’armes,
Y faisant fourmiller grand nombre de gendarmes
Et d’avares soldats qui du pillage ardents
Naissent dessous ta voix, tout ainsi que des dents
Du grand serpent Thébain les hommes qui muèrent
Le limon en couteaux dont ils s’entre-tuèrent,
Et nés et demi-nés se firent tous périr,
Si qu’un même soleil les vit naître et mourir.
De Bèze, ce n’est pas une terre Gothique,
Ni une région Tartare ni Scythique ;
C’est celle où tu naquis, qui douce te reçut,
Alors qu’à Vézelay 9 ta mère te conçut ;
Celle qui t’a nourri et qui t’a fait apprendre
La science et les arts dès ta jeunesse tendre 10,
Pour lui faire service et pour en bien user,
Et non comme tu fais, à fin d’en abuser.
Si tu es envers elle enfant de bon courage,
Ores que tu le peux, rends-lui son nourrissage,
Retire tes soldats, et au lac Genevois
(Comme chose exécrable) enfonce leurs harnois.
Ne prêche plus en France une Évangile armée,
Un Christ empistolé tout noirci de fumée,
Portant un morion en tête, et dans sa main 11
Un large coutelas rouge de sang humain.
Cela déplaît à Dieu, cela déplaît au Prince ;
Cela n’est qu’un appât qui tire la province
À la sédition, laquelle dessous toi
Pour avoir liberté ne voudra plus de Roy…
Un jour en te voyant aller faire ton prêche 13,
Ayant dessous un reître 14 une épée au côté,
« Mon Dieu, ce dis-je lors, quelle sainte bonté !
Ô parole de Dieu d’un faux masque trompée,
Puis que les prédicants prêchent à coups d’épée !
Bien tôt avec le fer nous serons consumés,
Puis que l’on voit de fer les ministres armés. »
Et lors deux surveillants qui parler m’entendirent,
Avec un hausse-bec ainsi me répondirent  :
« Quoi ? parles-tu de lui qui seul est envoyé
Du ciel pour r’enseigner le peuple dévoyé ?
Ou tu es un athée, ou quelque bénéfice
Te fait ainsi vomir ta rage et ta malice ;
Puis que si arrogant tu ne fais point d’honneur
À ce prophète saint envoyé du Seigneur. »
Adonc je répondis  : « Appeliez-vous athée
Celui qui dès enfance onc du cœur n’a ôtée
La foi de ses aïeuls ? qui ne trouble les lois
De son pays natal les peuples ni les Rois ?
Appelez-vous athée un homme qui méprise
Vos songes contrefaits, les monstres de l’Église ?
Qui croit en un seul Dieu, qui croit au Saint Esprit,
Qui croit de tout son cœur au Sauveur Jésus-Christ ?…
Les Apôtres jadis prêchaient tous d’un accord,
Entre vous aujourd’hui ne règne que discord
Les uns sont Zwingliens, les autres Luthéristes,
Les autres Puritains, Quintins 18, Anabaptistes,
Les autres de Calvin vont adorant les pas,
L’un est prédestiné et l’autre ne l’est pas,
Et l’autre enrage après l’erreur Muncerienne,
Et bien tôt s’ouvrira l’école Bézienne.
Si bien que ce Luther lequel était premier,
Chassé par les nouveaux est presque le dernier,
Et sa secte qui fut de tant d’hommes garnie,
Est la moindre de neuf qui sont en Germanie.
» Vous devriez pour le moins avant que nous troubler,
Être ensemble d’accord sans vous désassembler ;
Car Christ n’est pas un Dieu de noise ni discorde
Christ n’est que charité, qu’amour et que concorde,
Et montrez clairement par la division
Que Dieu n’est point auteur de votre opinion…
Ô Seigneur tout-puissant, ne mets point en oubli
D’envoyer un Mercure avecque le moly
Vers ce Prince royal 21, à fin qu’il l’admoneste,
Et lui fasse rentrer la raison en la tête,
Lui décharme le sens, lui dessille les yeux,
Lui montre clairement quels furent ses aïeux,
Grands Rois et gouverneurs des grandes républiques,
Tant craints et redoutés pour être catholiques !
» Si la saine raison le regagne une fois,
Lui qui est si gaillard, si doux et si courtois,
Il connaîtra l’état auquel on le fait vivre,
Et comme pour de l’or on lui donne du cuivre,
Et pour un grand chemin un sentier égaré,
Et pour un diamant un verre bigarré.
» Ha que je suis marri que cil qui fut mon maître 22,
Dépêtré du filet ne se peut reconnaître !
Je n’aime son erreur, mais haïr je ne puis
Un si digne prélat dont serviteur je suis,
Qui bénin m’a servi (quand fortune prospère
Le tenait près des Roys) de seigneur et de père.
Dieu préserve son chef de malheur et d’ennui,
Et le bonheur du ciel puisse tomber sur lui »…
Puis quand je vois mon Roy, qui déjà devient grand,
Qui courageusement me soustient et defend,
Je suis toute guérie, et la seule apparence
D’un Prince si bien né me nourrit d’espérance.
Ce prince, ou je me trompe en voyant son maintien,
Sa nature si douce et encline à tout bien,
Et son corps agité d’une âme ingénieuse,
Et sa façon de faire honnête et gracieuse,
Ni moqueur, ni jureur, menteur ni glorieux,
Je pense qu’ici bas il est venu des cieux
Afin que la couronne au chef me soit remise,
Et que par sa vertu refleurisse l’Église.
» Avant qu’il soit longtemps ce magnanime Roy
Domptera les mutins qui s’arment contre moi,
Et ces faux devineurs qui d’une bouche ouverte
De son sceptre royal ont prédite la perte.
Ce prince, accompagné d’armes et de bonheur,
Enverra jusqu’au ciel ma gloire et mon honneur,
Et aura, pour se rendre aux ennemis terrible,
Le nom de très-chrétien et de très-invincible.
» Puis voyant d’autre part cet honneur de Bourbon,
Ce magnanime Roy, qui très-sage et très-bon
S’oppose à l’hérésie, et par armes menace
Ceux qui de leurs aïeux ont délaissé la trace ;
Voyant le Guisian d’un courage indompté,
Voyant Montmorency, voyant d’autre côté
Aumale et Saint André ; puis voyant la noblesse
Qui porte un cœur enflé d’armes et de prouesse
J’espère après l’orage un retour de beau temps
Et après un hiver un gracieux printemps.
Car le bien suit le mal comme l’onde suit l’onde,
Et rien n’est assuré sans se changer au monde.
» Cependant prends la plume, et d’un style endurci
Contre le trait des ans, engrave tout ceci ;
À fin que nos neveux puissent un jour connaître
Que l’homme est malheureux qui se prend à son maître. »
Ainsi par vision la France à moi parla,
Puis s’évanouissant de mes yeux s’envola
Comme une poudre au vent, ou comme une fumée
Qui se jouant en l’air est en rien consumée.
Une ville est assise ès champs Savoysiens,
Qui par fraude a chassé ses seigneurs anciens,
Misérable sejour de toute apostasie,
D’opiniastreté, d’orgueil, et d’heresie,
Laquelle (en ce pendant que les Rois augmentoient
Mes bornes, et bien loing pour l’honneur combatoient)
Apelant les banis en sa secte damnable
M’a fait comme tu vois chetive et miserable.
Or mes Roys voyans bien qu’une telle cité
Leur seroit quelque jour une infelicité,
Deliberaient assez de la ruer par terre,
Mais contre elle jamais n’ont entrepris la guerre,
Ou soit par negligence, ou soit par le destin
Entiere ils l’ont laissée : et de là vient ma fin.
Comme ces laboureurs dont les mains inutiles
Laissent pendre l’hyver un toufeau de chenilles
Dans une feuille seiche au feste d’un pommier :
Si tost que le soleil, de son rayon premier
A la feuille eschaufée, et qu’elle est arrosée
Par deux ou par trois fois d’une tendre rosée,
Le venin, qui sembloit par l’hyver consumé,
En chenilles soudain apparoist animé,
Qui tombent de la feuille, et rempent à grand peine
D’un dos entre-cassé au milieu de la plaine :
L’une monte en un chesne et l’autre en un ormeau,
Et toujours en mangeant se trainent au coupeau,
Puis descendent à terre et tellement se paissent
Qu’une seule verdure en la terre ne laissent.
Alors le laboureur voyant son champ gasté,
Lamente pour néant qu’il ne s’estoit hasté
D’etouffer de bonne heure une telle semence :
Il voit que c’est sa faute, et s’en donne l’offense.
Ainsi lorsque mes Roys aux guerres s’efforceoient,
Toutes en un monceau ces chenilles croissoient,
Si qu’en moins de trois moys, telle tourbe enragée
Sur moy s’est espandue, et m’a toute mangée.
Or mes peuples mutins, arrogans et menteurs,
M’ont cassé le bras droit chassant mes Senateurs,
Car de peur que la loy ne corrigeast leur vice,
De mes palais Royaux ont bany la justice :
Ils ont rompu ma robbe en rompant mes cités,
Rendans mes citoyens contre moy depités :
Ont pillé mes cheveux en pillant mes Eglises,
Mes Eglises hélas ! que par force ils ont prises !
En poudre foudroyant images et autels :
Venerables séjours de nos Saincts immortels !
Contre eux puisse tourner si malheureuse chose
Et l’or sainct derobé leur soit l’or de Tolose.
Ils n’ont pas seulement, sacrileges nouveaux,
Fait de mes temples saincts, estables à chevaux,
Mais comme tormentés des Fureurs Stygialles.
Ont violé l’honneur des ombres sepulchrales,
A fin que par tel acte inique et malheureux
Les vivans et les morts conspirassent contre eux :
Busire fut plus doux, & celuy qui promène
Une roche aux enfers eut l’ame plus humaine :
Bref ilz m’ont delaissée en extresme langueur.
 
La Franciade (1572)
Poème épique ou épopée à la gloire de la France, la Franciade a pour objet de magnifier la France et d’écrire son histoire à travers un héros (Francus) parti de Troie. Ce projet qu’il présente d’abord à Henri II à compter de 1560 suscite l’intérêt du roi de France. Son successeur Charles IX le soutient à son tour et encourage Ronsard. S’inspirant d’une légende, il met en scène un Francien (Francus), qu’il présente comme le fils d’Hector, et qui se serait échappé de la prison de Troie grâce à Jupiter. Ils se réfugie avec d’autres rescapés du massacre et pillage de la ville, dont notamment Andromaque et Hélénos, sur sur l’île de Buthrote. Il monte une dynastie pour laquelle la Gaulle devient la terre promise. L’auteur nous fait vivre les péripéties qui vont l’emmener jusque là pour fonder la France. Il nous fait part ensuite de l’avènement des rois de France (descendants de Francus) depuis Charles Martel et de leurs exploits.

Nul doute que le poète voulait imiter les poètes grecs et romains de l’antiquité, qui ont chanté la gloire d’Athènes et de Rome. Mais la tâche immense et trop ambitieuse finit par l’épuiser, découragé selon lui par le massacre de la Saint Barthélémy en 1572 qui met à mal le mythe d’une France unie. Déçu, en disgrâce avec le roi Henri III successeur de Charles IX mort en mai 1574, Ronsard se retire alors au prieuré de Saint-Cosmes-en-l’Isle. Dans l’épilogue des franciades il écrit :

Si le Roy Charles eust vescu
J’eusse achevé ce long ouvrage :
Si tost que la mortl’eust vaincu,
Sa mort me vainquit le courage.

Extraits de la Franciade

L’embarquement de Francus

… Et cependant les rudes matelots,
Peuple farouche ennemi du repos,
D’un cri naval hors du rivage proche
Démarrent l’ancre à la mâchoire croche,
Guident le mât à cordes bien tendu.
Chaque soldat en son banc s’est rendu
Echu par sort; de bras et de poitrine
Ils s’efforçaient: le navire chemine!
Les cris, les pleurs dedans le ciel volaient
Dessus l’adieu de ceux qui s’en allaient.
A tant Francus s’embarque en son navire,
Les avirons à double rang on tire;
Le vent poupier, qui droitement souffla
Dedans la voile, à plein ventre l’enfla,
Faisant siffler antennes et cordage;
La nef bien loin s’écarte du rivage!
L’eau sous la poupe aboyant fait un bruit
Qu’un train d’écume en tournoyant poursuit.
Qui vit jamais la brigade en la danse
Frapper des pieds la terre à la cadence
D’un ordre égal, d’un pas juste et compté,
Sans point faillir d’un ni d’autre côté,
Quand la jeunesse aux danses bien apprise
De quelque Dieu la fête solennise,
Il a pu voir les avirons égaux
Frapper d’accord la campagne des eaux.
Cette navire également tirée
S’allait traînant dessus l’onde azurée,
A dos rompu, ainsi que par les bois
Sur le printemps au retour des beaux mois
Va la chenille errante à toute force
Avec cent pieds sur les plis d’une écorce.
Ainsi qu’on voit la troupe des chevreaux
A petits bonds suivre les pastoureaux,
Devers le soir au son de la musette;
Ainsi les nefs d’une assez longue traite
Suivaient la nef de Francus, qui devant
Coupait la mer sous la faveur du vent,
A large voile, à rond cercle entonnée,
Ayant de fleurs la poupe couronnée.
L’eau se blanchit sous les coups d’avirons;
L’onde tortue ondoie aux environs
De la carène, et autour de la proue
Maint tourbillon en écumant se roue;
La terre fuit; seulement à leurs yeux
Paraît la mer et la voûte des cieux…

Comme astres clers dévestus d’une nue.
Ce jour Francus à merveille estoit beau,

Son jeune corps sembloit un renouveau,

Lequel estend sa robe bien pourprée
Dessus les fleurs d’une gemmeuse prée,
La grâce estoit à l’entour de ses yeux,

De front, de taille, égal aux demi-dieux.

Devant la porte en assez long espace.
Large, quarrée, estoit une grand’place,
Où la jeunesse aux armes s’esbatoit,

Piquoit chevaux, voltigeoir ou lutoit,

Courroit, sautoit, ou gardoit la barrière,
Jusques au ciel en voloit la poussière.

En ce pendant que d’œil prompt & ardant
Francus alloit le palais regardant
Festes, festons, gillochis, & ovalles,

Ayant la Gaule & les Gaulois vaincuz

Ores par ruse, & ores par bataille,
Rebastira de Paris la muraille
Et de rempars son mur enfermera :

La Gaule, après, de Francus nommera

Chef des François, qui pour la souvenance
D’un si grand prince aura le nom de France.
De Merové, des peuples conquereur,

Viendra meint prince, & meint grand empereur

Haut eslevez en dignité supresme :
Entre lesquels un Roy Charles neufiesme’,
Neufiesme en nom & premier en vertu,

Naistra pour voir le monde combatu

Desous ses pieds, d’oii le soleil se plonge,
Et d’où ses rais sur la terre il allonge,
Et s’eslançant de l’humide séjour

Aporte aux Dieux & aux hommes le jour.

Jamais Hercule en tournoyant la terre,
Ny rindian remparé de lierre,
L’un en son char & l’autre à pié, n’eut tant

Le glaive au poing d’honneur en combatant,

Bien que l’un ayt àgrand[sj coups de massue
Assommé l’hydre & les fils de la nue,

Charles Martel

Ce jour, Martel aura tant de courage
Qu’apparaissant en hauteur davantage
Que de coutume, on dira qu’un grand dieu,
Vêtant son corps, aura choisi son lieu.
Lui tout horrible en armes flamboyantes,
Mêlant le fifre aux trompettes bruyantes,
Et de tambours rompant le ciel voisin,
Eveillera le peuple sarrasin
Qui l’air d’autour emplira de hurlées
Ainsi qu’on voit les torrents aux vallées
Du haut des monts descendre d’un grand bruit :
En écumant la ravine se suit
À gros bouillons et, maîtrisant la plaine,
Gâte des bœufs et des bouviers la peine;
Ainsi courra, de la fureur guidé,
Avec grand bruit ce peuple débordé.
Mais tout ainsi qu’alors qu’une tempête
D’un grand rocher vient arracher la tête,
Puis, la poussant et lui pressant le pas,
La fait rouler du haut jusques à bas :
Tour dessus tour, bond dessus bond se roule
Ce gros morceau qui rompt, fracasse et foule
Les bois tronqués, et d’un bruit violent
Sans résistance à bas se va boulant;
Mais, quand sa chute en tournant est roulée
Jusqu’au profond de la creuse vallée,
S’arrête coi : bondissant il ne peut
Courir plus outre, et d’autant plus qu’il veut
Rompre le bord, et plus il se courrouce,
Plus le rempart, le pousse et le repousse;
Ainsi leur camp en bandes divisé,
Ayant trouvé le peuple baptisé,
Bien qu’acharné de meurtre et de tu’rie
Sera contraint d’arrêter sa furie…

A suivre…

 

 

 

 

Gargantua arrive à Paris

Biographie de François Rabelais 

(entre 1483 et 1494 à 1553)

Contemporain de François Ier, le premier roi de la Renaissance française, François Rabelais naît au domaine de La Devinière (maison des champs du père) à Seuilly près de Tours (d’Indre-et-Loire) entre 1483 et 1494 d’un père sénéchal et avocat au siège royal de Chinon. .Il est d’abord prêtre catholique évangélique puis médecin, romancier et humaniste français de la Renaissance. Bien plus que cela, il est précurseur dans tous les domaines : moraliste, éducateur, linguiste et créateur de mots. Sa contribution à l’émergence de «l’homme moderne » est indéniable.

Baignant dans un milieu aisé, il bénéficie d’un enseignement  médiéval (grammaire, dialectique, rhétorique, arithmétique, géométrie et même musique et astronomie) qui le destine à une carrière ecclésiastique. Il rentre au monastère des Cordeliers d’ Angers comme novice de 1510 à 1520, date à laquelle il devient moine. Il y reçoit une formation en théologie, mais bénéficie également d’une initiation aux études grecques. Son intérêt grandissant pour les auteurs de l’Antiquité et la correspondance qu’il engage avec  de célèbres humanistes, l’emmènent  à fuir la vie monastique. Il est alors condamné pour apostasie. C’est à Paris qu’il entame des études  de médecine en 1524. Il les continue à la faculté de médecine de Montpellier, avant de s’installer à Lyon. Grâce à sa réputation il exerce et enseigne à l’Hôtel-Dieu de Notre-Dame de la Pitié à partir de 1532, sans être docteur. Il y publie des critiques de traités médicaux antiques, et commence sa carrière d’écrivain.

Bien qu’encore homme du Moyen Âge, ses idées, son action et ses écrits font de Rabelais un humaniste modèle de la Renaissance. Ce qui fait de lui l’artisan de la transition entre les deux époques. Il lutte avec enthousiasme pour la paix, en manifestant son opposition aux  guerres de conquête. Pour lui se défendre est la  seule raison de faire la guerre. Sous l’influence de la pensée antique, il apporte à la renaissance un nouvel idéal philosophique et moral. Précurseur dans bien des domaines, sa vie et son œuvre font triompher la liberté d’esprit. Il est un penseur en avance sur son temps, son génie et celui de Montaigne dominent la renaissance..

Rabelais passe pour être un des maîtres du rire de son temps. L’humour, les farces, la parodie, la grossièreté… fruit de la richesse de son imagination  n’apparaissent pas seulement dans ses œuvres, l’homme est  ainsi dans al vie de tous les jours : farceur, comique, fantaisiste, joueur avec les mots…. Médecin reconnu il publie d’intéressants travaux et apporte aussi guérison par le rire. Aimant la vie il la croque à pleines dents : il fréquente les châteaux de la Loire, les tavernes de Paris et de Chinon. Il a de l’admiration pour la grandeur de Rome et apprécie l’enchantement des jardins de Saint-Maur et le bon vin du Languedoc. Il meurt le 9 avril 1553 à Paris, six ans après François Ier.

L’Eglise semble t-il ne lui a jamais pardonné son « apostasie ». Ses critiques et son franc-parler finissent même par l’exaspérer. Exhumé du cimetière Pierre Lachaise détruit lors de travaux, une demande aurait été faite pour lui faire une place au Panthéon. La demande n’est jamais parvenue à destination pour le motif « prêtre athée ». Faute de descendants pour réclamer le corps, un tibia et son crâne aurait fini dans les catacombes de Paris et le reste dans la Seine.

Œuvre de François Rabelais

Écrivant avec le moyen français tel qu’on le parlait entre le XIVe et XVIe siècles, Rabelais est le digne continuateur de la littérature un peu païenne du Moyen Âge. Ses héros Gargantua et Pantagruel, deux géants père et fils, sont même issus de la littérature de cette époque qu’il se contente de transformer. Il adopte également le plan naissance-enfance-prouesses des romans de chevalerie.  L’Humanisme est un courant de pensée en vogue au 15e et 16e siècle en Europe. Quelques auteurs dont particulièrement Rabelais contribue à développer. Leurs ouvrages sont destinés avant tout à éduquer le nouvel homme, celui de la renaissance.

L’œuvre de Rabelais est un mélange judicieux de plusieurs genres : le conte, la parodie, le roman de chevalerie et la chronique. Elle mêle fiction et réalité et constitue certainement le prélude au roman réaliste, philosophique et satirique. La richesse du vocabulaire qu’il puise des langues mortes et  étrangères, des dialectes régionaux ou encore de langages techniques (médecine, agriculture, religion, commerce, guerre…) est impressionnante. Il l’utilise pour mettre en opposition le Moyen Âge obscurantiste et les savoirs de la renaissance naissante.

L’auteur utilise l’écriture pour lutter pour la paix, la tolérance et faire l’éloge des valeurs antiques. Il dénonce l’obscurantisme suffisant.  Les princes, les théologiens et hommes d’église, à qui il reproche leurs abus, sont ses principales cibles. Pour libérer le peuple du poids pesant de la religion et de sa morale, il met en avant une culture populaire grivoise drôle et faite de jeux et de vin. Il utilise le comique (farces inspirées du Moyen Age, jeux de mots, la caricature grotesque, la comédie d’intrigue, gauloiserie grossière…) qui fait de lui un des maîtres du rire de son époque, humour qu’il pratique tout aussi bien dans la vie courante. Son œuvre est également destinée aux monarques. A travers les bons rois que sont Gargantua, Pantagruel et Grandgousier sages, pieux et pacifiques il fait l’éloge de l’idéal du prince chrétien. A la lecture de ses écrits, on découvre aussi que l’ambition de Rabelais est d’instruire et d’amuser à la fois.

Rabelais c’est aussi le gigantisme, l’euphorie de la grandeur et de la quantité bien représenté par ses personnages hors du commun que sont Gargantua et Pantagruel. Il est considéré comme le plus fascinant des conteurs.

Œuvres de François Rabelais

Pantagruel (1532)

ou « Les horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel Roi des Dipsodes, fils du Grand Géant Gargantua ».

L’auteur publie Pantagruel, sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier, alors qu’il est nommé médecin de l’Hôtel-Dieu de Lyon. L’œuvre est condamnée par les théologiens de la Sorbonne, mais il obtient la protection de jean Du Bellay évêque de Paris et futur cardinal grâce à sa réputation de médecin.

Tout en parodiant la bible l’auteur fait la généalogie du géant jusqu’à la naissance de Pantagruel un jour de grande sécheresse. Il remonte jusqu’à Caïn et Abel, pour expliquer que cette race de géants voit le jour juste après le meurtre du premier par le second. Pantagruel qui naît de Gargantua et de Badebec qui meurt en le mettant au monde, est de ceux la. Le veuf ne sait s’il doit pleurer sa femme ou se réjouir de la naissance d’un fils. L’auteur traite avec un humour irrésistible ce dilemme douleur-joie. Le père finit par surmonter sa tristesse, et passe même à une joie extrême, ce qui correspond tout à fait à la philosophie de Rabelais basée sur la vie. Regarder  de l’avant sans jamais  se retourner. Il prend ainsi la résolution de bien s’occuper de son fils, et envisage même de prendre femme.

L’auteur de cette farce nous convie à voir le géant grandir. Après l’enfance durant laquelle il est élevé différemment de ses contemporains, nous le suivons  à travers la France où son père l’envoie faire son éducation humaniste. Dans une lettre qu’il envoie à son fils alors à paris, Gargantua écrit : « …Pour cette raison, mon fils, je te conjure d’employer ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertu », ou encore  « je t’ai donné le goût quand tu étais encore petit, à cinq ou six ans », et aussi « En somme, que je voie en toi un abîme de science ». En fait Rabelais s’adresse à travers ses personnages à la jeunesse, l’exhortant aux études pour comprendre les choses qui l’entoure, s’émanciper, devenir au sens humaniste  des « honnêtes hommes »… Le message de Rabelais c’est aussi: les enfants devenant des adultes, ils doivent conduire eux aussi des idées nouvelles.

Prince juste Pantagruel découvre lors de ses pérégrinations un monde fait d’injustices et d’abus,  où des juges grotesques et rapaces, des huissiers ou encore des sergents s’enrichissent aux dépens de plaideurs. Doué de force et d’intelligence il fréquente plusieurs universités, rencontre Panurge qui deviendra son ami pour la vie et avec lequel il va vivre des aventures  comiques et philosophiques. Aventures durant lesquelles ils rencontrent des créatures fantastiques et d’autres grotesques. Ils vivent avec Gargantua le père, des faits d’armes contre les Dipsodes qui ont envahi l’Utopie leur pays natal. Des guerres qui se terminent par la victoire sur le roi Anarche, les trois cents géants et un gigantesque loup-garou.

Quelques citations de Rabelais dans Pantagruel:

  • « Un malheur ne vient jamais seul ».
  • « Le temps est père de vérité »
  • « Faute d’argent, c’est douleur non pareille ».
  • « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

Gargantua (1534)

ou « La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel. Jadis composée par M. Alcofribas abstracteur »

Dans Garguantua on retrouve pratiquement le même schéma que dans Pantagruel. Rabelais qui remplace Panurge par le frère Jean des Entammeure, un moine bien agréable et populaire, trouve là prétexte pour donner libre cours à ses idées en relatant les aventures de trois générations. Celles du père Grandgousier, celles du fils Garguantua et celles du petit-fils Pantagruel. Le Pantagruélisme, philosophie chère à Rabelais qui consiste à profiter de toutes les bonnes choses, et l’humanisme de l’auteur sont bien mises en évidence.

Garguantua naît par l’oreille de Gargamelle, sa génitrice, onze mois après l’avoir porté. Son père Grandgousier règne sur Utopie près de Chinon (Touraine). C’est un roi sage, bon et populaire auprès de ses sujets. Il élève assez librement son fils qui reçoit d’abord une éducation de pédagogues dits traditionnels. Il est ensuite envoyé pour la parfaire à Paris par l’enseignement de Ponacrates, un précepteur humaniste, après avoir subi celle dépassée et désastreuse des théologiens de la Sorbonne. Il découvre  l’éducation humaniste et se plonge dans les textes antiques qui lui révèlent la sagesse et le savoir de leurs auteurs.

Mais voilà, le roi Pichrochole convoite Utopie et se prépare à l’investir. Grandgousier utilise tous les moyens pacifique, même en lui offrant des cadeaux, pour l’en dissuader en vain. Il n’a de choix lui, si pacifiste, que d’avoir recours aux armes et à la guerre. Accompagné du vaillant et courageux Frère Jean des Antommeures, Gargantua prend la tête des hostilités. Ils en sortent vainqueurs et Grandgousier manifeste une grand clémence à l’égard de l’ennemi vaincu qu’il laisse partir. Le royaume de Pichrochole est attribué à Pantagruel, alors que le moine est récompensé en lui accordant l’Abbaye de Thélène qui a pour devis « Fay ce que vouldras » (fais ce que tu voudras). C’est dans cette bâtisse qu’est célébrée la victoire.

Dans Gargantua Rabelais utilise son style chevaleresque propre à lui, pour faire un véritable procès de l’éducation, tout en incluant des épisodes les plus burlesques du fait notamment de la taille de son héros. Il met à profit les aventures de son héros pour, en profond humaniste qui croit en l’homme et ses progrès intellectuels et la nature, fustiger sa sombre époque faites de dérives de l’Eglise, d’obscurantisme entretenu par les théologiens et de guerres. La papauté et l’idolâtrie du Pape ne sont pas épargnées par l’auteur, qui considère le Pape comme un usurpateur et sans aucun privilège divin. Il s’en prend aux clercs pour leur ignorance, leur oisiveté et leur paresse. Le personnage de Jean des Entammeure qui aime la vie, la fête et le vin, n’est pas introduit innocemment. Il incarne le modèle même de ce que doit être un clerc.

Ainsi si Gargantua est écrit pour faire rire en même temps le lecteur, c’est pour se moquer des théologiens qui ont décrété le rire comme le propre du diable. A travers l’éducation de Gargantua, Rabelais expose sa vision d’un enseignement plus complet. Celui où la lecture et l’écriture, les sciences telles que la physiologie, l’anatomie ou encore l’astrophysique trouveraient leur place pour permettre à l’homme de mieux connaître son environnement. C’est l’étude des sciences qui permet d’ailleurs l’apparition des premières expériences, qui ont par exemple permis à Copernic d’affirmer plus tard que la terre tournait autour du soleil et non l’inverse.

Gargantua, considéré par George Sand comme une œuvre du peuple « …Ces personnages sont l’œuvre du poète ; mais je croirais que Gargantua est l’œuvre du peuple, et que, comme tous les grands créateurs, Rabelais a pris son bien où il l’a trouvé » rentre dans la mythologie française et en devient même un personnage clé. Les mythologues considèrent que derrière ce géant hors du commun vorace et amusant se cache une puissante mais non moins affable divinité qui remonterait au moins aux temps celtiques. Pour Henri Gaidozy c’est la personnification du « soleil vainqueur et glorieux », pour Guy-Edouard Pillard elle est le «symbole de l’éternelle recommencement », pour Henri Fromage c’est l’équivalent du dragon….

Extrait et quelques citations de Rabelais dans Gargantua:

  • « Toute leur vie était dirigé non par les lois, statuts ou règles, mais leur bon vouloir et leur libre-arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit…Ainsi l’avait établi Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause : Fais ce que tu voudras, car des gens libres, bien nés, bien instruits, vivants en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et retire du vice ; c’est ce qu’ils nommaient l’honneur… Ceux-ci, quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et contrainte, se détournent de la noble passion par laquelle il tendait librement vers la vertu afin de démettre et enfreindre ce joug de servitude ; car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitions ce qui nous est dénié ».
  • « Adieu paniers, vendanges sont faites. »
  • « Dieu seul peut faire choses infinies ».
  • « Misère est compagne de Procès ».
  • « Le rire est le propre de l’homme ».
  • « Le grand Dieu fit les planètes et nous faisons les plats nets ».
  • « Petite pluie abat grand vent : longues beuveries rompent le tonnerre ».
  • « Lever matin n’est point bonheur ; boire matin est le meilleur ».
  • « La mule du pape ne boit qu’à ses heures ».
  • « L’appétit vient en mangeant ».
  • « Travaillez chacun en sa vocation ».

Le Tiers livre (1546)

ou « Le Tiers Livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel »

Bien que l’auteur ait renoncé aux attaques contre l’église et la Sorbonne, celle-ci condamne l’ouvrage. Il apparaît plus comme une réponse à la fameuse « querelle des femmes » entretenue par l’Amie du court (Bertrand de La Borderie) et la Parfaite Amie (Antoine Héroët). Mais beaucoup le considère comme une satire contre les femmes, alors qu’il est avant tout une œuvre humaniste où l’humour et le rire occupent une place prépondérante. De par ses nombreuses références et citations latines, elle semble s’adresser plutôt aux gens dits savants et studieux. En fait l’auteur utilise Panurge et sa quête pour se faire l’écho des débats qu’ils soient juridiques, médicaux ou encore religieux et moraux de son époque. C’est une réflexion sur  la condition humaine et l’aptitude de l’homme au savoir. Rabelais stigmatise au passage les religieux et même des corps constitués. Jugé obscène et hérétique, il s’attire les foudres de guerre des théologiens de la Sorbonne qui censurent le Tiers Livre. L’auteur obtient en septembre 1545 un privilège royal pour son impression. Ce qu’il fait en 1546, et signe pour la première fois une œuvre de son propre nom.

Panurge, personnage central du livre avec son ami Pantagruel, est préoccupé par la question du mariage. Il hésite à prendre femme pour être dispensé du service militaire, mais craint cependant d’être cocu, battu ou méprisé. Interroger les Songes, Virgil, sibylle, sorcières ou encore le poète Raminagrobis ne l’avance guère. Il s’en remet alors à l’Oracle de la Dive Bouteille pour trouver conseil. Pour se faire il embarque avec Pantagruel et d’autres compagnons pour une odyssée maritime à la recherche de l’Oracle. Ce sera l’objet du Quart livre.

Quelques citations de Rabelais dans le Tiers Livre:

  • « Le bon ange consolateur lorsqu’il apparaît à l’homme, commence par l’épouvanter pour finalement le consoler, le rendre content et satisfait. Le mauvais ange tentateur commence par réjouir l’homme, pour à la fin le laisser troublé, mécontent et perplexe ».
  • « Cette question réglée, je retourne à mon tonneau. Sus à ce vin, mes copains ! Enfants, buvez à pleins godets ! S’il ne vous semble pas bon, laissez-le. Je ne suis pas de ces importuns siffle-chope qui, par la force, par l’outrage et la violence, contraignent les troupiers et conscrits à trinquer, et même à faire cul sec, ce qui est pire. … S’il vous semble un jour épuisé jusqu’a la lie, il ne sera pourtant pas à sec. C’est Bon Espoir qui gît au fond, comme dans la bouteille de Pandore, et non Désespoir, comme dans le tonneau des Danaïdes…»
  •  « La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues, périrait toute nature humaine ».
  • « Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes ».
  • « Ce qu’à autrui tu auras fait, soit certain qu’autrui te le fera ».

Le Quart livre (1552)

ou Le Quart Livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel

L’œuvre est dédiée à Odet de Coligny réformiste calviniste, cardinal de Châtillon, frère de l’amiral de Coligny et empoisonné en Angleterre lors de la Saint-Barthélémy. Elle est écrite au moment où l’auteur subit des attaques plus violentes que jamais de la part des catholiques et des protestants (ce qui lui fait dire qu’il est « entre l’enclume et les marteaux ». C’est au moment aussi où Henri II, roi d’Angleterre, projette un schisme à l’Anglaise qui déclenche la fameuse « crise gallicane » et une menace d’excommunication du souverain par le pape. Ce livre est également par le Parlement dès son apparition.

L’auteur nous embarque avec ses héros de caractères fort différents, pour nous faire vivre leur odyssée en quête de la mystérieuse Dive Bouteille. Pour rappelle son oracle devrait soulager et fixer Panurge sur la question du mariage. Celui-ci incarne la peur face au danger, alors que Pantagruel représente la conciliation prudence-espoir et Frère Jean d’Entammeure une audace et témérité excessives. Durant ce long et aventureux voyage, Rabelais s’amuse à condamner certains corps constitués, mais surtout tous ces religieux et la papauté qui prétendent régner sur les consciences par la force, et qui se dressent contre la liberté de pensée et de l’esprit.

Dans son récit Rabelais nous livre ainsi des descriptions de lieux tellement fantastiques, et d’êtres extravagants et insolites, tout en nous faisant part de l’actualité de son époque. On relèvera notamment la découverte d’autres terres, et la connaissance d’autres peuples et l’enrichissement des connaissances qu’elle engendre. C’est dans le Quart Livre qu’on peut trouver la proverbiale péripétie « des moutons de Panurge » (voir extrait)

Les personnages embarquent donc au début de l’été dans plusieurs vaisseaux. Pantagruel et Panurge sont accompagnés de frère Jean, Gymnaste, Epistémon,  Rhizotome …, de domestiques. Ils font également appel au service de Xénomanes, réputé grand navigateur, qui pense que l’oracle de la Dive Bouteille se trouve près du Catay, en Chine. L’auteur décrit d’une façon allégorique les pays qu’ils découvrent, les tempêtes auxquelles ils survivent grâce à Gargantua qui retrouve sa fabuleuse force. Un long périple les emmène donc d’aventure en aventure, d’escale en escale. Ils découvrent les Îles Mi-fantaisistes, mi-symboliques occupées par d’étranges habitants. Celle hospitalière de Cheli où règne sur une société courtoise le saint roi Panigon et dont les sujets accueillent les voyageurs en les embrassant. Il y a aussi l’Île de procuration où vivent les Chicanous, peuple de loi qui gagne sa vie à être battu. Ils font escale également dans l’Île Farouche, celle des Papinames où les gens ont un culte pour le pape dont les décrets autorisent le pape à soutirer de l’argent au royaume de France. Ils découvrent ensuite celles des Papefigues jadis riches et libres, puis agressés et asservis par les Papinames pour avoir porté atteinte à l’image du pape. L’île de Chaneph peuplée d’ermites et d’hypocrites qui vivent de mendicité… Dans le Quart livre les voyageurs n’arrivent pas à destination.

Citations et extrait de Rabelais dans le Quart Livre:

  • « Soubdain, je ne sçay comment, le cas feut subit, je ne eu loisir le consyderer, Panurge, sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons crians et bellans en pareille intonation comencerent soy jecter et saulter en mer après, à la file. La foulle estoit à qui premier y saulteroit après leur compaignon. Possible n’estoit les en guarder. Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous jours suyvre le premier, quelque part qu’il aille… Le marchant tout effrayé de ce que davant ses yeulx perir voyou et noyer ses moutons, s’efforçoit les empescher et retenir tout de son pouvoir. Mais c’estoit en vain. Tous à la file saultoient dedans la mer, et perissoient. Finablement il en print un grand et fort par la toison sus le tillac de la neuf, cuydant ainsi le retenir, et saulver le reste aussi consequemmeent. Le mouton feut si puissant qu’il emporta en mer avecques soy le marchant, et feut noyé en pareille forme que les moutons de Polyphemus le borgne Cyclope emporterent hors la caverne Ulyxes et ses compaignons. »
  • « Tous les diables dansent aux sonnettes ».
  • « Croyez-le, si voulez ; si ne voulez, allez y voir».
  • « L’homme naquit pour travailler, comme l’oiseau pour voler ».
  • « À la bonne et sincère amour est crainte perpétuellement annexée ».

Le Cinquième livre (1564)

ou L’Ilsle sonante

C’est la suite et la fin de l’odyssée entreprise par Pantagruel, panurge et leurs compagnons en quête de l’oracle de la Dive Bouteille. Publiée posthume, seule une partie serait vraisemblablement de Rabelais. Il est rapporté l’arrivée des voyageurs au temple où ils sont accueillis par « Thrink !» (« Bois »), comme une invitation à s’abreuver aux sources du savoir.

Mais avant, continuant leur périple, les aventuriers accostent dans l’île Sonnante. Les cloches y sonnet sans interruption, ce qui nous fait penser à Rabelais connu pour ne pas supporter leur son. Des oiseaux en cage et d’Eglise (clergaux, abbegaux, cardingaux, prêtregaux, évesgaux ou encore papegesses etc) qui ne sont pas natifs de cette terre et qui ont été envoyés par égoïsme des parents soit par pauvreté soit parce qu’ils les supportaient peuplent cette contrée.

Après les îles des Ferrements, de Cassade ou Tromperie, ils atteignent celle de Condamnation. Siège de la justice criminelle, où des chats fourrés rendent la justice : mort, pendaison, décapitation, bûcher, emprisonnement …C’est que pour eux Méchanceté est Bonté, Vice est Vertu, Trahison est Fidélité…Ils ne sont d’aucune utilité pour les Pantagruéliens quant à l’endroit où se trouve l’oracle. Ils reprennent leur route est débarquent dans l’île d’Odes. Sur cette terre les chemins se meuvent, et les voyageurs sont portés à destination sans le moindre effort.

Pontagruel et ses compagnons mouillent ensuite dans le port des Esclots ou des Sabots. Il découvre un monastère occupé par des religieux qui ont la particularité de fredonner sans cesse des psaumes, jusqu’à s’être surnommés les Fredons. Humbles ils sont différents des autres religieux, au point de susciter l’admiration de Frère Jean. Continuant leur route ils atteignent le pays de Satin. Ils y trouvent un vieillard monstrueux (OuïDire) pourvus entre autres de sept langues, d’une centaine d’oreilles et entouré par innombrables hommes et femmes qui semblent être ses disciples. Ils l’écoutent en effet attentivement, causent de choses (les Pyramides, les Pygmées, Babylone, les Troglodytes…) qu’il faudrait plus d’une vie entière pour connaître, et deviennent en quelques heures clercs ou savants. Ils voient également des figures de l’Antiquité telles Hérodote, Philostrate, Pline, Solin et autres à l’œuvre.

Les aventuriers arrivent enfin au pays des Lanternes, peuplé par des lanternes vivantes, le terme de leur odyssée. Ils sont accueillis par la reine vêtue de cristal de roche, avec laquelle ils dînent avant d’être conduits à l’oracle de la Dive Bouteille. Chemin faisant il traverse un vignoble à trois espèces de raisin. La lanterne savante qui les accompagne leur ordonne de manger trois raisins, de prendre dans la main gauche un rameau vert avant de passer sous une tonnelle toute faite de ceps de vigne. Deux portes s’ouvrent devant eux, et sont accueillis par deux inscriptions : « Ducunt volentem fata, nolentem trahunt » (Les destinées mènent celui qui consent, tirent celui qui refuse) et « Toutes choses se meuvent à leur fin ». (sentence tirée du grec).

Ils arrivent enfin à leur but. Bacbuc la prêtresse de la Dive Bouteille et sa compagnie s’avance vers eux, joyeuse et riante. Elles les invitent à boire une eau qui prend le goût du vin que chacun imagine . La prêtresse s’adresse à Panurge, à qui elle présente un livre d’argent qui est en réalité un flacon plein de vin de Falerne. Elle lui révèle le Mot sacré Trinch Trinch et lui fait tout avaler. Panurge découvre alors ce que voulait dire la Bouteille. Bacbuc explique que le mot Trinch signifie Buvez à la source de la connaissancet, Et Pontagruel réplique:

« Il n’est pas possible de mieux dire que ne fait cette vénérable prêtresse. Trinquons donc« .

Ce vin puisé à la fontaine sainte et qui semble donner à l’esprit puissance et force représente en fait la science. L’Oracle a répondu aux voyageurs par Trinch, c’est-à-dire abreuver vous de sciences qui enseignent les vrais devoirs et ouvrent les portes du bonheur. « Fuyez les hypocrites, les ignorants, les méchants ; affranchissez­-vous des vaines terreurs ; étudiez l’homme et l’univers ; connaissez les lois du monde physique et moral, afin de vous y soumettre et de ne vous soumettre qu’à elles ; buvez, buvez la science ; buvez la vérité ; buvez l’amour ». C’est ce qu’est venu en réalité chercher le grand Pantagruel, le sort de l’humanité, sous le pretexte d’aider Panurge à trouver conseil sur la mariage.

Quelques citations Rabelais dans le Cinquième livre:

  •  « Ignorance est mère de tous les maux.  »
  • « Amis, vous noterez que par le monde y a beaucoup plus de couillons que d’hommes ».
  • « Connaître pour aimer, c’est le secret de la vie ».
  • « Fuyez les hypocrites, les ignorants, les méchants ; affranchissez¬vous des vaines terreurs ; étudiez l’homme et l’univers ; connaissez les lois du monde physique et moral, afin de vous y soumettre et de ne vous soumettre qu’à elles ; buvez, buvez la science ; buvez la vérité ; buvez l’amour ».

Epitaphes et hommages à François Rabelais:

  • L’éditeur (anonyme) posthume de Rabelais met en tête du Cinquième Livre cette épitaphe:

« Rabelais est-­il mort ? Voici encore un livre.
Non, sa meilleure part a repris ses esprits,
Pour nous faire présent de l’un de ses écrits
Qui le rend entre tous immortel et fait vivre. c’est­-à­-dire, autant que je puis comprendre :
Rabelais est mort, mais il a repris ses sens pour nous faire présent de ce livre »

  • Jean-Antoine de Baïf (poète XVIe) celle-ci:

« Ô Pluton, Rabelais reçoi,
Afin que toi qui es le roi
De ceux qui ne rient jamais
Tu ais un rieur désormais »
Pierre de Ronsard (poète XVIe) celle là :
« Jamais le soleil ne l’a vu,
Tant fût ¬il matin, qu’il n’eût bu,
Et jamais au soir la nuit noire,
Tant fût tard, ne l’a vu sans boire.
Il chantait la grande massue
Et la jument de Gargantue,
Le grand Panurge et le pays
Des Papimanes ébahis,
Leurs lois, leurs façons, leurs demeures,
Et frère Jean des Entommeures
Et d’Épistémon les combats.
Ô toi, quiconque sois, qui passes,
Sur sa fosse répands des tasses,
Répands du brit et des flacons,
Des cervelas et des jambons. »

  • Voltaire, madame de sévigné, la Fontaine, Racine ou encore Molière sont connus pour être Pantagruélistes. Pour le premier Rabelais est « un philosophe ivre ». Plus tard Chateaubriand le qualifie de génie-mère de l’humanité, Victor Hugo de « gouffre de l’esprit » (notamment pour son « rire énorme »), Michelet à propos de son oeuvre « Le sphinx ou la chimère, un monstre à cent têtes, à cent langues, un chaos harmonique, une farce de portée infinie, une ivresse lucide à merveille, une folie profondément sage. » Tout en s’inspirant de son œuvre et de son écriture, tout en exprimant son admiration, Balzac le considère comme « le plus grand esprit de l’humanité moderne »
  • L’Université de Tours porte son nom
  • Les médecins de la faculté de médecine de Montpellier prête serment vêtu de la « robe de Rabelais ». Le Jardin des plantes de la même ville l’a immortalisé en érigeant une statue, comme pour veiller les centaines d’espèces.
  • La mairie de Meudon dont il fut curé, a élevée dans ses jardins en 1943 une statue de Rabelais.

Quelques écrits sur François Rabelais et son œuvre :

  • Lucien Febvre « Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais. » 1947
  • Abel Lefranc «Rabelais, Etudes sur Gargantua, Pantagruel et le Tiers Livre » 1953
  • Henri Lefebre « Rabelais » 1955
  • L. Saulnier « Le dessein de Rabelais » 1957
  • Alfred Glauser « Rabelais créateur » 1966
  • Jean Larmat « Le Moyen Âge dans le Gargantua de Rabelais » 1973
  • Mikhaïl Bakhtine « L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire du Moyen Âge et sous la Renaissance » 1982.
  • François Rogolot « Les langages de Rabelais » 1996
Villon, une vie sordide et marginale

Biographie de François Villon (1431-1463) :

Né de son vrai nom François Montcorbier à Paris, de parents forts humbles, il est confié au chanoine de Villon dont il prend le nom, après le décès de son père. Grâce à ce tuteur qui veut faire de lui un clerc, il fait des études brillantes à la faculté des arts de Paris. Homme du peuple, il ne fréquente pas les cours comme les autres auteurs, il est d’ailleurs l’un des rares poètes à ne pas bénéficier de protection de quelque noble que ce soit, sauf lors de son court  exile hors de Paris (Charles d’Orléans ou le prince poète). Mais sa vie reste très mouvementée, houleuse. Il fait plusieurs séjours en prison pour des vols, escroqueries, agressions physiques, que l’on met sur le compte de ses mauvaises fréquentations. D’ailleurs il écrit une bonne partie de son œuvre en détention. Il est pourtant accueillie en 1457 à la cours de Blois de Charles d’Orléans, mais il l’a quitte après avoir été réprimandé. Ses tentatives de reprendre contact avec le prince-poète en lui faisant parvenir des poèmes tels que « La ballade des proverbes » ou « La ballade des menus propos » échouent. Villon est condamné à mort plusieurs fois, notamment après le meurtre d’un prêtre. Mais à chaque fois il est gracié grâce à l’intervention de Charles d’Orléans et Louis XI qui lui évitent la potence. Il échappe encore à la pendaison en janvier 1463, mais il est condamné au bannissement (exil, expulsion de Paris). Néanmoins il vit avec la certitude d’être un jour pendu. Il n’aurait pas vécu longtemps après cet exile forcé loin de Paris en plein hiver. Il disparaît brusquement durant cette année 1463, et on ne saura jamais avec certitude comment il a fini sa vie. Une seule hypothèse reste plausible, celle de s’être réfugié dans l’anonymat dans un couvent après une vie honteuse mais aussi malheureuse. Il est en ce sens le précurseur des poètes maudits. Il n’en demeure pas moins que son œuvre est considérée comme légendaire, au point où Boileau le considère comme le père de la poésie française. Théophile Gautier, Victor Hugo, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine et bien d’autres reconnaissent avoir été influencés par sa poésie.

Œuvre de François Villon:

On retrouve chez Villon tous les sujets qui reviennent dans la littérature médiévale : l’amour impossible ou déçu, l’injustice, la vieillesse, la mort…Ses écrits s’adressent d’abord aux pauvres gens. Les quelques tentatives à l’adresse des nobles et princes n’avaient pour but que de les séduire et dont il attendait protection comme il était courant à l’époque pour les poètes. Son œuvre nous renseigne bien sur vie, et rarement œuvre et vie auront été indissociables. Ses poèmes ont pratiquement été traduits dans toutes les langues.

Œuvres de François Villon

  • Ballade des contre vérités (1455–1456)
  • Le Lais (1457)
  • Épître à Marie d’Orléans (1458)
  • Double ballade (1458)
  • Ballade des contradictions (1458)
  • Ballade franco-latine (1458)
  • Ballade des proverbes (1458)
  • Ballade des menus propos (1458)
  • Épître à ses amis (1461)
  • Débat du cuer et du corps de Villon (1461)
  • Ballade contre les ennemis de la France (1461)
  • Requeste au prince (1461)
  • Le Testament (1461)
  • Ballade des dames du temps jadis (1458-59)
  • Ballade des seigneurs du temps jadis
  • Ballade en vieux langage françois
  • Les regrets de la belle Heaulmiere
  • Ballade de la Belle Heaulmière aux filles de joie
  • Double ballade sur le mesme propos
  • Ballade pour prier Nostre Dame
  • Ballade à s’amie
  • Lay ou rondeau
  • Ballade pour Jean Cotart
  • Ballade pour Robert d’Estouteville
  • Ballade des langues ennuieuses
  • Les Contredits de Franc Gontier
  • Ballade des femmes de Paris
  • Ballade de la Grosse Margot
  • Belle leçon aux enfants perdus
  • Ballade de bonne doctrine
  • Rondeau ou bergeronnette
  • Épitaphe
  • Rondeau
  • Ballade de conclusion
  • Ballade de bon conseil (1462)
  • Ballade de Fortune (1462)
  • Le jargon et jobellin dudit Villon (1489)
  • Ballade des pendus (1462)
  • Quatrain (1462)
  • Louanges à la cour (1463)
  • Question au clerc du guichet (1463) 

Ballade des contre vérités (1455):

Cette ballade serait destinée à son entourage ou ses amies, composés essentiellement de criminels et de voleurs bien que cultivés.

Extraits:

Il n’est soin que quand on a faim
Ne service que d’ennemi,
Ne mâcher qu’un botel de fain,
Ne fort guet que d’homme endormi,
Ne clémence que félonie,
N’assurance que de peureux,
Ne foi que d’homme qui renie,
Ne bien conseillé qu’amoureux…
 
Voulez-vous que verté vous dire ?
Il n’est jouer qu’en maladie,
Lettre vraie qu’en tragédie,
Lâche homme que chevalereux,
Orrible son que mélodie,
Ne bien conseillé qu’amoureux.

Le Lais ou Petit Testament (1457) :

Il a commencé à l’écrire en prison. Il l’achève à sa libération et après avoir commis un nouveau cambriolage. Il quitte juste après Paris par prudence, en invoquant des motifs notamment une déception amoureuse. Il fait croire dans ce poème à l’amant martyr qui doit partir parce que sa douleur est immense, comme si Villon l’avait composé pour se préparer un alibi. Dans ce poème l’auteur pauvre qu’il est transmet une fortune qu’il a imaginée, pour se moquer des gens d’en haut de Paris. Son but est de faire rire par des drôleries, de l’ironie, des sous-entendus …  ses truands et criminels d’amis en se moquant des grands.

Extraits:

L’An quatre cent conquate six,
Je, François Villon, écolier,
Considerant, De sens rassis,
Le frein aux dents, franc au collier,
Qu’on doit ses œuvres conseiller
Comme vegece le raconte,
Sage romain, Grand conseiller,
Ou autrement on se mécompte…  
 
Combien que de départ me soit
Dur, si faut il que je l’élogne :
Comme mon pauvre sens conçoit,
Autre que moi et en quelogne,
Dont oncque soret de Boulogne
Ne fut plus alteré d’humeur.
C’est pour moi piteuse besogne :
Dieu en veuille ouïr ma clameur !…
 
Premierement, ou nom du Pere,
Du Fils et du Saint Esprit,
Et de sa glorieuse Mere
Par qui grace rien ne perit,
Je laisse, de par Dieu, mon bruit
A maître Guillaume Villon
Qui en l’honneur de son nom bruit,
Mes tentes et mon pavillon
 
Item, a celle que j’ai dit,
Qui m’a si durement chassé
Que je suis de joie binterdit
Et tout plaisir dechassé,
Je laisse mon cœur enchassé ;
Pale, piteux, mort et transi :
Elle m’a ce mal pourchassé,
Mais Dieu lui en fasse merci !…
 
Item, a maître Ythier Marchant,
Auquel je me sens tres tenu,
Laisse mon brant d’acier tranchant
Ou a maître Jean le Cornu,
Qui est en gage detenu
Pour un écot huit sous montant;
Si veuil, selon le contenu,
Qu’on leur livre, en le rachetant.
 
Item, je laisse a Saint Amant
Le Cheval Blanc avec la Mule
Et à Blaru mon diamant
Et l’Ane rayé qui recule.
Et le decret qui articule
Omnis utriusque sexus,
Contre la Carmeliste bule
Laisse aux curés, pour mettre sus.
 
Item, à Jean Mautaint 
Et maître Pierre Basanier
Le gré du seigneur qui atteint
Troubles, forfaits sans épargnier ;
Et à mon procureur Fournier
Bonnets courts, chausses semelees
Taillees, sur mon cordouanier
Pour porter durant ces gelées…   

Extraits traduits en français moderne:

L’an quatre cent cinquante-six, moi, François Villon, étudiant, considérant , bien sain d’esprit, serrant les dents, tirant franchement au collier, qu’on doit peser ses actions, comme Végèce le démontre, le sage Romain, l’illustre conseiller, ou on s’expose à des mécomptes… Bien que la séparation me soit dure, pourtant il faut que je la quitte: comme le comprend ma pauvre raison, un autre que moi est en quenouille, et jamais hareng saur de Boulogne n’a été plus assoiffé qu’elle. C’est pour moi une pitoyable affaire: que Dieu veuille entendre ma plainte! Item, à celle dont j’ai parlé, qui si durement m’a chassé que je suis interdit de joie et banni de tout plaisir, je laisse mon cœur mis en châsse, exsangue, pitoyable, mort, trépassé: elle m’a procuré ce malheur, mais que Dieu le lui pardonne!… Item, à maître Jean Mautaint et maître Pierre Basanier la faveur du seigneur qui poursuit troubles, forfaits, sans douceur; et à mon procureur Fournier, des bonnets court, des chausses à semelles, taillées chez mon cordonnier, pour porter durant les présentes gelées…

Epître à Marie d’Orléans (1458) :

Au moment où il est emprisonné après avoir été condamné à mort en 1457, naît Marie d’Orléans fille du duc Charles d’Orléans et de Marie de Clèves, nièce du duc de Bourgogne. A cette occasion il est amnistié, et voit en la nouvelle-née un don du ciel venue le sauver. Il écrit une double ballade, des vers pleins de sentiments.

Extraits :

O louee conceptïon
Envoiee sa jus des cieulx,
Du noble lis digne sÿon,
Don de Jhesus tres precïeulx
Marie, nom tres gracïeulx,
Fons de pitié, source de grace,
La joye, confort de mes yeulx,
Qui nostre paix batist et brasse !
 
La paix, c’est assavoir des riches,
Des povres le substantament,
Le rebours des felons et chiches ;
Tres necessaire enfantement,
Conceu, porté honnestement,
– Hors le pechié originel –
Que dire je puis sainctement,
Souverain bien de Dieu eternel.
 
Nom recouvré, joye de peuple,
Confort des bons, des maulx retraicte,
Du doulx seigneur premiere et seule
Fille de son cler sang extraicte,
Du dextre costé Clovis traicte,
Glorïeuse ymage en tous fais,
Ou hault ciel cree et pourtaicte
Pour esjouÿr et donner paix…  

Requête à monseigneur de Bourbon :

L’auteur s’est retrouvé sans auncun sou, comme cela lui arrivait souvent. Il adresse dans ce poème une demande de prêt (six écus) à Mgr de Bourbon.

Extraits :

Le mien seigneur et prince redouté
Fleuron de lys, royale géniture,
François Villon, que Travail a dompté
A coups orbes, par force de bature,
Vous supplie par cette humble écriture
Que lui fassiez quelque gracieux prêt.
De s’obliger en toutes cours est prêt,
Si ne doutez que bien ne vous contente :
Sans y avoir dommage n’intérêt,
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.
 
A prince n’a un denier emprunté,
Fors à vous seul, votre humble créature.
De six écus que lui avez prêté,
Cela piéça il mit en nourriture,
Tout se paiera ensemble, c’est droiture,
Mais ce sera légièrement et prêt ;
Car se du gland rencontre en la forêt
D’entour Patay et châtaignes ont vente,
Payé serez sans délai ni arrêt :
Vous n’y perdrez seulement que l’attente.

Epitre à mes amis (1461) :

Ecrit à la  prison de Meung-sur Loire, pour se plaindre de sa condition à ses amis des bas fonds. En réalité Villon semble s’adresser indirectement aux gens qui ont quelque pouvoir, pour leur inspirer pitié et le libérer.

Extraits:

Ayez pitié, ayez pitié de moi,
A tout le moins, s’il vous plaît, mes amis !
En fosse gis, non pas sous houx ne mai,
En cet exil ouquel je suis transmis
Par Fortune, comme Dieu l’a permis.
Filles aimant jeunes gens et nouveaux,
Danseurs, sauteurs, faisant les pieds de veaux,
Vifs comme dards, aigus comme aiguillon,
Gousiers tintant clair comme cascaveaux,
Le laisserez là, le pauvre Villon ?
 
Chantres chantant à plaisance, sans loi,
Galants riant, plaisants en faits et dits,
Coureux allant francs de faux or, d’aloi,
Gens d’esperit, un petit étourdis,
Trop demourez, car il meurt entandis.
Faiseurs de lais, de motets et rondeaux,
Quand mort sera, vous lui ferez chaudeaux !
Où gît, il n’entre éclair ne tourbillon :
De murs épais on lui a fait bandeaux.
Le laisserez là, le pauvre Villon ?… 

Ballade contre les ennemies de la France (1461) :

Cette ballade est écrite surement pour attirer l’attention du roi, pour obtenir sa clémence alors qu’il est exilé loin de Paris. Sa requête reste sans suite, alors il rentre à Paris malgré l’interdiction de séjour qui lui est assigné.

Extraits:

Rencontré soit de bêtes feu jetant
Que Jason vit, quérant la Toison d’or ;
Ou transmué d’homme en bête sept ans
Ainsi que fut Nabugodonosor ;
Ou perte il ait et guerre aussi vilaine
Que les Troyens pour la prise d’Hélène ;
Ou avalé soit avec Tantalus
Et Proserpine aux infernaux palus ;
Ou plus que Job soit en grieve souffrance,
Tenant prison en la tour Dedalus,
Qui mal voudroit au royaume de France !…
 
D’Octovien puist revenir le temps :
C’est qu’on lui coule au ventre son trésor ;
Ou qu’il soit mis entre meules flottant
En un moulin, comme fut saint Victor ;
Ou transglouti en la mer, sans haleine,
Pis que Jonas ou corps de la baleine ;
Ou soit banni de la clarté Phébus,
Des biens Juno et du soulas Vénus,
Et du dieu Mars soit pugni à outrance,
Ainsi que fut roi Sardanapalus,
Qui mal voudroit au royaume de France !
 
Prince, porté soit des serfs Eolus
En la forêt où domine Glaucus,
Ou privé soit de paix et d’espérance :
Car digne n’est de posséder vertus,
Qui mal voudroit au royaume de France ! 

Ballade du concours de Blois

Appelé aussi « Je meurs de soif auprès de la fontaine »

Villon a écrit cette ballade à l’occasion d’un concours organisé par le duc Charles d’Orléans dans sa cour de Blois, où il s’était retiré à sa sortie de la prison anglaise.

Je meurs de soif auprès de la fontaine,
Chaud comme feu, et tremble dent à dent ;
En mon pays suis en terre lointaine ;
Près d’un brasier frissonne tout ardent ;
Nu comme un ver, vêtu en président,
Je ris en pleurs et attends sans espoir ;
Confort reprends en triste désespoir ;
Je m’éjouis et n’ai plaisir aucun ;
Puissant je suis sans force et sans pouvoir,
Bien recueilli, débouté de chacun…
 
De rien n’ai soin, aussi mets toute ma peine
D’acquérir biens et n’y suis prétendant ;
Qui mieux me dit, c’est cil qui plus m’ataine,
Et qui plus vrai, lors plus me va bourdant ;
Mon ami est, qui me fait entendant
D’un cygne blanc que c’est un corbeau noir ;
Et qui me nuit, crois qu’il m’aide à pourvoir ;
Bourde, verté, aujourd’hui m’est tout un ;
Je retiens tout, rien ne sais concevoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.
 
Prince clément (Charles d’Orléans), or vous plaise savoir
Que je comprends bien et n’ai ni sens ni savoir :
Partial suis, à toutes lois commun.
Que sais-je plus ? Quoi ? Les gages ravoir,
Bien recueilli, débouté de chacun.

Ballade des pendus (1462) :

C’est le poème le plus célèbre et connu de Villon. Alors qu’il est emprisonné de nouveau et condamné cette fois à mort, il le compose pour atténuer sa peur et son angoisse en attendant sa pendaison. Se sachant condamné il se fait défenseur des pauvres et des voleurs, tout en implorant la pitié du roi. C’est une véritable méditation sur la peine de mort.

Extraits (en français moderne):

Frères humains qui après nous vivez,
N’ayez pas vos cœurs durcis à notre égard,
Car si vous avez pitié de nous, pauvres,
Dieu aura plus tôt miséricorde de vous.
Vous nous voyez attachés ici, cinq, six:
Quant à notre chair, que nous avons trop nourrie,
Elle est depuis longtemps dévorée et pourrie,
Et nous, les os, devenons cendre et poussière.
De notre malheur, que personne ne se moque,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
 
Si nous vous appelons frères, vous n’en devez
Avoir dédain, bien que nous ayons été tués
Par justice. Toutefois vous savez
Que tous les hommes n’ont pas l’esprit bien rassis.
Excusez-nous, puisque nous sommes trépassés,
Auprès du fils de la Vierge Marie,
De façon que sa grâce ne soit pas tarie pour nous,
Et qu’il nous préserve de la foudre infernale.
Nous sommes morts, que personne ne nous tourmente,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
 
La pluie nous a lessivés et lavés
Et le soleil nous a séchés et noircis;
Pies, corbeaux nous ont les yeux cavés,
Et arraché la barbe et les sourcils.
Jamais un seul instant nous ne sommes assis;
De ci de là, selon que le vent tourne,
Il ne cesse de nous ballotter à son gré,
Plus becquétés d’oiseaux que dés à coudre.
Ne soyez donc de notre confrérie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre!
 
Prince Jésus qui a puissance sur tous,
Fais que l’enfer n’ait sur nous aucun pouvoir :
N’ayons rien à faire ou à solder avec lui.
Hommes, ici pas de plaisanterie,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre. 

Ballade de bon conseil (1462)

Par cette ballade où il fait comme s’il était de bon conseil, il se transforme en donneur de bonnes leçons. Villon tente de convaincre qu’il est délinquant amendé, dans l’espoir dêtre réadmis dans le milieu des bonnes gens.

Hommes faillis, bertaudés de raison,
Dénaturés et hors de connoissance,
Démis du sens, comblés de déraison,
Fous abusés, pleins de déconnoissance,
Qui procurez contre votre naissance,
Vous soumettant à détestable mort
Par lâcheté, las ! que ne vous remord
L’horribleté qui à honte vous mène ?
Voyez comment maint jeunes homs est mort
Par offenser et prendre autrui demaine…
 
Que vaut piper, flatter, rire en traison,
Quêter, mentir, affirmer sans fiance,
Farcer, tromper, artifier poison,
Vivre en péché, dormir en défiance
De son prouchain sans avoir confiance ?
Pour ce conclus : de bien faisons effort,
Reprenons coeur, ayons en Dieu confort,
Nous n’avons jour certain en la semaine ;
De nos maux ont nos parents le ressort
Par offenser et prendre autrui demaine. 

Belle leçon aux enfants perdus :

S’inspirant de sa propre expérience d’homme qui a tournée, il s’adresse aux enfants perdus pour qu’ils reviennent sur le droit chemin.

Beaux enfants, vous perdrez la plus
Belle rose de vo chapeau ;
Mes clercs près prenant comme glus,
Se vous allez à Montpipeau
Ou à Ruel, gardez la peau :
Car, pour s’ébattre en ces deux lieux,
Cuidant que vausît le rappeau,
Le perdit Colin de Cayeux.Ce n’est pas un jeu de trois mailles,
Où va corps, et peut-être l’âme.
Qui perd, rien n’y sont repentailles
Qu’on n’en meure à honte et diffame ;
Et qui gagne n’a pas à femme
Dido, la reine de Carthage.
L’homme est donc bien fol et infâme
Qui, pour si peu, couche tel gage. 

Le Grand Testament (1462):

C’est certainement le dernier poème de l’auteur, avant de prendre définitivement  le parti des siens c’est-à-dire des truands en s’identifiant à eux dans ses onze dernières ballades. Dans le Grand Testament il revient sur lui-même et sa vie. Il se confesse et se repentie avec plaisanteries, mais exprime parfois des remords qui semblent sincères.

En l’an de mon trentiesme aage,
Que toutes mes hontes j’euz beues,
Ne du tout fol, ne du tout saige
Non obstant maintes peines eues,
Lesquelles j’ay toutes receues
Soubz la main Thibault d’Aucigny …
S’esvesque il est, signant les rues,
Qu’il soit le mien je le regny. 
 
Mon seigneur n’est ne mon evesque,
Soubz luy ne tiens, s’il n’est en friche ;
Foy ne luy doy n’ommaige avecque,
Je ne suis son serf ne sa biche.
Peu m’a d’une petite miche
Et de froide eaue tout ung esté ;
Large ou estroit, moult me fut chiche :
Tel luy soit Dieu qu’il m’a esté !…
 
Et s’esté m’a dur ne cruel,
Trop plus que cy je ne raconte,
Je veul que le Dieu eternel
Luy soit dont semblable a ce compte.
Et l’Eglise nous dit et compte
Que prions pour noz annemys ;
Je vous diray j’ay tort et honte,
Quoi qu’il m’aist fait, a Dieu remys. …
 
Escript l’ay l’an soixante et ung,
Lors que le roy me delivra
De la dure prison de Mehum,
Et que vie me recouvra,
Dont suis, tant que mon cueur vivra,
Tenu vers luy m’usmilier,
Ce que feray jusqu’il mourra :
Bienfait ne se doit oublier… 
 
Je suis pecheur, je le sçay bien,
Pourtant ne veult pas Dieu ma mort,
Mais convertisse et vive en bien,
Et tout autre que pechié mort.
Combien qu’en pechié soye mort,
Dieu vit, et sa misericorde,
Se conscïence me remort,
Par sa grace pardon m’acorde…
 
Je plains le temps de ma jeunesse,
Ouquel j’ay plus qu’autre gallé
Jusqu’a l’entrée de vieillesse,
Qui son partement m’a cellé :
Il ne s’en est a pié alé
N’a cheval : helas ! comment don ?
Soudainement s’en est vollé
Et ne m’a laissié quelque don. 
 
Allé s’en est, et je demeure,
Povre de sens et de savoir,
Triste, failly, plus noir que meure,
Qui n’ay ne cens, rente n’avoir;
Des miens le mendre, je dy voir,
De me desavouer s’avance,
Oubliant naturel devoir
Par faulte d’un peu de chevance…
 
Bien sçay, se j’eusse estudïé
Ou temps de ma jeunesse folle
Et a bonnes meurs dedïé,
J’eusse maison et couche molle …
Mais quoy ! je fuyoie l’escolle
Comme fait le mauvaiz enffant.
En escripvant ceste parolle,
A peu que le cueur ne me fent…
 
En cest incident me suis mis,
Qui de riens ne sert a mon fait.
Je ne suis juge ne commis
Pour pugnir n’absouldre meffait :
De tous suis le plus imparfait ;
Loué soit le doulx Jhesu Crist !
Que par moy leur soit satisffait :
Ce que j’ay escript est escript….
 
Povre je suis de ma jeunesse,
De povre et de peticte extrasse ;
Mon pere n’eust oncq grant richesse,
Ne son ayeul, nommé Orrace ;
Povreté tous nous suit et trace.
Sur les tumbeaux de mes ancestres,
Les ames desquelz Dieu embrasse,
On n’y voit couronnes ne ceptres….
 
Povre je suis de ma jeunesse,
De povre et de peticte extrasse ;
Mon pere n’eust oncq grant richesse,
Ne son ayeul, nommé Orrace ;
Povreté tous nous suit et trace.
Sur les tumbeaux de mes ancestres,
Les ames desquelz Dieu embrasse,
On n’y voit couronnes ne ceptres…. 

Louanges à la cour (1463)

(Ou requête à la cour de Parlement)

Condamné à l’exil après l’annulation de sa condamnation à mort, il s’adresse en vers rimés et d’une manière fort pathétique aux juges du parlement pour les remercier. Il demande un sursis de trois jours pour se procurer un peu d’argent et faire ses adieux avant de quitter Paris.

Tous mes cinq sens : yeux, oreilles et bouche,
Le nez, et vous, le sensitif aussi,
Tous mes membres où il y a reprouche,
En son endroit un chacun die ainsi :
 » Souvraine Cour, par qui sommes ici,
Vous nous avez gardé de déconfire.
Or la langue seule ne peut souffire
A vous rendre suffisantes louanges ;
Si parlons tous, fille du Souvrain Sire,
Mère des bons et soeur des benoîts anges ! « 

Coeur, fendez-vous, ou percez d’une broche,
Et ne soyez, au moins, plus endurci
Qu’au désert fut la forte bise roche
Dont le peuple des Juifs fut adouci :
Fondez larmes et venez à merci ;
Comme humble coeur qui tendrement soupire,
Louez la Cour, conjointe au Saint Empire,
L’heur des François, le confort des étranges,
Procréée lassus ou ciel empire,
Mère des bons et soeur des benoîts anges !

Autres ballades (extraits):

Ballade des dames du temps jadis

Dites-moi où, n’en quel pays,
Est Flora la belle Romaine,
Archipiades, ne Thaïs,
Qui fut sa cousine germaine,
Echo, parlant quant bruit on mène
Dessus rivière ou sur étang,
Qui beauté eut trop plus qu’humaine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?Où est la très sage Héloïs,
Pour qui fut châtré et puis moine
Pierre Esbaillart à Saint-Denis ?
Pour son amour eut cette essoine.
Semblablement, où est la roine
Qui commanda que Buridan
Fût jeté en un sac en Seine ?
Mais où sont les neiges d’antan ?

Ballade pour prier Nostre Dame

Dame du ciel, régente terrienne,
Emperière des infernaux palus,
Recevez-moi, votre humble chrétienne,
Que comprise soie entre vos élus,
Ce nonobstant qu’oncques rien ne valus.
Les biens de vous, ma Dame et ma Maîtresse
Sont bien plus grands que ne suis pécheresse,
Sans lesquels biens âme ne peut mérir
N’avoir les cieux. Je n’en suis jangleresse :
En cette foi je veuil vivre et mourir.
 
A votre Fils dites que je suis sienne ;
De lui soient mes péchés abolus ;
Pardonne moi comme à l’Egyptienne,
Ou comme il fit au clerc Theophilus,
Lequel par vous fut quitte et absolus,
Combien qu’il eût au diable fait promesse
Préservez-moi de faire jamais ce,
Vierge portant, sans rompure encourir,
Le sacrement qu’on célèbre à la messe :
En cette foi je veuil vivre et mourir…

Ballade des femmes de Paris

Quoiqu’on tient belles langagères
Florentines, Vénitiennes,
Assez pour être messagères,
Et mêmement les anciennes,
Mais soient Lombardes, Romaines.
Genevoises, à mes périls,
Pimontoises, savoisiennes,
Il n’est bon bec que de Paris.
 
De beau parler tiennent chaïères,
Ce dit-on, les Napolitaines,
Et sont très bonnes caquetières
Allemandes et Prussiennes ;
Soient Grecques, Egyptiennes,
De Hongrie ou d’autres pays,
Espagnoles ou Catelennes,
Il n’est bon bec que de Paris…

Ballade des seigneurs du temps jadis

Qui plus, où est li tiers Calixte,
Dernier décédé de ce nom,
Qui quatre ans tint le papaliste,
Alphonse le roi d’Aragon,
Le gracieux duc de Bourbon,
Et Artus le duc de Bretagne,
Et Charles septième le bon ?
Mais où est le preux Charlemagne ?
 
Semblablement, le roi scotiste
Qui demi face ot, ce dit-on,
Vermeille comme une émastiste
Depuis le front jusqu’au menton,
Le roi de Chypre de renom,
Hélas ! et le bon roi d’Espagne
Duquel je ne sais pas le nom ?
Mais où est le preux Charlemagne ? 

Citations de François Villon:

  • Je suis Français, dont il me pèse. 
  • Rien ne m’est sûr que la chose incertaine.
  • Jamais mal acquit ne profite.
  • Il n’est trésor que de vivre à son aise.
  • En grande pauvreté ne gît pas grande loyauté.
  • Pour un plaisir, mille douleur.
  • Qui meurt a le droit de tout dire.
  • Jamais mal acquis ne profite.

Villon  et son oeuvre ont inspiré également musiciens et cinéastes.

Musique :

  • « La ballade des pendus » est mise en musique par Leo Ferré. Little Nemo la met en chanson dans l’albuim « Past and Future » Et Reggiani avec sa voix saisissante la chante en lui imprégnant toute la gravité necessaire.
  • La « Ballade contre les ennemis de la France » est mise en chanson par Peste Noire tout récemment en 2009 ;
  • Villon est également inspirateur de Richard Desjardins. On retrouve « La ballade des pendus «  dans l’album « Boom Boom » (1998).

Au théatre :

Bertoly Brecht s’en inspira pour son « Opéra de quat’sous » (1928 à Berlin)

Sa vie inspira la pièce « If I were king » de Justin Huntly Mccarthy (1901 à Broadway)

Opérette « The Vagabond King » crée par rudolf friml (1925)

Au cinéma :

Dans « The Oubliette » et « The Higher Law », Charles Giblyn s’inspire de la vie du poète (1914).

Dans « Le Roi des Vagabonds » Ludwig Berger retrace la vie de Villon (1930).

Dans « If I were King » (Le Roi des gueux) Frank Lloyd fait de même (1938).

Dans « François Villon » André Zwoboda retrace la vie du poète (1945)

En 1945 André Zwoboda retrace la vie du poète dans « François Villon »

« Si Paris nous était conté » est une œuvre de Sacha Guitry sur le poète (1956)

Dans la comédie musicale « The Vagabond King », Michael curtiz s’inspire de la vie de Villon.

Écrits portant sur François Villon :

« François Villon, sa vie et ses œuvres » d’Antoine François Campaux (1859).

« Etude biographique sur François Villon » d’Auguste Lognnon (1873).

« Les origines noirmandes de François villon » de Charles Théophile féret (1904).

« François Villon : Hist Life and times » de H. de vere Stackpoole (1917).

« Villon et Rabelais » de Louis Thuasne (1911).

« Notice sur François Villon » d’Auguste Vitu (1873).

 

Charles d'Orléans dans sa prison anglaise

Biographie du duc Charles d’Orléans:

Ce prince si proche de la couronne de France, petit-fils, neveu, cousin et père de rois, manquera peut-être ainsi le destin politique qui aurait pu être le sien.
Mais il deviendra l’un des poètes les plus émouvants qui soient par son attention mélancolique et souriante, familière et lasse, aux mouvements de l’âme, à ses humeurs changeantes, à la couleur de l’instant qui passe, au temps qui fuit.

Petit- fils du roi Charles V et père du futur roi louis XII, Charles d’Orléans naît à Paris le 24 novembre 1394 de Louis I duc Orléans et de Valentine Visconti fille du duc de Milan. Frère du futur roi de France Charles VI, l’enfance du prince français est marquée par la terrible rivalité qui oppose son père à Jean sans Peur duc de Bourgogne. Rivalité d’autant plus tragique qu’elle aboutie à la guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs.

Malgré tout il reçoit de sa mère une éducation des plus distinguées, qui lui fait prendre goût aux lettres et aux arts. Il épouse en 1406 Isabelle de Valois, fille de Charles VI sa cousine germaine (veuve de Richard II d’Angleterre). Mais le malheur s’abat vite sur sa famille. En 1407 il perd d’abord son père, assassiné sur ordre de Jean sans Peur. En tant qu’aîné il hérite d’une grosse part de l’héritage : le duché d’Orléans, les comtés de Blois et de Valois et les seigneuries Coucy et Chauny. Comme un malheur n’arrive jamais seul, sa mère très affectée décède à son tour moins d’une année après. Sa femme Isabelle de France meurt à son tour en 1408 en donnant vie à une fille. Il se remarie en 1410 avec Bonne d’Armagnac la fille du comte Bernard VII d’Armagnac (grand féodal du Sud-Ouest).

Le 25 octobre 1415 Charles Orléans est fait prisonnier après la débâcle de la bataille d’Azincourt (contre Henri V et les Anglais) à laquelle il prend part. Il est emmené en Angleterre, et sa libération est conditionnée par le versement d’une rançon de 220 000 écus. Jugée faramineuse personne ne se manifeste pour la payer. Il passe vingt-cinq longues années dans les prisons anglaises. Il met alors à profit cette longue captivité anglaise, pour développer ses talents de poète. Sans doute par soucis, tout au moins au début, de meubler ses journées de solitude et d’isolement loin de son pays et de sa famille.

Les démarches entremises par Philippe le Bon, duc de Bourgogne aboutissent. Celui-ci paye la rançon et le prince-poète est libéré le 5 novembre 1440. Il est alors âgé de 49 ans. Devenu veuf durant sa captivité, il épouse Marie de Clèves nièce de son libérateur et petite-fille du meurtrier de son père. Ce mariage selle la réconciliation entre les maisons d’Orléans et celles des Bourguignons. L’auteur se retire ensuite dans son château de Blois. Il ouvre un cercle académique ouvert à tous les beaux esprits. Des tournois littéraires sont organisés. C’est là que François Villon fait ses débuts alors qu’il n’est qu’écolier. Tout comme de nombreux autres poètes, il bénéficie des faveurs de Charles d’Orléans qui les entretient.

Charles d’Orléans est pour certains l’un des derniers trouvères (poètes et chanteurs) en langue d’oïl. Avec sa tranquillité d’âme et sa grande amabilité il nous a transmis les peines, les larmes, les espoirs d’un poète résigné dont les vers sont tout de sensibilité et de douceur. Il meurt à Amboise le 5 janvier 1465. Inhumé en l’église du Saint-Sauveur à Blois, ses restes funéraires sont rapatriés plus tard à Paris (avec ceux de sa famille) par son fils, le roi Louis XII.

Oeuvre de Charles d’Orléans :

A cause du dédain et de l’indifférence de Louis XII et François I, les manuscrits des poésies du prince-poète sont oubliés au fond d’une bibliothèque…trois siècles durant. C’est en  feuilletant des livres poussiéreux, que l’abbé Sallier les découvrent par hasard. Après trois siècles d’oubli, ils sont dépoussiérés et imprimés pour connaître un grand succès. « …Jamais on n’a dit des riens avec plus de grâce et de finesse; jamais les sentiments doux, tendres sans vraie passion, mélancoliques sans vraie tristesse, n’ont trouvé un interprète plus délicat; jamais l’ironie sur soi-même et sur les autres n’a été plus légère et plus bienveillante; jamais avant lui le français n’avait été manié avec cette aisance et cette adresse. » Écrivait Gaston Paris dans « Monde poétique » 1886.

Et pourtant, Charles d’Orléans est l’auteur d’une œuvre considérable composée essentiellement de ballades et de rondeaux. On dénombre pas moins de 102 ballades, 400 rondeaux, 131 chansons et sept complaintes en plus de quelques pièces poétiques écrites en anglais. Ses écrits contrastent avec la réalité de sa vie bien ébranlée et tourmentée. Comme si « La poésie était pour lui un passe-temps, un amusement d’imagination et non un cri de l’âme ».

L’œuvre de Charles est composée de deux parties. Celle qui regroupe les vers écrits en captivité est désignée par « le Livre que monseigneur l’Orléans écrivit dans sa prison ». L’allégorie amoureuse faisant l’éloge de dame Beauté occupe la plus large place, et on a du mal à croire que c’est là les écrits du neveu du roi de France, de quelqu’un qui a perdu un père assassiné, une mère morte de douleur et qui se retrouve prisonnier des pires ennemis de la France. On retrouve les personnages du Roman de la Roses tels que Vénus, Cupido, Espoir Amour, Pitié, Tristesse, Plaisance ou encore Mélancolie…

La seconde partie de son œuvre est écrite en France après sa libération.

Œuvres du poète Charles d’Orléans:

Quelques ballades

  • Bien moustrez, Printemps gracieux
  • En acquittant nostre temps vers jeunesse
  • En la forest d’Ennuyeuse Tristesse
  • En la forêt de Longue Attente
  • En la nef de bonne nouvelle
  • En regardant vers le païs de France
  • Escollier de Merencolie
  • France, jadis on te soulait nommer
  • J’ay fait l’obseque de ma dame
  • Je fu en fleur ou temps passé d’enfance
  • Je meurs de soif en couste la fontaine
  • Je n’ay plus soif, tairie est la fontaine
  • Las ! Mort, qui t’a fait si hardie
  • Le beau souleil, le jour saint Valentin
  • Le lendemain du premier jour de may
  • Le premier jour du mois de may
  • Mon cueur m’a fait commandement
  • Pourquoy m’as tu vendu, Jeunesse
  • Quant vint a la prochaine feste

Quelques extraits:

Bien moustrez, Printemps gracieux

Bien moustrez, Printemps gracieux
De quel mestier savez servir,
Car Yver fait cueurs ennuieux,
Et vous les faictes resjouir.
Si tost comme il vous voit venir,
Lui et sa meschant retenue
Sont contrains et prestz de fuir
A vostre joyeuse venue.
 
Yver fait champs et arbres vieulx,
Leurs barbes de neige blanchir,
Et est si froit, ort* et pluieux
Qu’emprés le feu couvient croupir ;
On ne peut hors des huis yssir**
Comme un oisel qui est en mue.
Mais vous faittes tout rajeunir
A vostre joyeuse venue…
 
 Le lendemain du premier jour de may
 
Le lendemain du premier jour de may,
Dedens mon lit ainsi que je dormoye,
Au point du jour m’avint que je songay
Que devant moy une fleur je veoye,
Qui me disoit : « Amy, je me souloye
En toy fier, car pieça mon party
Tu tenoies ; mais mis l’as en oubly
En soustenant la fueille contre moy.
J’ay merveille que tu veulx faire ainsi :
Riens n’ay meffait, se pense je, vers toy. »
 
Tout esbahy alors je me trouvay ;
Si respondy su mieulx que je savoye :
Tres belle fleur, oncques ne pensay
Faire chose qui desplaire te doye ;
Se pour esbat aventure m’envoye
Que je serve la fueille cest an cy,
Doy je pour tant estre de toy banny ?
Nenni ! certes, je fais comme je doy.
Et se je tiens le party qu’ay choisy,
Riens n’ay meffait, ce pense je, vers toy.

En acquittant nostre temps vers jeunesse

En acquittant nostre temps vers jeunesse,
Le nouvel an et la saison jolie,
Plains de plaisir et de toute liesse
– Qui chascun d’eulx chierement nous en prie -,
Venuz sommes en ceste mommerie*,
Belles, bonnes, plaisans et gracieuses,
Prestz de dancer et faire chiere lie
Pour resveillier voz pensees joieuses.
 
Or bannissiez de vous toute peresse,
Ennuy, soussy, avec merencolie,
Car froit yver, qui ne veult que rudesse,
Est desconfit et couvient qu’il s’en fuye !
Avril et may amainent doulce vie
Avecques eulx ; pource soyez soingneuses
De recevoir leur plaisant compaignie
Pour resveillier voz pensees joieuses !…

En regardant vers le païs de France

En regardant vers le païs de France,
Un jour m’avint, a Dovre sur la mer,
Qu’il me souvint de la doulce plaisance
Que souloye oudit pays trouver ;
Si commençay de cueur a souspirer,
Combien certes que grant bien me faisoit
De voir France que mon cueur amer doit.
 
Je m’avisay que c’estoit non savance
De telz souspirs dedens mon cueur garder,
Veu que je voy que la voye commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner ;
Pour ce, tournay en confort mon penser.
ais non pourtant mon cueur ne se lassoit
De voir France que mon cueur amer doit.
 
Alors chargay en la nef d’Esperance
Tous mes souhaitz, en leur priant d’aler
Oultre la mer, sans faire demourance,
Et a France de me recommander.
Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder !
Adonc auray loisir, mais qu’ainsi soit,
De voir France que mon cueur amer doit…

En la forêt de Longue Attente (en français moderne)

En la forêt de Longue Attente
Chevauchant par divers sentiers
M’en vais, cette année présente,
Au voyage de Desiriers.
Devant sont allés mes fourriers
Pour appareiller mon logis
En la cité de Destinée ;
Et pour mon coeur et moi ont pris
L’hôtellerie de Pensée.

Je mène des chevaux quarante
Et autant pour mes officiers,
Voire, par Dieu, plus de soixante,
Sans les bagages et sommiers.
Loger nous faudra par quartiers,
Si les hôtels sont trop petits ;
Toutefois, pour une vêprée,
En gré prendrai, soit mieux ou pis,
L’hôtellerie de Pensée…

En la forest d’Ennuyeuse Tristesse

En la forest d’Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m’avint qu’a par moy cheminoye,
Si rencontray l’Amoureuse Deesse
Qui m’appella, demandant ou j’aloye.
Je respondy que, par Fortune, estoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu’a bon droit appeller me povoye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va.
 
En sousriant, par sa tresgrant humblesse,
Me respondy : « Amy, se je savoye
Pourquoy tu es mis en ceste destresse,
A mon povair voulentiers t’ayderoye ;
Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye
De tout plaisir, ne sçay qui l’en osta ;
Or me desplaist qu’a present je te voye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va.

— Helas ! dis je, souverainne Princesse,
Mon fait savés, pourquoy le vous diroye ?
C’est par la Mort qui fait a tous rudesse,
Qui m’a tollu celle que tant amoye,
En qui estoit tout l’espoir que j’avoye,
Qui me guidoit, si bien m’acompaigna
En son vivant, que point ne me trouvoye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va. »…

Traduction en français moderne:

Un jour m’advint qu’à part moi cheminais,
Si rencontrai l’Amoureuse Déesse
Qui m’appela, demandant où j’allais.
Je répondis que, par Fortune, étais
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu’à bon droit appeler me pouvait
L’homme égaré qui ne sait où il va.

En souriant, par sa très grande humblesse,
Me répondit : « Ami, si je savais
Pourquoi tu es mis en cette détresse,
À mon pouvoir volontiers t’aiderais ;
Car, jà piéça, je mis ton cœur en voie
De tout plaisir, ne sais qui l’en ôta ;
Or me déplaît qu’à présent je te vois
L’homme égaré qui ne sait où il va. »

– Hélas ! dis-je, souveraine Princesse,
Mon fait savez, pourquoi le vous dirais ?
C’est par la Mort qui fait à tous rudesse,
Qui m’a tollu celle que tant aimais,
En qui était tout l’espoir que j’avais,
Qui me guidait, si bien m’accompagna
En son vivant, que point ne me trouvais
L’homme égaré qui ne sait où il va.

France, jadis on te soulait nommer

France, jadis on te soulait nommer,
En tous pays, le trésor de noblesse,
Car un chacun pouvait en toi trouver
Bonté, honneur, loyauté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, prouesse.
Tous étrangers aimaient te suivre.
Et maintenant vois, dont j’ai déplaisance,
Qu’il te convient maint grief mal soustenir,
Très chrétien, franc royaume de France.
 
Sais-tu d’où vient ton mal, à vrai parler ?
Connais-tu point pourquoi es en tristesse ?
Conter le veux, pour vers toi m’acquitter,
Ecoute-moi et tu feras sagesse.
Ton grand orgueil, glotonnie, paresse,
Convoitise, sans justice tenir,
Et luxure, dont as eu abondance,
Ont pourchacié vers Dieu de te punir,
Très chrétien, franc royaume de France…
 
Et je, Charles, duc d’Orléans, rimer
Voulus ces vers au temps de ma jeunesse ;
Devant chacun les veux bien avouer,
Car prisonnier les fis, je le confesse ;
Priant à Dieu, qu’avant qu’aie vieillesse,
Le temps de paix partout puisse avenir,
Comme de cœur j’en ai la désirance,
Et que voie tous tes maux brief finir,
Très chrétien, franc royaume de France !…

Le beau souleil, le jour saint Valentin (En français moderne)

Le beau souleil, le jour saint Valentin,
Qui apportoit sa chandelle alumee,
N’a pas longtemps entra un bien matin
Priveement en ma chambre fermee.
Celle clarté qu’il avoit apportee,
Si m’esveilla du somme de soussy
Ou j’avoye toute la nuit dormy
Sur le dur lit d’ennuieuse pensee.
 
Ce jour aussi, pour partir leur butin
Les biens d’Amours, faisoient assemblee
Tous les oyseaulx qui, parlans leur latin,
Crioyent fort, demandans la livree
Que Nature leur avoit ordonnee
C’estoit d’un per comme chascun choisy.
Si ne me peu rendormir, pour leur cry,
Sur le dur lit d’ennuieuse pensee…

Mon cueur m’a fait commandement

Mon cueur m’a fait commandement 
De venir vers vostre jeunesse, 
Belle que j’ayme loyaument,
Comme doy faire ma princesse.
Se vous demandés :  » Pour quoy esse ?
C’est pour savoir quant vous plaira
Alegier sa dure destresse
Ma dame, le sauray je ja?
 
Ditez le par vostre serment !
Je vous fais leale promesse
Nul ne le saura, seulement
Fors que lui pour avoir leesse.
Or lui moustrés qu’estes maistresse
Et lui mandez qu’il guerira,
Ou s’il doit morir de destresse !
Madame, le sauray je ja ?…

Traduction en français moderne:

Mon cœur m’a fait commandement
De venir vers votre jeunesse,
Belle que j’aime loyaument,
Comme dois faire ma princesse.
Se vous demandez : Pour quoi est-ce ?
C’est pour savoir quand vous plaira
Alléger sa dure détresse
Ma dame, le saurai-je jà ?

Dites-le par votre serment !
Je vous fais léale promesse
Nul ne le saura, seulement
Fors que lui pour avoir liesse.
Or lui montrez qu’êtes maîtresse
Et lui mandez qu’il guérira,
Ou s’il doit mourir de détresse !
Ma dame, le saurai-je jà ?

Pourquoy m’as tu vendu, Jeunesse

Pourquoy m’as tu vendu, Jeunesse,
A grant marchié, comme pour rien,
Es mains de ma dame Viellesse
Qui ne me fait gueres de bien ?
A elle peu tenu me tien,
Mais il convient que je l’endure,
Puis que c’est le cours de nature.
 
Son hostel de noir de tristesse
Est tandu. Quant dedans je vien,
J’y voy l’istoire de Destresse
Qui me fait changer mon maintien,
Quant la ly et maint mal soustien :
Espargnee n’est créature,
Puis que c’est le cours de nature…

Traduction en français moderne:

Pourquoi m’as-tu vendu, Jeunesse,
À grand marché, comme pour rien,
Ès mains de ma dame Vieillesse
Qui ne me fait guère de bien ?
À elle peu tenu me tiens,
Mais il convient que je l’endure,
Puisque c’est le cours de nature.

Son hôtel de noir de tristesse
Est tendu. Quant dedans je viens,
J’y vois l’histoire de Détresse
Qui me fait changer mon maintien
Quand la lis, et maint mal soutien :
Épargnée n’est créature,
Puisque c’est le cours de nature.

Quant vint a la prochaine feste

Quant vint a la prochaine feste
Qu’Amours tenoit son parlement,
Je lui presentay ma requeste
Laquelle leut tresdoulcement,
Et puis me dist :  » Je suy dolent
Du mal qui vous est avenu,
Mais il n’a nul recouvrement,
Quant la mort a son cop féru.
 
Eslongnez hors de vostre teste
Vostre douloreux pensement !
Moustrez vous homme, non pas beste !
Faittes que, sans empeschement,
Ait en vous le gouvernement
Raison qui souvent a pourveu
En maint meschief tressagement,
Quant la mort a son cop féru…

Traduction en français moderne:

Quant vint à la prochaine fête,
Qu’Amour tenait son Parlement,
Je lui présentai ma requête
Laquelle lut très doucement,
Et puis me dit : Je suis dolent
Du mal qui vous est advenu ;
Mais il n’a nul recouvrement,
Quand la Mort a son coup féru.

Éloignez hors de votre tête
Votre douloureux pensement,
Montrez-vous homme, non pas bête,
Faites que, sans empêchement,
Ait en vous le gouvernement
Raison, qui souvent a pourvu
En maint méchef, très sagement,
Quand la Mort a son coup féru…

Priez pour la paix 

Priez pour paix, doulce Vierge Marie,
Royne des cieulx, et du monde maistresse
Faites prier, par vostre courtoisie,
Saincts et sainctes, et prenez vostre adresse
Vers vostre filz, requerrant sa haultesse
Qu’il lui plaise son peuple regarder
Que de son sang a voulu racheter,
En deboutant guerre qui tout desvoye ;
De prieres ne vous vueilliez lasser,
Priez pour paix, le vray tresor de joye.
 
Prier, prélaz et gens de saincte vie,
Religieux, ne dormez en paresse,
Priez, maistres et tous suivant clergie,
Car par guerre fault que l’estude cesse ;
Moustiers destruiz sont sans qu’on les redresse,
Le service de Dieu vous fault laisser,
Quand ne pouvez en repos demourer ;
Priez si fort que briefment Dieu vous oye 1,
L’Église voult à ce vous ordonner ;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.
 
Priez, princes qui avez seigneurie,
Roys, ducs, comtes ; barons plains de noblesse,
Gentilz hommes avec chevalerie,
Car meschans gens surmontent gentillesse ;
En leurs mains ont toute vostre richesse
Debatz les font en hault estat monter 2,
Vous le povez chascun jour voir au cler,
Et sont riches de vos biens et monnoye
Dont vous deussiez le peuple supporter ;
Priez pour paix, le vray tresor de joye…

Traduction en français moderne:

Priez pour paix, douce Vierge Marie,

Reine des cieux et du monde maistresse,

Faites prier, par vostre courtoisie,

Saints et saintes, et prenez vostre adresse

Vers vostre fils, requérant sa hautesse

Qu’il lui plaise son peuple regarder

Que de son sang a voulu racheter,

En deboutant guerre qui tout desvoie;

De prières ne vous veuillez lasser,

Priez pour paix, le vrai trésor de joie.

 

Priez, prélats et gens de sainte vie,

Religieux, ne dormez en paresse,

Priez, maistres et tous suivant clergie,

Car par guerre faut que l’estude cesse;

Moustiers destruits sont sans qu’on les redresse,

Le service de Dieu vous faut laisser,

Quand ne pouvez en repos demeurer;

Priez si fort que briefment Dieu vous oie,

L’Eglise veut à ce vous ordonner;

 

Priez pour paix, le vrai trésor de joie…

Priez, peuples qui souffrez tyrannie,

Car vos seigneurs sont en telle faiblesse

Qu’ils ne peuvent vous garder pour maistrie,

Ni vous aider en votre grand destresse;

Loyaux marchands, la selle si vous blesse

Fort sur le dos, chacun vous vient presser

Et ne pouvez marchandise mener,

Car vous n’avez sûr passage ni voie,

En maint péril vous convient-il passer;

Priez pour paix, le vrai trésor de joie… 

Quelques rondeaux

  • Ce premier jour du mois de may
  • Dedens mon Livre de Pensee
  • Dieu, qu’il la fait bon regarder
  • En faictes vous doubte
  • En verrai ge jamais la fin
  • En yver, du feu, du feu !
  • Fiés vous y !
  • J’ayme qui m’ayme, autrement non
  • Le temps a laissié son manteau
  • Les fourriers d’Eté sont venus
  • Ma seule amour…
  • Mon cuer, estouppe tes oreilles
  • Ne hurtez plus a l’uis de ma pensee
  • Ou puis parfont de ma merencolie
  • Puis ça, puis la…
  • Que me conseillez-vous, mon coeur ?
  • Qui ? quoy ? comment ? a qui ? pourquoy ?
  • Qui a toutes ses hontes beues
  • Vostre bouche dit…
  • Yver, vous n’estes qu’un villain

Extraits de quelques rondeaux:

Ce premier jour du mois de may

Ce premier jour du mois de may,
Quant de mon lit hors me levay
Environ vers la matinee,
Dedans mon jardin de pensee
Avecques mon cueur seul entray.
 
Dieu scet s’entrepris fu d’esmay!
Car en pleurant tout regarday
Destruit d’ennuyeuse gelee,
Ce premier jour du mois de may,
Quant de mon lit hors me levay.
 
En gast fleurs et arbres trouvay ;
Lors au jardinier demanday
Se Desplaisance maleuree
Par tempeste, vent ou nuee
Avoit fait tel piteux array,
Ce premier jour du mois de may.

Le temps a laissé son manteau

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.
 
Il n’y a beste, ne oyseau,
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissié son manteau !
 
Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d’argent, d’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau !
 

Traduction en français moderne:

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,

Et s’est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau

Il n’y a bête ni oiseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
« Le temps a laissé son manteau !
De vent, de froidure et de pluie,»

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent, d’orfèvrerie ;
Chacun s’habille de nouveau.

 
Dieu, qu’il la fait bon regarder
 
Dieu, qu’il la fait bon regarder,
La gracieuse, bonne et belle !
Pour les grans biens qui sont en elle,
Chascun est prest de la louer.
 
Qui se pourroit d’elle lasser ?
Tousjours sa beauté renouvelle,
Dieu, qu’il la fait bon regarder,
La gracieuse, bonne et belle !
 
Par deça ne dela la mer
Ne sçay dame ne damoiselle
Qui soit en tous biens parfais telle ;
C’est un songe que d’y penser.
Dieu, qu’il la fait bon regarder !

Yver, vous n’estes qu’un villain

Yver, vous n’estes qu’un villain!
Esté est plaisant et gentil
en témoing de may et d’avril
qui l’accompaignent soir et main.

Esté revet champs bois et fleurs
de salivrée de verdure
et de maintes autres couleurs,
par l’ordonnance de nature.

Mais vous, Yver, trop estes plein
de nége, vent, pluye et grézil.
On vous deust banir en éxil.
Sans point flater je parle plein:
Yver, vous n’estes qu’un villain!…

Traduction en français moderne:

Hiver, vous n’êtes qu’un vilain,
Eté est plaisant et gentil,
En temoin de Mai et Avril
Qui l’accompagnent soir et matin

Eté revêt champs, bois et fleurs

De sa livrée de verdure,

Et de maintes autres couleurs,
Par l’ordonnance de Nature.

Mais, vous hiver, trop êtes plein

De neige, vent, pluie et grésil :
On vous dût bannir en exil .
Sans point flatter, je parle plain ,
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain !…

Ma seule amour

Ma seule amour, ma joye et ma maistresse,
Puisqu’il me fault loing de vous demorer,
Je n’ay plus riens, à me reconforter,
Qu’un souvenir pour retenir lyesse. 
 
En allegant, par Espoir, ma destresse,
Me couvendra le temps ainsi passer,
Ma seule amour, ma joye et ma maistresse,
Puisqu’il me fault loing de vous demorer. 
Car mon las cueur, bien garny de tristesse,
S’en est voulu avecques vous aler,
Ne je ne puis jamais le recouvrer,
Jusques verray vostre belle jeunesse,
Ma seule amour, ma joye et ma maistresse.
 

Traduction en français moderne:

Ma seule amour, ma joie et ma Maîtresse,

Puisqu’il me faut loin de vous demeurer,
Je n’ai plus rien, à me réconforter,
Qu’un souvenir pour retenir liesse.

En allégeant par Espoir ma détresse,
Me conviendra le temps ainsi passer,
Ma seule amour, ma joie et ma Maîtresse,

Puisqu’il me faut loin de vous demeurer.

Car mon cœur las, bien garni de tristesse,
S’en est voulu avecques vous aller,
Et ne pourrai jamais le recouvrer
Jusques verrai votre belle jeunesse,
Ma seule amour, ma joie et ma Maîtresse

Vostre bouche dit…

Vostre bouche dit : Baisiez moy,
Ce m’est avis quant la regarde ;
Mais Dangier de trop prés la garde,
Dont mainte doleur je reçoy.
 
Laissiez m’avoir, par vostre foy,
Un doulx baisier, sans que plus tarde ;
Vostre bouche dit : Baisiez moy,
Ce m’est avis quant la regarde…

Que me conseillez-vous, mon cœur ? (en français moderne)

Que me conseillez-vous, mon cœur ?
Irai-je par devers la belle
Lui dire la peine mortelle
Que souffrez pour elle en douleur ?
 
Pour votre bien et son honneur,
C’est droit que votre conseil céle.
Que me conseillez-vous, mon coeur,
Irai-je par devers la belle ?
 
Si pleine la sais de douceur
Que trouverai merci en elle,
Tôt en aurez bonne nouvelle.
J’y vais, n’est-ce pour le meilleur ?
Que me conseillez-vous, mon cœur ?

Dedans mon Livre de Pensée (En français moderne)

Dedans mon Livre de Pensée,
J’ai trouvé écrivant mon cœur
La vraie histoire de douleur,
De larmes toute enluminée,
 
En effaçant la très aimée
Image de plaisante douceur,
Dedans mon Livre de Pensée!
 
Hélas ! où l’a mon cœur trouvée ?
Les grosses gouttes de sueur
Lui saillent, de peine et labeur
Qu’il y prend, de nuit et journée,
Dedans mon Livre de Pensée !

Chansons

  • En songe, souhait et pensée
  • Laissez-moi penser à mon aise
  • Ma seule amour
  • Ma seule amour que tant désire
  • Les fourriers d’Amours m’ont logé
  • Mon cœur, estouppe tes oreilles
  • Ne hurtez plus a l’uis de ma pensee
  • N’est-elle de tous biens garnie
  • Ou puis parfont de ma merencolie
  • Petit mercier, petit panier
  • Quelque chose que je dis d’amour

Extraits de quelques chansons

En songe, souhait et pensée (en français moderne)

En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine ;
Combien qu’êtes de moi lointaine,
Belle, très loyalement aimée.
 
Pour ce qu’êtes le mieux parée
De toute plaisance mondaine,
En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine.
 
De tout vous ai l’amour donné ;
Vous en pouvez être certaine,
Ma seule dame souveraine,
De mon las cœur moult désirée,
En songe, souhait et pensée

Laissez-moy penser à mon ayse

Laissez-moy penser à mon ayse,
Hélas! donnez m’en le loysir.
Je devise avecques Plaisir,
Combien que ma bouche se taise.
 
Quand Merencolie mauvaise
Me vient maintes fois assaillir,
Laissez-moy penser à mon ayse,
Hélas! donnez m’en le loysir.
Car afin que mon cueur rapaise,
J’appelle Plaisant-Souvenir,
Qui tantost me vient resjoüir.
Pour ce, pour Dieu! ne vous desplaise,
Laissez-moy penser à mon ayse.

Traduction en français moderne:

Laissez-moi penser à mon aise,

Hélas! donnez-m’en le loisir.

Je devise avecque Plaisir

Combien que ma bouche se taise.

 

Quand mélancolie mauvaise

me vient maintes fois assaillir,

Laissez-moi penser à mon aise,

Hélas! donnez-m’en le loisir.

 

Car, afin que mon coeur rapaise,

J’appelle Plaisant Souvenir,

Qui tantôt me vient réjouir,

Pour ce, pour Dieu, ne vous déplaise,

Laissez-moi penser à mon aise

En songe, souhait et pensée

En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine ;
Combien qu’êtes de moi lointaine,
Belle, très loyalement aimée.
 
Pour ce qu’êtes le mieux parée
De toute plaisance mondaine,
En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine.
 
 De tout vous ai l’amour donné ;
Vous en pouvez être certaine,
Ma seule dame souveraine,
De mon las cœur moult désirée,
En songe, souhait et pensée.

Mon cueur, estouppe tes oreilles

Mon cueur, estouppe tes oreilles,
Pour le vent de Merencolie ;
S’il y entre, ne doubte mye,
Il est dangereux à merveilles ;
 
Soit que tu dormes ou tu veilles,
Fays ainsi que dy, je t’en prie.
Mon cueur, estouppe tes oreilles,
Pour le vent de Merencolie ;
 
Il cause doleurs nompareilles,
Dont s’engendre la maladie
Qui n’est pas de legier guerie ;
Croy moy, s’a raison te conseilles.
Mon cueur, estouppe tes oreilles.

Quelques pièces poétiques:

  • Le Livre contre tout péché
  • La Retenue d’Amours
  • Le Songe en complainte
  • La Départie d’Amour

Extraits de quelques pièces poétiques

Le Livre contre tout péché

Rédigé en 1404 à l’âge de 10 ans donc), c’est le premier poème de Charles d’Orléans. C’est un court traité moral qui passe en revue les sept péchés capitaux.

Qui veult à grant honneur venir
Il doit l’amour Dieu acquérir
Car sans icelle moiennent
Nul ne peut faire bonnement
Aucune morale ëuvre
Pour ce pri à la Trinité
Et la dame d’umilité
Qu’ilz me veuillent tel sens donner
Qu’un livre puisse composer
Qui soit d’aucune utilité,
Pourfitant à humanité,
Et l’honneur de Dieu, et prouffit
De celui qui ce livre fit,
Lequel livre est appelé,
Le livre contre tout péché
 
Le songe en complainte
 
A très noble, haut et puissant seigneur
Amour, princve de mondaine doulceur.
 
Avescques ce, humblement vous mercie
Des biens quay eus soulz vostres seigneurie ;
Autre chose m’escris, quant à présent,
Fors que je pry à Dieu, le Tout Puissant,
Qu’il vous ottroit honneur et longue vie ;
Et que puissiez tousjours la compaignie
De faulx Dangier surmonter et deffaire,
Qui en tout temps vous a été contraire.
Escript ce jour troisième, vers le soir,
En Novembre, au lieu de Nonchaloir.
Le bien vostres, Charles, duc d’Orlians,
Qui jadis fut l’un de vos vrais servans…
 

Oeuvres mises en musique:

Le compositeur français Claude Debussy (1862-1918):

  • Dieu! qu’il la fait bon regarder!
  • Quand j’ai ouy le tambourin
  • Yver, vous n’ests qu’un villain

Le compositeur Français Francis Poulenc (1899-1963):

  • Priez pour nous

Le compositeur français Darius Milhaud (1892-1974):

  • Carols

Laurent Voulzy chante:

  • Ma seule amour

Quelques écrits sur l’oeuvre de Charles d’Orléans

  • Pierre Champion : Le vie de Charles d’Orléans 1911
  • Pierre Champion : Charles d’Orléans. Poésies 1923-1927
  • Marcel Françon : Les refrains des rondeaux de Charles d’Orléans 1942
  • George Darby : Observations on the chronology of Charles d’Orléans 1943
  • Jean Tardieu : Charles d’Orléans. Choix de rondeaux 1947
  • George Defaux : Charles d’Orléans ou la poétique du secret…1972
  • Claudio Galderisi : Sui rondeaux di Charles d’Orléans. L’allegoria e il verso 1986
  • Jean-Claude mühletthaler : Charles d’Orléans. Ballades et rondeaux 1992
Eustache Deschamps, poète des Vertus

Biographie d’Eustache Deschamps (1340-1410):

D’origine modeste mais de sang noble, naît vers 1340 à Vertus (Champagne) Eustache Morel de son vrai nom. Ce poète français reçoit une éducation assez précoce de la typique de la grammaire latine et de la logique. Élevé par le poète Guillaume de Machaut, c’est avec lui qu’il prend ses premières leçons de versification à l’école épistocale de Reims. Et c’est grâce à son parrainage qu’il étudie le droit à l’université d’Orléans.

Homme de cour avant tout, il trouve le temps d’écrire malgré les fonctions laborieuses (magistrat, messager royal, huissier d’armes, officier royal, général des finances) qu’il occupe à la cour des rois Charles V et VI. Ces attributions lui permettent de beaucoup voyager (Europe, Egypte, Syrie et Palestine), et de rencontrer les plus grands de son temps (les deux rois bien sûr, mais aussi le duc d’Orléans dont il est le conseiller, Du Guesclin…).

Poète de Vertus, très prolixe et témoin privilégié de son époque, il met à profit ses talents de poète pour conter les faits qui l’on marquée. Ainsi, bon nombre de ses poèmes revêtent une portée historique indéniable. Il s’attaque aux Anglais, pilleurs de la France, au clergé et aux fonctionnaires corrompus, aux riches oppresseurs des pauvres. Il passe pour être connu comme un religieux honnête, moraliste par ses prises de position devant l’injustice mais non moins courtisan.

Œuvre d’Eustache Deschamps:

Impliqué de par ses fonctions à tous les événements de son temps, l’œuvre d’Eustache Deschamps embrasse bien des domaines. Il est l’auteur de 80 000 vers d’écrits comiques, moraux, satiriques, patriotiques, historiques, amoureux, d’hygiène mais aussi personnels. Ses poèmes, ses ballades, ses rondeaux…regorgent tellement d’informations de valeur sur l’histoire morale et politique de l’époque, que des  historiens et philologues y font  référence.

Tout comme Machaut, il ne se contente pas d’écrire. Dans l’Art de Ditter, il s’efforce d’apporter sa contribution à l’enrichissement de la langue. Il nous lègue pas moins 1032 ballades, 170 rondeaux, 142 chants royaux…). Beaucoup de ses ballades ciblent des gens importants de son entourage, ou qu’il rencontre lors de se voyages : rois et ducs de France, Machaut, Angleterre, les héros des croisades…

On sait aussi que 190 de ses écrits traitent de la nourriture (légumes, fruits, viandes, céréales, épices, poissons… et même plats préparés) Ce n’est pas fortuit puisqu’il est connu pour être fin gourmet, et connaisseur de la cuisine de France et d’ailleurs. Grâce à quoi il est aujourd’hui possible de connaître l’alimentation de cette époque.

Œuvres essentielles d’Eustache Deschamps:

La ballade est le genre poétique dans lequel Eustache Deschamps a particulièrement excellé. Une partie de ses œuvres est écrite en latin qu’il a étudié dès son jeune âge, et l’autre en français.

Pièces en prose 

L’Art de dictier et de fere chançons, ballades, virelais et rondeaux

Composé à la demande certainement du duc de Bourgogne pour son usage, il est considéré à ce jour comme le plus ancien du genre. L’ouvrage commence par une introduction dans laquelle il justifie la place que doit avoir la versification au sein des sept arts libéraux. C’est donc un traité technique de versification, le premier art poétique en langue française. Les formes fixes sont inventoriées, avant de faire sa leçon sur les règles et les principes dont doivent s’inspirer ceux qui veulent écrire. Le texte et la musique ne sont plus liés, et de ce fait sont définitivement séparés. Tout comme Machaut dont il a été l’élève, Deschamps est très soucieux de  perfection. Il considère qu’écrire est un art qui se cultive.

Extraits :

Ci commence l’art de dictier et de fere chançons, balades, virelais et rondeaulx, et comment anciennement nul ne osoit apprandre les ars liberaulx ci aprés declaréz, se il n’estoit noble

Entre les .vii. ars et sciences par lesquelles ce present monde est gouverné, et qui sont appelléz ars liberaulx, pour que que anciennement nul, se il n’estoit liberal, c’est a dire fils de noble homme et astrait de noble, n’osoit aprandre aucun d’iceuls ars, c’est assavoir : Gramaire, Logique, Rhetorique, Geometrie, Arismetique, Musique et Astronomie, lesquelz ars trouva, du tiers aige du monde et au temps de Habraham, Zozoastres, qui regnoit en Baterie et pour ce est le premier et principal ars Gramaire, par lequel l’en vient et aprant tous les autres ars par la figure des letres de A, B, C, que les enfans aprannent premierement, et par lesquelz aprandre et sçavoir l’en peut venir a toute science, et monter de la plus petite letre jusques a la plus haulte.

Logique est aprés une science d’arguer choses faintes et subtiles, coulourees de faulx argumens, pour discerner et mieulx congnoistre la verité des choses entre le faulx et le voir, et qui rent l’omme plus subtil en parole et plus habille entre les autres…

Rhetorique est science de parler droictement, et a quatre partie en soy a lui ramenees, toutes appliquees a son nom ; car tout bon rhetoricien doit parler et dire ce qu’il veut moustrer saigement, briefment, substancieusement et hardiement…

Geometrie est science de mesurer et faire par proporcion la taille des pierres et des merriens, et la perfection des tours rondes et quarrees ; de faire et edifier les chasteaulx, salles et maisons pour habiter, les clochiers et autres edifices en ront, en triangle et en quarreure, et les mener droit sanz boce jusques a leur perfection ; faire tonneaulx et autres vaisseaulx de certaines pieces, longueur et grosseur, et aucunefois cornus, comme sont les baingnoueres et autres vaisseaulx, par contrainte de cercles de certaines pongnies, par les lieures des osiers ; faire nez et galees en mar. Et cest arts s’applique aux fevres, charpentiers et maçons, ausquelz, se ilz sont bons ouvriers de leurs mestiers…

Arismetique est science de getter et compter par le nombre des augorisme et autre nombre commun, et de mesurer et arpenter les terres, les boys et choses semblables, pour sçavoir la haulteur des choses en alant vers le ciel ; la largeur des eaues et des rivieres, la parfondeur des puis et des concaves de la terre ; de sçavoir les heures, les temps, les minutes et les momens ; pour sçavoir le commencement des jours et des nuis, des sepmaines, des moys et des ans ; pour venir au grant miliaire et sçavoir par ce nombre, en querculant, la revolucion des temps et congnoistre le cours du souleil et de la line, et du zodiaque…

Astronomie est une science de la congnoissance des estoilles et des sept planettes erratiques et principales, c’est assavoir : Mars, Mercurius, Saturnus, Jupiter, Sol et Luna ; de leurs influences et disposicions selon leurs qualitéz et conjunctions en divers signes et leurs oppositions, pour jugier des inclinacions naturelles des hommes selon leur nativité, et aussi des fertilitéz ou sterilitéz des terres et des fruis, des chauls et des froiz, des sentéz et maladies des gens et des bestes ; de sçavoir le compost du souleil et de la lune, de partir les ans et trouver les bisextes et leurs conjunctions des lunes pour ordonner leurs saingnies, et les temps de prandre medicine, et autres choses qui de ce se despendent.

Musique est la derreniere science ainsis comme la medecine des.vii. ars ; car quant le couraige et l’esperit des creatures ententives aux autres ars dessus declairéz sont lasséz et ennuyez de leurs labours, musique, par la douçour de sa science et la melodie de sa voix, leur chante par ses .vi. notes tierçoyees, quintes et doublees, ses chans delectables et plaisans, lesquelz elle fait aucunefois en orgues et chalumeaux par souflement de bouche et touchement de doiz ; autrefoiz en harpe, en rebebe, en vielle, en douçaine, en sons de tabours, en fleuthes et autres instrumens musicans…

Or sera dit et escript cy aprés la façon des Balades 

Et premierement est assavoir que il est balade de huit vers, dont la rubriche est pareille en ryme au vers antesequent, et toutefois que le derrenier mot du premier ver de la balade est de trois sillabes, il doit estre de .xi. piéz, si comme il sera veu par exemple cy aprés ; et se le derrenier mot du second ver n’a qu’une ou deux sillabes, ledit ver sera de dix piéz ; et se il y a aucun ver coppé qui soit de cinq piéz, cellui qui vient aprés doit estre de dix.

De la façon des Virelais

Aprés s’ensuit l’ordre de faire chançons baladees, que l’on appelle virelais, lesquelz doivent avoir trois couples comme une balade, chascune couple de deux vers, et la tierce semblable au refrain, dont le derrain ver doit, et au plus pres que l’en puet, estre servant a reprandre ledit refrain, ainsi comme le penultime vers d’une couple de balade doit servir a la rebriche d’icelle. Et est assavoir que virelais se font de pluseurs manieres, dont le refrain a aucunefois .iiii. vers, aucunefois .v. aucune .vii., et est la plus longue forme qu’il doye avoir, et les deux vers aprés le clos et l’ouvert doivent estre de .iii. vers ou de deux et demi, brisiéz aucunefoiz, et aucunefois non. Et le ver aprés doit estre d’autant et de pareille rime comme le refrain, si comme il apparra cy aprés :

Amen.

Demoustracions contre sortileges

La pratique de la sorcellerie, des sortilèges et de la magie liée donc à l’astrologie était très populaire au Moyen-Âge. On raconte même que Louis d’Orléans était un grand adepte des sciences occultes. Jean de Bar qui lui avait promis de faire apparaître le diable, échoua dans sa tentative. Le duc n’hésita pas à le brûler pour n’avoir pas tenu son engagement. Deschamps avait été initié à l’Astrologie durant sa jeunesse. Dans cette démonstration contre les sortilèges, il s’appuie sur quelques exemples pour prouver que quiconque s’adonne à cette pratique finit mal.

« Demoustracions qu princes terriens ne nulz vrayz crestiens ne doivent enquerir, ouvrer ne user des choses advenir, mucees, occultes et secretes, ou qui a ce puelent estre appliquees par astrologie, par goemancie, par nygromancie, par ydromancie, par pyromancie, par cyromancie, par experimens, supersticions d’auspices, des encontres discerner, d’auguremens par le chant et volement des oiseaulx, par les membres des bestes mortes, par art magique, par invocacions, interpretacions de songes et pluseirs autres vanitéz qui ne sont pas sciences, fors a parler improprement ».  

Comment Zozastres qui trouva ces ars fut tué par Nynus

« Zozastres, qui regnoit en Batrie, et trova ces ars magiques, fut par Nynus tué, qui lui osta la vie et le royaume, et ardit partie de ces faulx livres. Et ce recite monseigneur Saint Victor ou second livre de la Vanité du monde, et ja soit ce que Nynus ne fust pas juste, Dieux lui voult donner victoire sur plus mauvés, afin que plus grant mauvestié ne regnast ».

Comment Athlas perdit son royaume

« Athlas, jadis roy d’Espaingne, fut chacié et bouté hors de son royaume, et s’en fuy en une montaigne en Grece, qui pour ce est encore appelee Athlas. Et si faingnent les poetes que pour sa grant astronomie il porte et tourne le ciel ».

Comment Neptanabus fut tué par Alixandre

« Neptanabus, roy d’Egipte, qui tousjours avoit ses recours aux ars mathematiques et aux divineurs, fut entreprins de.xiiii. nascions de Barbarie et ainsi comme de tout Orient. S’en fuy honteusement en Macedoine en habit de phillosophe, et en la fin Alixandre le bouta en une fosse et lui rompit le coul. Et ainsi fina mauvaisement ». 

Comment Jaques, roy de Maillorgues, perdit son royaume 

« Jaques, roy de Maillorgues, qui estoit moult enclin a telles divinacions et a eslire heures et jours pour son partement et autres besongnes siennes, eslut heure par astrologie de partir d’Avignon, ou il ala, et perdit et la vie et le royaume. Ferrant,ponce de Flandres, fut deceu par divinacion, quant il vint en France pour combatre, car le respons lui fut donné de l’ydole a qui il ala, qu’il entreroit a grant joye a Paris. Et par ce il entendit avoir la victoire. Mais il fut desconfit et prins honteusement, et admenéz lié et enferréz a Paris, dont tout le peuple o tresgrant joye… »

Comment Pompee fu deceu par les sors en Delphos

« Item ainsi sont finéz, et est mal venu a tous les princes et autres qui par telles divinacions ont voulu enquerir les choses et fortunes advenir, et de ce il appert en Lucan du filz Pompeius, qui ala enquerir de par son pere aux sors en Delphos, qui vaincroit la bataille de Thessalle, en laquelle a la fin de trois jours il fut sibjugué de Julius Cesar, et s’en fuy devers Tolomee, roy d’Egipte, cuidant estre son grant ami, mais en la fin Tolome lui fist tranchier la teste, et l’envoya en present a JuliusCesar, pour avoir sa grace… »

La complainte de l’Eglise

Alors que Boniface IX est pape à Rome, Clément VII et Benoît XIII se déclare antipapes et ne veulent pas reconnaître son autorité. Ceux-ci vont même jusqu’à tenir une cour papale à Avignon avec la bénédiction du roi Charles VI. Ces divisions au sein de l’Eglise et les dérives de celle-ci exaspère Eustache deschamps, jusqu’à composer cette complainte.

Ecrite en latin puis traduite à la demande du duc de Bougogne, qui espérer ainsi convaincre les Anglais à se rallier à la cause du pape Clément. En évoquant les blessures contractés en Egypte lors des croisades, il reproche aux Chrétiens de ne pas s’unir en mettant fin au schisme pour libérer Jérusalemn et les Lieux saints des mains des sarrasins. Il menace même ceux qui s’opposeraient à l’initiative de convoquer un concile général pour la réconciliation, de la réalisation des affreuses prédictions des prophètes Isaîe et Jeremie.

Cy commence la dolente et piteuse complainte de l’eglise moult desolee au jour d’ui

« La povre mere tresdolente, desolee et desconfortee, de laquelle les entrailles sont tranchees et divisees en deux parties pour le pechi » et abhominacion de se enfans forlignans de la voye [de] justice, meurs et condicions de leur Pere pardurable, a tous les empereurs, royas et princes de la religion chrestienne, a leurs conseilliers, justiciers, presidens et gouverneurs de la chose publique, mes filz adoptéz et legitimes, rachatéz pour l’amour et le sang de leur pere, salut en la pitié et misericorde d’iccellui…

Pour ce que le commencement de toute sapience est craindre Dieu, pour quoy vouléz vous servir et servéz au Prince du monde, c’est l’ennemi de la char et homicide de l’ame, tendens a vostre destruction, qui par son orgueil, angelz jadis portans lumiere, soy voulant eslever sur son Seigneur, est aiz Princes de tenebres, desvoyans par temptacions de choses mondaines voéz pensees divines, desirans pour la perdicion de sa gloire inrecuperable avoir compaingnons a ses peines, qui par cou…

Le seconde beatitude est que vous soiéz humbles e debonnaires les uns aux autres et a voz subgiéz, sans contendre par pechié couvoiteus des terres, seignouries et couvoitises du monde desraisonnables…

La quarte beatitude est que vous devéz avant soufrir grant famine et pestillence de faim ou de mort, que vous osiéz separéz de vraie justice, laquele vous devéz faire a un chascun sanz accession de personne, dont il est escript…

La quinte beatitude si est que vous faciéz misericorde a voz prochains, c’est assavoir aux oppressez, povres et debilites et a ceuls qui mesprannent d’aventure, en faisant vostre grace et misericorde au relevement d’iceuls en toute charité et bonne affection, et vous ne pourréz faillir que vous ne obtenéz de vostre pere misericorde, dont il est dit …

La septiesme beatitude est que vous aiéz et améz paix entre vous sanz couvoitise de ces choses terriennes, dont vous mouvéz si merveilleuses et perilleuses guerres contre voz corps et voz ames, et vous vouléz estre appelléz filz de Dieu, et pour ce dist il …

Mais les dessencions, rapines, guerres, traisons, couvoitises, envies, detractions, murmures et glotonnies, dissolucions de corps, larrecins, homicides et autres pechiéz innumerables qui sont en vous perseverens sanz paour ne crainte de vostre pere, et ce que vous estes diviséz ensemble, font [que] vostre povre mere a qui vous avéz tollu et osté de ses entrailles et encores faictes de jour en jour ses posessions, franchises, douaires et libertéz qu’elle tient de vostre Pere, et qui la constitua en son lieu pour vous recreer sounz le gouvernement d’une seul pastour fait et eslu sainctement et canoniaulment, toutefoiz que vous vouldriéz venir a refuge de  voz maulx, confesser yceuls et repentir de voz pechiéz en honne contriciton, est ainsi troublee et divisee par long temps et en adventure d’estre a tousjours mais en desolacion par vostre coulpe en division, se vous n’estes ces choses briefment considerans…

Ainsis et semblablement par sa douce pitié et misericorde, vueille mettre en voz couraige l’obeissance et perseverence de sa saincte loy et remouvoir la vengence et persecucion promise a ceuls qui percevereront en mauvaises euvres contre ses sains commendemens, afin que par la bonne paix et union que vous reformeréz ensemble, tant espirituelment comme temporelment, vous puissiéz placquer son ire et lui appaisier telement que vous en acqueréz renommee pardurable en ce monde et aprés a voz ames la couronne de gloire et le royame qui durra sanz fin, et que par vostre bonne reformacion je puisse de vous chanter a tousjours hympnes et louenges de memoire pardurable a l’oneur, gloire et exaltacion de la Saincte Trinité, le Pere et le Fil et le Saint Esperit, un Dieu en trois personnes, qui vit et regne par tous les secles des secles.

Amen

Pièces en latin 

On en compte onze écrites en latins, dont voici une traduite en Français.

Commemoracio hystorie senonum gallorum, compilata et rithmata per Eustacium de Campis, ultra cirtutum in Campania (Histoire de France)

L’auteur décortique la situation de la France, et conclut à sa déchéance. Il compare son pays d’alors  à celui du temps de Clovis, de Charlemagne, Charles martel, les Pépin, dont il vante les exploits face aux Romains. Du règne de Charlemagne et ses successeurs il met en exergue le droit et la justice qui ont prévalu, le respect de la religion et l’encouragement et la protection des études. La France où selon lui règnent désormais les vices (même dans l’Eglise), le pillage et le vol est plongée dans le malheur et le déclin. C’est là une punition de Dieu.

D’autres textes courts figurent dans le manuscrit. Il s’attaque à la ville de Paris en proie à des émeutes sanglantes. Il met en garde contre la colère de Dieu et la punition qui pourrait  s’abattre sur les réformateurs populaires (reformatores populi). Mais aussi sur les princes qui ne gouvernent pas justement, et ne protègent  pas les pauvres et les faibles. A la France il prédit la même déchéance que celle qui est arrivée à Rome.

Extraits avec traduction:

Oh, vous français, anciennement Senonences ,

Origine Suèves,

Prennyo engendré du Père,

Qui a affirmé, guerre sanglante,

Rome aussi, vous avez été très féroce,

Cent mille dans le même temps d’aider,

Provence Sens armé

Montagne jeudi et en gras

En passant, si nombreux [at] soumis

Italie, les gens. enrichi

En ce qui concerne le Delphi, il n’est pas capable de la place…

O  vos Galli, quondam Senonences,

Suevorum origine duces,

 Ex Prennyo patre procreati,

Qui Rmanos, armorum atroces,        

Romam quoque, vos magis feroces,

Centum mille simul adjuvati,            

Provencia Senonis armati,     

Montem Jovis et tanquam audaces   

Transeundo, tot[am] submisisti         

Ytaliam, Puliam. ditati          

Circa Delphos, non loci capaces,

Après les monarchales du monde romain,

Vos rois sont impériaux

Votre nation a racheté taxes.

Les Troyens ont démarré la note

De la France, les Français étaient merveilleux,

Ou le comportement féroce et la vie

Les commentateurs interprètent, donc,

Dans les bras sur tous admissibles

Vous avez été en baisse tout

Par la force des armes, détient les climats,

Robbusti du corps et mince,

Puis le libre, liberté large…

Post Romanos, mundi monarchales,             

Reges vestri sunt imperiales,             

Et gens vestra redemit tributa.          

A Troianis exorti nobiles       

De Francio Franci mirabiles,             

Aut feroces moribus et vita   

Interpretes interpretant, ita, 

Super cunctos in armis habiles          

Vos fuisse submittentes cuncta        

Vi armorum orbisque climata,           

De corpore robbusti, graciles,           

Tunc liberi, libertate lata.

…Depuis le règne de ce roi est Charles le Grand,

Dieu géant, General bon

Engendré choses. Dont prophétisé

Sibylles et donc ils ont dit

La vérité sur ses propres dispositifs,

La science, la vie et le caractère,

Qui concernent toute suffisante.

…Ab hoc rege est Karolus Magnus,

Dei gigas, imperator bonus   

Genitus que. De quo prophetarunt   

Sibilline et tantam dixerunt   

Veritatem de suis artibus,     

Sciencia, vita et moribus,      

Quod narrare nulli sufficiunt. 

Espagne fut un grand roi modérée

Aragon et les Saxons ont éclaté

Gascogne et Aquitaneam,

La foi musulmane de l’appliquer.

De nombreuses guerres t-il un collège

Pour le nom de Jésus, et aussi

[Cette] étude, le clergé, la connaissance

Paris de loin,

Et a choisi les meilleurs enseignants

Pour enseigner par sa grâce

Sept arts. De chevalerie

Excellent et toujours offre…

Hyspanias magnus rex subegit,         

Arragonos et Saxones fregit,            

Wasconiam et Aquitaneam,  

Sarracenos ad fidem coegit.  

Bella multa ibidem collegit   

Pro nomine Jhesu, ac etiam   

[Is] studium, clerum, scienciam        

Parisius de longe dirigit,       

Et magistros optimos elegit   

Ad docendum per sui graciam          

Septem artes. Inde miliciam  

Peroptimam semperque porrigit

La crainte de Dieu est dans le cœur,

Dévotion, la piété a régné,

Religion ensuite honoré

responsables de l’humilité Ligné,

Le gouverneur de l’amour populaire

Un spécial d’une seule main,

Exalté lui-même l’habitude de ne pas

Chacun d’entre eux, ni manger

De choses différentes, mais c’était suffisant

Pour chacun de, il pourrait être satisfaite

Le seul plat qui était.

Il a occupé le petit Etat…

Timor Dei in cordibus erat,   

Devocio, pietas regnabat,      

Religio tunc honorabatur,     

Humilitas principes regebat,  

Populares amor gubernabat   

A propriis quisque utebatur,  

In habitu non elevabatur       

Quis eorum, neque manducabat       

De diversis, sed sufficiebat   

Unicuique, ut saturaretur      

De ferculo solo quod habebat.          

Parvum statum is horum tenebat.     

Sic corpora ben regebantur… 

…Attention maintenant à faire ces choses…

Mais nos actions sont difficiles,

Orribiles événement à venir:

Cesse, notre honneur et hommage,

Gloire. Nous sommes désormais inutiles,

Appropincat le terme fixe

Jheremie, ce qu’il a dit.

Alors qu’ils voient à ce sage:

Retour à l’Est

Dominum euh, aussi la règle…

Actus autem nostri difficiles,           

Orribiles venient eventus :    

Cessat noster honorque et butus,      

Gloria. Nunc sumus inutiles,

Appropincat locutus.

Sic super hoc videant prudentes :     

Revertantur ad orientales,     

Domin[i]um, quoque principatus…

Les Ballades

Elles sont au nombre de 1032 principalement moralisatrices. Voici les extraits de quelques unes d’entre-elles.

Le vrai bonheur est aux champs

En  retournant d’une court souveraine

Ou j’avoie longuement sejourné,

En un bosquet, dessus une fontaine,

Trouvay Robin le franc, enchapelé a,

Chapeauls de flours avoit cilz afublé

Dessus son chief b, et Marion sa drue.

Pain et civoz d l’un et l’autre mangue

A un gomer e puisent l’eaue parfonde.

Et en buvant dist lors Robins qui sue

J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde.

Hé! Marion, que nostre vie est saine

Et si sommes de tresbonne heure né

Nul mal n’avons qui le corps nousmehaigne.

Dieux nous a bien en ce monde ordonné;

Car l’air des champs nous est habandonné;

f5 A bois couper quant je vueil m’esvertue

De mes bras vif; je ne robe ne tue;

Seurs chante; je m’esbas a ma fonde.

Par moy a Dieu doit grace estre rendue

J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde…

Au mois de mai

Nobles mois, peres de Zephirus,

Oncles Juno et frère de Pallas,

Cousins germains la dieuesse Venus,

Qui tant de filz et tant de filles as,

Tu es premiers qui par amours amas

Et qui au bois donnas toute verdure,

Fueilles et flours, et la terre honouras

Amer te doit pour ce toute nature… 

Tu resjouis vieulz, jeunes et chanus;

A ton venir t’encline c chascuns bas

Tu faiz amer granz, riches et menus,

Bestes, oiseauls sont tuit prins en tes las

D’eulx conjoir, de nigier d ne sont las,

De faire fruit chascun a sa droiture,

De hault chanter tel pouoir leur baillas

Amer te doit pour ce toute nature.

Dire et faire sont deux.

Que vault preschier au sourt qui goûte n’oit?

Que vault semer sur pierre le froument?

Que vault monstrer a cellui qui ne voit?

Que vault le lire a cellui qui n’apprant?

Que vault enter sur tron qui ne reprant?

Cilz pert son temps qui télé euvre pourchace,

Combien qu’aucuns dient communément

C’est trop bien dit, mais querez qui le face… 

Que vault li homs qui autrui mal perçoit

Et ne voit pas son propre encombrement a,

Et qui en lui pour son preu b ne conçoit

La parole de bon entendement?

Autant vauldroit oir venter le vent;

Car telz gens ont toudis un pié sur glace,

Qui se muent de moment en moment.

C’est trop bien dit, mais querez qui le face…

Danger des richesses

Quel nature ont les richesces mondaines,

Ne quel pouoir ont li prince mondain ?

Les richesces sont laides et villaines

Quant elles font un noble cuer villain.

Li grant seigneur et !i plus souverain,

Quel force ont ilz, quel vie et seurté ?

Plus seurs vit povres en povreté,

Aise de cuer, sains des membres du- corps,

Que roys ne fait, tristes en sa plenté;

Souffisance est un tresriches tresors… 

Qui jadis fist regner les gens rommaines;

Puis perdirent, quant ilz prindrent le train

De convoitier par leurs vies haultaines.

L’eglise en est divisée, s’en plain a;

Flandres aussi en est mise a l’estrain,

Espaingne en a changié sa royauté

Et Barnabo en fut desherité.

Prince ne puet sanz raison estre fors.

Soyons piteus, fuions iniquité:

Souffisance est un tresriches tresors…

Il vaut mieux servir Dieu que le monde

Les deux seigneurs, dont l’un est souverain,

Auquel des deux vault mieulx servir sa vie ?

Ou au plus grant qui est de pitié plain,

Qui congnoist tout, qui donne et ne toult mie,

Qui le meffait pardonne a sa maisgnie,

Quant se repent, et les a en chierté;

Ou au moien seigneur, plain de fierté,

Qui donne et toult et qui n’a rien estable

Et qui pugnist sanz grace et sanz pité ?

jo Perilleus est, attrayant, decevable. 

Le grant seigneur tout puissant, souverain,

Le tresparfait qui toute chose lie,

Qui tout crea, qui fist d’Adam Evain,

Dont se despent toute humaine lignie,

Ciel, terre et mer, qui tout a en baillie,

A depuis prins no povre humanité

Et voult sentir nostre fragilité;

Pour le pechié d’Eve et d’Adam dampnable

Mourut en croix; le monde ot en vittë

Perilleux est, attrayant, decepvable…

Il faut toujours avoir lesyeux fixés sur France

Vous qui voulez parmi le monde aler

V Pour croistre honeur et querre renommée,

Dela les mons, ou pais d’oultre mer,

En divers lieus par chascune contrée,

Quant vous arez la terre advironnée,

Veuz les gens, eu de tous congnoissancej

Les airs, les vens et la loy ordonnée,

Tournez toudis le bec pardevers France… 

La vous devez pour vivre acheminer,

La est honeur et vaillance esprouvée,

La est la court du grant roy qui n’a per,

De tous deduis, de richesce parée,

Et de tous biens est la terre peuplée

La des subgiez est vraie obeissance,

Et quant peuples la nul temps ne s’effrée

Tournez toudis le bec pardevers France…

On obtient tout avec de l’argent

En alant jouer a Saint Poul,

Oy deux gens qui arguoient a,

Dont l’un disoit que ceuls sont foui

Qui trop grant estat desiroient,

Et qui trop d’avoir acqueroient,

Et qui vont encor convoitant;

L’autre dit: Pourquoy ne feroient?

Adès tine b il qui a argent.

Non fait, car tout ne vault un cho!

to Tost ont perdu ce qu’ilz avoient;

Par cas soudain perdent le col,

Car leurs richesces les ennoient

Souvent mourir convoiteroient

Les saiges avoir pour tourment.

Ja chi ja d, pourquoy le lairoient ?

Adès fine il qui a argent…

Guerre aux Anglais

En mon dormant vi une vision

Ou un songe, dont trop me merveilloie,

Qu’en granz forests ot un

jeusne lyon,

C’un lepardiau a de jour en jour guerroie.

Et ce lion n’entendoit toutesvoie

Fors a moutons et pourceauls estrangler:

Vaches, brebis et chievres fist trembler.

 

Mais ce liepart aux cerfs et sangliers groingne,

Et aux levriers’voult sa guerre mener;

Bon fait toudis penser a sa besongne.

Lors fut doubtë en celle region,

Car es pais 4de ce lion s’avoie c,

Maint fort y

tint et mainte garnison,

De jour en jour son pais afoibloie.

Mais il n’est nul du lion qui se voie…

Sur les vices du siècle

Depuis que Dieu fist terre et firmament,

Et qu’il crea premièrement le monde,

Lune et souleil qui se part d’Orient,

Setemptrion, Midi, d’Occident l’onde,

L’eaue, le feu, l’air et la mer parfonde,

Bestes, oiseaulx et tous les animaulx

Ne fut autant de pechiez et de maulx

Comme j’en voy regner et advenir

Dss plus petiz et jusques aux plus haulx;

Par ce devroit tost cilz secles fenir… 

Et on en voit desja l’aprouchement,

Dont nous sommes assez pres de la bonde

Se l’escripture et Jhesucrist ne ment

Car nous veons partout a la reonde

Guerre esmouvoir, que cité l’autre affonde

Lune et souleil avoir divers signaulx,

Terre mouvoir jusques aux infernaulx,

Gent contre gent faire guerre et tenir,

Et roys enfans es regnes principaulx

Par ce devroit tost ce secle fenir…

Bahde.

Le mérite n’est pas dans le nombre

Renar sestoit jadis en sa tesniere;

Assiegiez fut du noble lion

D’un seul costé, mais Renars, par derriere,

Fist a son ost mainte derrision

Mainte pierre lui lança de canon

Et maint carrel lui lança d’arbalestre

L’ost fist petit qui estoit grant foison.

L’exploit n’est pas a grant quantité estre

Car Bruns li ours a tout sa grant banniere,

Tybert le chat et Grimbert le tesson

Et Ysangrin d qui sist sur la bruiere,

Ne firent rien fors veoir le dongon

Trait n’orent il ne engin qui fust bon 

N’abillement pour assaillir cel estre a,

Et Renars fist toudis sa garnison

L’exploit n’est pas a grant quantité estre… 

Le siege estant, vint une pluie fiere,

Qui l’ost moilla entour et environ;

Si firent lors les aucuns mate chiere.

L’un a l’autre disoient Que fait on ?

Je ne le sçay, dit le sanglier Jefon,

Ne je ne sçay dont tel conseil puet nestre,

De venir ci tant bestail de renon

L’exploit n’est pas a grant quantité estre…

Contre les Flamands

De tous les maulx qui puent advenir

En ce monde soit la terre maudite,

Sanz fruit ne nour ne semence venir,

Sanz avoir loy, si que nulz n’y habite,

Et a tous soit la gent du lieu despite;

Comme Caym soient fuians maudis,

Pour leurs meffais, H faulx Flamant traitre, 

Gand en Flandres et tout le faulx pais

Qui ont voulu contre droit se tenir

Par leur orgueil, s’en aient leur merite;

Leur vray seigneur n’ont voulu obeir,

Leur souverain n’ont prisié une mite.

Ville n’aient, fortresse ne garite,

Destruis soient de tous peuples destruis 

A ce coup soit de touz poins entredite

Gand en Flandres et tout le faulx pais…

Misère du pauvre peuple

L’autrier si com je m’en venoie

De Busancy, de Setenay,

Oy pluseurs gens en ma voie,

Et sitost que Meuse passay,

Uns paisans dist Je ne scay

Comment on se pourra chevir.

Je voy chevaulx prandre et ravir,

Moutons et aumaille a tuer,

Par gens qui nous en font fuir

Ja piet n’en puist il retourner. 

L’autre dist Ce seroit grant joye

Tout mettent le monde en esmay,

Tasse n’est, bourse ne courroye

Qu’ilz ne visitent, bien le sçay;

Cheval, poulain ne jument n’ay,

Huis a brisier, coffre a ouvrir,

Ne drap linge ou l’en puist gesir,

Ne bonne robe a emporter

Et si m’a l’un voulu ferir

Ja piet n’en puist il retourner. 

Quel part vont il? Qui les convoie ?

Qui sont ilz? Je le te diray….

Qualités que doit avoir un roi

Depuis que Dieux, par sa grace divine,

En succedant met homme en royauté

Mondainement, il doit estre benigne,

Misericors, doulz et plain de pité

A toutes gens, a leur simplicité,

Et doit souverainement 

Justice amer et la faire ensement;

Car justice est li vrais sieges des roys,

Et qui les fait regner, non autrement,

Preux et vaillans, doulz, larges et courtois.

Premier a Dieu son cuer et corps encline,

Recongnoissant de lui sa dignité,

Serve, doubte, aimt de pensée enterine

Et a lui seul ait son affinité.

Aux membres Dieu soit plains d’umilité,

Son peuple aime bonnement,

Et son pais garde diligemment.

Et se guerre a, garnisse ses destrois 

Maintiengne soy par les bons saigement,

Preux et vaillans, doulz, larges et courtois…

Contre les exactions des grands seigneurs

En une grant fourest et lée

N’a gaires que je cheminoie,

Ou j’ay mainte beste trouvée,

Mais en un grant parc regardoye.

Ours, lyons et liepars veoye,

Loups et renars qui vont disant

Au povre bestail qui s’effroye

Sa de l’argent, ça de l’argent

Ou fut tel paroule trouvée

De bestes trop me merveilloie.

La chievre dist lors Ceste année

Nous fera moult petit de joye

La moisson ou je m’attendoye

Se destruit par ne sçay quel gent. 

Merci, pour Dieu, et va ta voye.

Sa de l’argent, sa de l’argent…

De la paix avec les Anglais

Antre Beau Raym aet le parc de Hedin

Ou moys d’aoust qu’om soye c les fromens,

M’en aloye jouer par un matin.

Si vi bergiers et bergieres aux champs,

Qui tenoient la leurs parliers moult grans

Tant que Bochiers dist a Margot la Broingne

Que l’en aloit au traictié a Bouloingne,

Et que François et Anglois feront paix.

Elle respont: Foy que doy ma queloingne!

Paix n’arez ja s’ilz ne rendent Catays.

Lors vint avant Berthelot du jardin,

Qui respondit La paix suis desirans,

Car je n’ose descouchier le matin

Pour les Anglois qui nous sont destruisans

Mais dire oy, il a passé dix ans,

Qu’a leur dessoubz a quierent toudis aloingne

Pour mettre sus leur fait et leur besoingne,

Et puis courent le regne a grans eslays

Maint l’ont veu, et pour ce je tesmoingne

Paix n’arez ja s’ilz ne rendent Calays. 

Après parla, par grant courroux, Robin

A Berthelot et lui dist Tu te mens,

Car les François et les Anglois enfin

Veulent la paix, il en est des or temps;

Trop a duré la guerre et li contens,

Ne je ne voy nul qui ne la ressoingne.

Certes, tout ce ne vault une escaloingne,

Ce lui respont Henris li contrefais;

Encor faulra chascun porter sa broingne~

Paix n’arez ja s’ilz ne rendent Calays….

Prière à saint Jean l’Évangéliste

Jeunes justes en tes euvres parfais,

Odorans fleur de la virginité,

Homs merveilleus a descripre les fais

Du vray filz Dieu et de sa deité,

Nourris ou pis de sa divinité,

Nulz sains ne puet a ta haultesce ataindre;

Estables a cuers qui tant as profité,

Soiez pour nous au jour que l’en doit craindre. 

Jhesus H doulz, pour noz pechiez deffais,

Si te monstra grant signe d’amisté;

Tu es tesmoing de son sainctisme lays

A sa mort fus et pour ta dignité

Euz en garde la ftour d’umilité,

La chandelle qui ne pourroit estaindre.

Tesmoinage portas de verité

Soiez pour nous au jour que l’en doit craindre… 

Dieu se plaint de l’ingratitude des hommes 

Tout me doubte, sert, obeist et craint

En ce monde, fors seule creature.

Uair, la terre, eaue et feu ne se faint

De moy servir, chascun a sa droiture

L’air fait le jour pour labour et pasture,

Et pour repos va la noire nuit querre;

L’eaue decourt pour douce nourreture,

Mais contre moy seulz homs estrive et erre. 

Tousjours art feux qui nulle foiz n’estaint,

Et le souleil donne sa clarté pure, 

Qui touz les fruis a meureté contraint,

Que la terre doit germer par nature.

Elle me sert; les nu temps n’ont cure

De moy troubler; chascuns ensuit son erre,

Et leur subgiet a sanz pechié ne laidure,

Mais contre moy seulz homs estrive et erre…

Toute vérité n’est pas bonne à dire

Regnart qui scet du bas voler et

En yver trop grant fain avoit,

Mais viande ne pot trouver,

Dont a bien pou qu’il ne mouroit.

Sur la singesse qui gisoit

Va Regnars li malicieux,

Et dit que moult sont gracieux

Ses enfans. Lors prist elle a rire,

Et ot mengier delicieux

Tuit voir ne sont pas bel a dire. 

Quant saoulz fu, lors prist a troter,

Et Ysangrin a venir le voit,

Qui de fain ne pouoit aler,

Et demande dont il venoit.

Certes, fist il, je viens tout droit

De bien aise b disner tous seulz

Sur c la singesse, qui a deux

Singes treslaiz alez y, sire,

De mentir ne soiez honteux

Tuit voir ne sont pas bel a dire. 

Lors dist: Me voulez vous moquer?

Qui saige est ja ne mentiroit

O la singesse vois disner.

Et quant la dame l’aperçoit,

De ses enfans lui demandoit:

Si dist qu’ains ne vy si hideux.

Sur lui queurent celles et seulx,

Mordent et font tant de martire

Qu’a paine s’eschappa d’entre eulx

Tuit voir ne sont pas bel a dire….

Il faut faire le bien

Sept fois le jour chiet le juste en peché,

Selon le dit de l’escripture sainte;

Que fera donc le pecheur enteché

Si mortelment de mortel playe mainte,

Qui est a tout vice enclin,

Percevereux sanz regarder la fin ?

Se pitié n’est, grace et misericorde,

Mercy crians, repentans de cuer fin,

Dampnez sera, et raison s’i accorde. 

Chascun de nous a Franc Vouloir fiché joo

Dedens son cuer, si devons avoir crainte

De faire mal qui nous est reprouché;

Paour de Dieu soit en noz cuers emprainte

Soyons saige pellerin

A main dextre prenons le droit chemin,

A senestre laisson la vil voye orde

Car qui la suit, selon le droit divin,

Dampnez sera, et raison s’i accorde…

Voyage de Charles VI en Vermandois

Seure chose est a prince de savoir

De son pais la marche et les destrois,

Ceulx qui l’ayment et de corps et d’avoir,

Pour congnoistre qui est H plus adroiz

De ses pays et plus noble frontiere,

Ou il a genz plus noble et plus entiere,

En tout honneur et bon gouvernement,

Pour lui servir plus honnorablement,

En tous estas et par bonne maniere. 

Le roy le puet assez apparcevoir

Par son puissant pays de Vermendois;

Car a Coucy 1 en a fait son devoir

Le bon seigneur, et ailleurs pluseurs fois.

Ne nulz ne vit plus belle heronniere a

Qu’a Saint Aubin, ne d’oiseaux de riviere

Venir deduis ne plus gracieusement.

Vers Foulambray ot maint faucon volant,

Et maint heron pris dessus la praiere… 

A Saint Lambert vint veoir le manoir,

Emmy l’estang, li doulx prince courtoys;

La lui fist on grans poissons apparoir;

Cerfs et biches y vindrent a son choys

De la forest. Puis se retrait arriere,

Au chastel noble et place de Costiere.

Par Le Fere fist son departement,

Acompaigné toudis de noble gent.

Qui veult deduit, en ces marches le quiere…

La fin du monde est proche

Je suis certain de la mutacion

Des royaumes et de la seigneurie

En pluseurs lieux, par la descripcion

De Jhesucrist, Salemon, Jheremie;

Par nostre loy qui d’amer nous escrie

De cuer, d’ame, Dieu, son proesme com soy;

En ces poins pent toute nostre loy,

Li .XII. articles, les dix commandemens

Mais au rebours un chascun faire voy,

Pour ce du mont vient li fenissemens. 

Le bien commun va a perdicion

La loy deffault et l’estude est perie;

Les biens de Dieu sont en vendicion

Les meurs muent de la chevalerie

L’or se depart, tout estat se varie

Justice fault, humilité et foy

Convers, baras, regnent en court de roy

Particuliers sont partout toutes gens;

Religieus, seculiers apperçoy

Pour ce du mont vient li fenissemens. 

Je voy Orgueil et toute elacion

En povreté, avarice qui crie…

Balades amoureuses

Comment l’amant a un jour de Penthecouste ou moys de may, trouva s’amie par amours cueillant roses en un jolis jardin

Le droit jour d’une Penthecouste,

En ce gracieux moys de May,

Celle ou j’ay m’esperance toute

En un jolis vergier trouvay

Cueillant roses, puis lui priay

Baisiez moy. Si dit Voulentiers.

Aise fu; adonc la baisay

Par amours, entre les rosiers. 

Adonc n’ot ne paour ne doubte,

Maisdes’amourmeconfortay; !

Espoir fu des lors de ma route,

Ains meilleur jardin ne trouvay.

De la me vient le bien que j’ay,

L’octroy et li doulx desiriers

Que j’oy, comme je l’acolay,

Par amours, entre les rosiers…

Recommandations à une dame au moment de son départ

Tant me fait mal de vous la departie

Que mon penser ne puet de vous partir,

Pour vo grant bien, chiere suer et amie;

Mon cuer avez pour vo depart martir

Quant ne vous voy. Vueille vous souvenir

Aussi de nous et de nostre aliance,

Et en tout bien vous vueillés maintenir,

Et gardez bien ou vous arez fiance. 

Car au jour d’uy est tant de tricherie

Que l’en ne doit son penser descouvrir

A homme nul, non pas a sa nourrie

Car ou bien est veult l’en le mal querir.

Tousjours se doit saige dame couvrir

Et pou parler, garder sa conscience

Or vous plaise sur ces poins advertir,

Et gardez bien ou vous arez fiance…

A dame Péronne, après la mort de Machault

Après Machaut qui tant vous a amé

Et qui estoit la fleur de toutes flours,

Noble poete et faiseur renommé,

Plus qu’Ovide vray remede d’amours,

Qui m’a nourry et fait maintes douçours,

Veuillés, lui mort, pour l’onneur de celui,

Que je soie vostre loyal ami. 

Tous instrumens l’ont complaint et plouré

Musique a fait son obseque et ses plours,

Et Orpheus a le corps enterré

Qui, pour sa mort, est emmutys a et sours  

Ses tresdoulx chans sont muez en doulours.

Autel a de moy, s’ainsi n’est quant a my

Que je soie vostre loyal ami…

Plaintes d’une dame

Lasse, lasse, maleureuse, dolente

Lente me voy, fors de souspirs et plaings.

Plains sont my jour d’annuy et de tourmente;

Mente qui veult, car mes cuers est certains,

Tains jusqu’a mort et pour cellui que j’ains

Ains mais ne fu dame si fort atainte;

Tainte me voy quant il m’ayme le mains.

Maints, entendez ma piteuse complainte. 

Plainte seray quant j’aym de vraye entente

Ente en semblant a doulce fueille et rains,

Rains en folour qui le semblant faulx plente,

Plente qui a deceu maintes et maints

Mains, tuez moy, quant il est si villains.

L’ayns je? Nenil, puisqu’il m’a s’amour fainte;

Fainte est s’amour par tel douleur par mains

Maints, entendez ma piteuse complainte. 

De lui amer m’avoit mis en la sente;

Sente qui veult que d’autre est ses cuers sains.

Sains, vengiez moy mes maulx vous represente;

Presente suy, qui fais douloureux clains.

Clains m’en a Dieu, car mes cuers est emprains,

Prains de la mort qui m’a pour lui enceinte a;

Sainte Juno, vez les maulx ou je mains

Maints, entendez ma piteuse complainte….

Il nie d’avoir mal parlé d’une dame

Maudis de Dieu et du monde hays

Soit Faulx Rapport, mesdisans Male Bouche

Par qui je suis vers ma dame trahis,

Qui dit que j’ay dit et escript reprouche

De son doulx nom gracieux,

Dont j’ay le cuer si triste et douloureux

Que je ne sçay a qui prendre m’en doie,

Fors que menti si ont celles ou ceulx

Qui ont ce dit penser ne l’oseroie. 

Contre raison suy forment envays;

Oncques ne fis ce qu’elle me reprouche

Ne cause n’ay, car il n’a au pays

Plus noble cuer, ne dame qui me touche

Dont tant soie desireux;

Se j’ay nul bien, c’est

par ses gracieux

Et doulx parlers, quelque part que je soie;

A tousjours mais soient cilz langoureux

Qui ont ce dit penser ne l’oseroie…

Louanges hyperboliques d’une dame

E les vertus et les graces mondaines

S C’onques furent mises en corps humain,

Et les beautez des deesses humaines

Revenoient en ce siecle mondain,

Et feussent vif tuit li mort escripvain,

Et parlassent ceulx qui ont perdu vie,

Ancre et papier ne souffiroit ce mie

Pour escripre les biautez et les biens,

Les sens, honneur, bonté et courtoisie

Que ma dame a, non mienne, et je suy siens. 

Sa grant biauté a trespassé les vaynes

De mon las corps, qui se traveille en vain

Par ses regars et visions soubdaines,

Dont je suy pris mieulx que poisson a l’ain

Merveille n’est se je la doubte b et l’aim,

Quant sur toutes la voy la plus prisée,

La plus tresdoulce et la mieux enseignée,

Qui en honneur ne se doubte de riens…  

Résolution d’aimer sans mauvaise pensée 

Puisque je voy le printemps revenir,

Et puisque j’oy les doux chans des osiaux,

Et es vergiés voy l’erbete venir,

Les prez verdir, florir les arbrissiaux,

Et quant je voy courre les grans ruissiaux,

Tant c’om se puet mirer en la fontaine

Mieul~ que ne fist Narcizus li tresbiaux,

Je vueil ajnier sanz pensée villaine. 

D’Amours doit lors tous amans souvenir;

Le rossignol crie sur les rainssiaux a,

Vray messaige d’amour entretenir

Occy, occy entre vous, damoisiaux,

Faictes de fleurs et de fueilles chapiaux,

Ayme chascun sa dame souveraine;

Et quant tel cry se fait especiaulx

Je vueil amer sanz pensée villaine. 

Les oisiaux voy deux a deux conjoir d,

Biches et cerfs, sengliers, dains et chevriaux,

Et en ce temps pour amours resjoir;

Dont doivent mieulx et naturelment ciaulx

Leur dame amer qui raison ont en yaux…

Adieu de la dame à l’amant.

Adieu le bel, le bon, le gracieux,

Le noble cuer, de tous biens renommé,

Gent corps, puissant en tous fais, vertueux,

Humble, hardy, courtois et bien amé,

Larges en dons, Alixandre nommé,

De qui renoms et geritillesce estrive,

Adieu, adieu, l’un des meilleurs qui vive

Pour vo depart est mes cuers douloureux

Qui au vostre est parfaitement fermé,

Comme au meilleur et au plus amoureux

Et le plus vray qui oncques feust formé;

N’estre de vous ne puet plus bel armé

Ne quechascun plus voulentiers poursuive

Adieu, adieu, l’un des meilleurs qui vive…

L’amant se plaint de la rigueur de sa dame

Se celle n’est a qui je suy donnez,

Je ne pourray pas vivre longuement,

Mais maudiray l’eure que je fu nez

Quant je l’ayme si amoureusement,

Ne ne me veult confort ne esperance

N’un seul regart donner piteusement

Pour ce langui, c’est ce qui mort m’avance. 

Comment puet homs estre si fortunez

Qui ayme’fort et qui sert loyaûlment,

Et sanz’pitié est ainsi demenez

Que de mercy n’a nul allegement ?

Fait bien Amour? Nennil; mais faulsement;

Elle destruit mon corps par souvenance

De celle a qui je suy homs ligement

Pour ce languy, c’est ce qui mort m’avance…

Comparaison d’une dame avec sept héroïnes

de l’antiquité

Des sept vertus et des dons de grace

De quoy Dieu voult creature honnorer,

Vueille embelir a ce jour vostre face,

Et pour vous mieulx, chiere dame, louer,

Face vo cuer en tel lieu assener,

Ce jour de l’an, que vous soiés clamée

La flour des flours et de chascun amée

En vous donnant l’onnour qu’eurent jadis

Judith, Hester, Sarre a, Penelopée,

Menalippe, Rebeque et Thamaris. 

Et par ma foy, se bien dire l’osasse,

Aux sept dames vous puis bien comparer

Car vo biauté Judith en doulceur passe,

Qui par pité voult son peuple sauver

D’Olofernes; et Hester d’onnorer

Assuerus n’ot plus humble pensée

Ne plus loyal ne fu Sarre trouvée,

Ne tant d’onnour n’orent en leurs pais

Judith, Hester, Sarre, Penelopée,

Menalippe, Rebeque et Thamaris…

Chançons royaulx

Elles sont au nombre de 135, dont voici des extraits de certaines d’entre-elles

En retournant d’une court souveraine 

Ci commencent les chançons royaulx

Hé ! Marion, que nostre vie est saine !

Et si sommes de tresbonne heure né :

Nul mal n’avons qui le corps nous mehaigne.

Dieux nous a bien en ce monde ordonné.

Car l’air des champs nous est habandonné.

A bois couper quant je vueil m’esvertue.

De mes bras vif. je ne robe ne tue.

Seurs chante. je m’esbas a ma fonde.

Par moy a Dieu doit grace estre rendue :

J’ai Franc Vouloir, le seigneur de ce monde. 

Tu puéz filer chascun jour lin ou laine,

Et franchement vivre de ton filé,

Ou en faire gros draps de tiretaine

Pour nous vestir, se no draps sont usé.

Nous ne sommes d’omme nul habusé,

Car Envie sur nous ne mort ne rue.

De noz avoirs n’est pas grant plait en rue,

Ne pour larrons n’est droiz que me reponde.

Il me suffist de couchier en ma mue.

J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde… 

Prince, quant j’eu franc Robin escouté,

Advis me fut qu’il disoit verité :

En moy jugié sa vie belle et monde,

Veu tous les poins qu’il avoit recité.

Saige est donc cilz gardans l’auctorité :

J’ay Franc Vouloir, le seigneur de ce monde. 

Que vault preschier au sourt qui goute n’oit 

Que vault preschier au sourt qui goute n’oit ?

Que vault semer sur pierre le froument ?

Que vault monstrer a cellui qui ne voit ?

Que vault le lire a cellui qui n’apprant ?

Que vault enter sur tron qui ne reprant ?

Cilz pert son temps qui tele euvre pourchace,

Combien qu’aucuns dient communement :

C’est trop bien dit, mais queréz qui le face… 

Que vault li homs qui autrui mal perçoit

Et ne voit pas son propre encombrement,

Et qui en lui pour son preu ne conçoit

La parole de bon entendement ?

Autant vauldroit oir venter le vent.

Car telz gens ont toudis un pié sur glace,

Qui se muent de moment en moment.

C’est trop bien dit, mais queréz qui le face… 

Prince, au jour d’ui est tel gouvernement

Que li menteur et li dissimulant

Ont tous les biens et du monde la grace,

Et li bon sont vil, povre et indigent,

Que l’en deust amer sur toute gent.

C’est trop bien dit, mais queréz qui le face. 

En mon dormant vi une vision 

En mon dormant vi une vision

Ou un songe, dont trop me merveilloie,

Qu’en granz forests ot un jeusne lyon,

C’un lepardiau de jour en jour guerroie.

Et ce lion n’entendoit toutesvoie

Fors a moutons et pourceaulx estrangler :

Vaches, brebis et chievres fist trembler.

Mais ce liepart aux cerfs et sangliers groingne,

Et aux levriers voult sa guerre mener.

Bon fait toudis penser a sa besongne… 

A ce lion vint adonc un mouton

En lui disant : « Sire, ne vous annoye,

Vous fouléz tous voz bestaulz. Ce voit on

Que tout vous fuit et chascun se desvoye.

Car l’en s’en va es forests de Savoye,

Et l’autre va en Ardenne habiter,

Pour ce que nulz d’eulx ne puet profiter,

Et que chascun vo regime ressoigne.

Tout se destruit, vueilliéz cy advisier.

Bon fait toudis penser a sa besongne. »… 

Prince, a ce mot me convint esveillier

Pour un hahay que j’oy escrier,

Par nuit, en l’ost asséz pres de Coulongne.

Mais je ne scé ce songe interpreter,

Fors que bien sçay, a justement parler,

Bon fait toudis penser a sa besongne. 

Depuis que Dieu fist terre et firmament 

Depuis que Dieu fist terre et firmament,

Et qu’il crea premierement le monde,

Lune et souleil qui se part d’Orient,

Setemptrion, Midi, d’Occident l’onde,

L’eaue, le feu, l’air et la mer parfonde,

Bestes, oiseaulx et tous [les] animaulx

Ne fut autant de pechiéz et de maulx

Comme j’en voy regner et advenir

Des plus petiz et jusques aux plus haulx.

Par ce devroit tost cilz secles fenir… 

Et on en voit desja l’aprouchement,

Dont nous sommes asséz pres de la bonde,

Se l’escripture et Jhesucrist ne ment :

Car nous veons partout a la reonde

Guerre esmouvoir, que cité l’autre affonde,

Lune et souleil avoir divers signaulx,

Terre mouvoir jusques aux infernaulx,

Gent contre gent faire guerre et tenir,

Et roys enfans es regnes principaulx :

Par ce devroit tost ce secle fenir… 

Prince, laissons ces vices generaulx

Et retournons aux biens especiaulx,

Que chascuns doit pour son ame acquerir.

Car, quant on laist les biens celestiaulx,

Pour ces mondains qui sont vilz, vains et faulx,

Par ce devroit tost ce monde fenir. 

De tous les maulx qui puent advenir 

De tous les maulx qui puent advenir

En ce monde soit la terre maudite,

Sanz fruit ne flour ne semence venir,

Sanz avoir loy, si que nulz n’y habite,

Et a tous soit la gent du lieu despité.

Comme Caym soient fuians maudis,

Pour leurs meffais, li faulx Flamant traire,

Gand en Flandres et tout le faulx pais… 

Le roy jamais n’y doye revenir,

Ne moy aussi, a qui riens ne profite.

Cy pers les oeulx, ne je n’y puis dormir

Pour les canons. J’ay leur meschance escripte.

Leur wacarme a troublé mon esperite.

Je loge aux champs, je suis touz refroidis.

Je gis armé, ainsis me remerite

Gand en Flandres et tout le faulx pais… 

Prince, a ce coup leur faictes quatre ou quicte,

Sanz retourner tant qu’ilz soient chetis.

Si que jamais par deça ne me quite

Gand en Flandres et tout le faulx pais.

Ou temps jadis, selon les fictions 

Ou temps jadis, selon les fictions

Des poetes, que les bestes parloient,

Et les oiseaux, vaches, brebis, moutons,

Cerfs et sangliers, maintefoiz s’assembloient,

Asnes, chevauls, et entreulx ordonnoient

Qui bon seroit pour leur nourissement,

Diversement de leurs vivres jugeoient.

Chascun juge selon son sentement… 

Mais les sangliers veulent les fors buissons,

Les glans des boys, bas lieux ou veruilloient.

Et les renars, gelines et chapons,

Et les chievres bois et ronses broutoient.

Les loups la char, com larrons, ravissoient.

Lyons, lyeppars firent semblablement.

Ainsis entreulx divers vivres prenoient.

Chascuns juge selon son sentement… 

Princes, li sens naturelz est tresbons,

Et li acquis vault merveilleusement.

Qui a les deux, il est tressaiges homs.

Chascuns juge selon son sentement. 

S’Alixandre, le puissant roy paien 

S’Alixandre, le puissant roy paien,

Julles Cesar, Hector et leur effors,

David, Josué, Judas Machabeyen,

Artus, Charles et Godefroy li fors,

Qui tant d’armes firent tuit de leurs corps

Que preux sont par tout tenuz,

Estoient tuit au monde revenuz,

Pour faire bien, pris, honeur et vaillance

Seront entr’eulx bien améz et venuz

B. du Guesclin, connestable de France. 

Car, a son temps et par son bon moien,

Du royaume mena les Anglés hors.

Espaingne en fin conquesta et li sien,

Enz ou pais combatit deux foiz lors.

L’une fut prins et, quant il fut ressors

Et de se prinson yssus,

Se ralia et remist ses genz sus,

Le roy Pietre desconfist par puissance,

Henry fist roy et regner par vertus

B. du Guesclin, connestable de France… 

Princes, je dy que chevaliers esluz,

Qui en pou d’ans a fait tant de vertus

Pour son seingeur et a son pays, bien

Doit o les preux lieu avoir ancien

Et estre améz de tous et chier tenus. 

Le lyon noir, orguilleux et felon 

Le lyon noir, orguilleux et felon,

Qui son bestail vouloit tout devorer,

Sanz espargner buef, vache ne mouton,

Brebis, aignel, cerf, biche ne senglier,

Qu’il ne feist destruire et estranglier,

Lui ont requis loy, coustume et usaige,

Qu’il a voulu de tous poins refuser.

Pour ce chacié l’ont hors de son boscage… 

Orgueil fist jadis perir Absalon,

Et Lucifer de paradis getter,

Saul mourir, decapiter Noiron,

Alixandre le roy empoisonner.

Estre humble doit, qui veult sire regner,

Prendre son droit, sanz faire aux siens oultrage.

Autrement a le Noyr voulu ouvrer :

Pour ce chachié l’ont hors de son boscage.

Prince, beste royal est le lyon,

Dont il est pou. Doit avoir vision

De seigneurir son bestail, s’il est saige,

Moiennement, sanz trop d’exaccion.

Autrement fist. C’est sa perdicion :

Pour ce chacié l’ont hors de son boscage. 

Roys Pharaon qui le peuple charga

Roys Pharaon qui le peuple charga

En Egypte par ses subvencions,

Que Moyses a ce temps descharga,

D’Israel fu leurs generacions,

Envoia Dieux dix persecutions

A Pharaon et a toute sa gent,

Mais neantmoins fu dur come uns lyons :

On dit que fol ne doubte jusqu’il prent… 

Car le peuple d’Israel s’en ala

Parmi la mer, et leurs congnacions,

Qu’a sa verge Moyses devisa.

Sanz eulz moullier fu leur transaccions,

Mais aprés eulz envoya Pharaons

Egipciens pour leur destruisement,

Qui se bouterent est inundacions :

On dit que fol ne doubte jusqu’il prent… 

Prince, male est perseveracions.

Par autrui fait chastier nous devons,

Et qui le fait, il œuvre saigement.

Mais se de fait et voulenté ouvrons

Contre raison, en grant peril vivons :

On dit que fol ne doubte jusqu’il prent.

Lays :

Ils sont au nombre d’une centaine, dont voici des extraits de quelques uns d’entre-eux :

Et premierement commence le noble lay de Verité

Trop me vient a grant merveille :

Je sommeille,

Et nul n’est qui me resveille

Ne qui me face veillier.

Et voy que mon sommeillier

Toutes gens nuit et traveille.

Mais toutefois que je veille,

Je conseille

Tout bien. Ne peut perillier

Qui son cuer veult traveillier

Par moy, qui n’ay ma pareille… 

Cilz Dieux, qui nous delivra

Des enfers, et s’enyvra

D’amour et d’umble pité,

Quant son corps pour nous livra

Et de son sang abuvra,

No povre fragilité,

Qu’Adam avoit endebté

Par orgueil, nous delivra

Par amour, par charité.

Joie et pardurableté

Humblement nous recouvra, 

Par moy, Verité, ouvra.

Sanz moy ne se sauvera

Nulz, car de necessité

Estre partout me faurra.

Et quant mes noms defaurra,

Ou qu’il sera en vilté,

Lors regnera Fausseté,

Desraison partout courra,

Guerre, Sterilité,

Traison, Desloyauté,

Nulz oir ne me vourra… 

Ci commence le Lay du Roy

Prince, pour la grant honnour,

La reverence et amour,

L’obeissance et cremour

Que je te doy,

Comme subgiéz a son Roy

Et son seignour

Naturelment, mon labour

Met et employ

A t’y descripre le ploy

D’onneur, de prouesce et foy

Et de valour… 

Voy ou Fortune t’a mis,

Considere tes amis,

Pense a ton fait.

Tu es de meubles desmis,

Et voy que tes ennemis

T’ont pieça fait.

Ilz te destruisent a fait.

Se tu as ami parfait

Croy le et chieris,

Car trop voy de gens faillis

Par leur meffait… 

Aies gens hardis et preux,

Humbles, courtois, gracieux

Et saiges pour toy servir,

Prodommes et cremeteux,

Non pas avers, convoiteux,

Qui ne veulent qu’acquerir.

Fay de ta terre enquerir

Qu’elle puet valoir a ceulx

Qui le scevent. Lors par eulx

Pourras ton estat tenir… 

Escoutéz mon sentement 

Escoutéz mon sentement

Qui avéz gouvernement

Et vous qui vouléz servir :

Car je vous vueil descouvrir

Et ouvrir

Quoy et comment

Le peril et le tourment

Proprement

Qui vous en puet advenir. 

Gardéz vous premierement

De peuple, femme et enfant,

Car ces trois font a cremir.

Pour bien mal font remerir

Et perir

Dolentement,

Leur bon et loial servent

Bien souvent :

Si fait bon ces trois fuir.

Boece qui tant fut saige

De vray cuer et de couraige

Le peuple Rommain servi,

Leur bien crut, mais leur dommaige

Rebouta, et bon usaige

En leur cité establit.

Theodoise contre lui

Fut meuz d’ire et de raige,

Pour ce que par beau langaige

Sa cruaulté deffendit…

Lai de fragilité humaine

Cy commence le lay du desert d’amours

Genievre, Yseult et Helaine,

Palas, Juno ne Medee,

Du Vergy la chastellaine,

Andromada ne Tisbee

N’autre dame trespassee,

Ne nulle vivant mondaine,

N’orent le mal ne la paine

Ne la dure destinee

Qui d’amours m’est destinee,

Dont pale sui, triste et vaine.

Car jadis en la fontaine

De Narcisus fu trouvee

Fresche, coulouree et saine,

Jeusne, gente et desiree,

Requise, chierie, amee,

De beauté la souveraine,

Comme estoille trasmontaine

De toutes pars regardee.

Maint ont leur face miree

En moy, que tristesce maine. 

Quant me souvient des bons jours,

Des sejours,

Des grans festes, des estours

Qui furent en mainte ville

Fais pour moy, et des bohours

Et des cours,

Des robes, des grans atours,

De dueil li corps me fretille.

Quant si ville

Me voy que nulz ne s’abille

Pour moy, je vueil fondre en plours… 

Traductions du latin au français :

Le double lai de fragilité humaine

Très sensible à la condition humaine, l’auteur traduit sous la forme du lai une partie de De miseria humane conditionis du pape Innocent III.  Il utilise ce texte spirituel à des fins moralisatrices. Il offre au roi une copie bien soignée pour la circonstance, un geste certainement pas innocent.

Le Traictié de Geta et d’Amphitrion

Composée par Vital de Blois au XIIe siècle, cette œuvre fait partie de celles minoritaires de l’enseignement grammatical, et donc assez connue et utilisée. Elle a le caractère d’une satire contre l’enseignement de la philosophie et de la théologie dans les universités au Moyen-âge.

Citations d’Eustache Deschamps:

« Mieux vaut honneur que honteuse richesse »

« La vérité n’est pas toujours bonne à dire »

« Car il n’est rien qui vaille franche vie »

Jean de la Fontaine s’est beaucoup inspiré des fables d’Eustache Deschamps. On retiendra notamment qu’il a imité au moins deux d’entres-elles : la Cigale et la Fourmi et le Conseil tenu par les Rats.

Biographie de Raoul de Houdenc:

Trouvère du début du Xie siècle, il serait né en Picardie entre 1165 et 1170 et mort entre 1226 à 1230. Mais son nom nous oriente vers trois villages, dont il porterait le nom de l’un d’entre eux. Il s’agit de Houdan dans les Yvelines, Houdenc près de Beauvais ou Houdain dans l’Artois. Il se destine dans un premier temps à une vie de clerc pour laquelle il est formé, mais s’en détournera très vite. Disciple à ses débuts de Chrétien de Troyes, il en commence ensuite à écrire en l’imitant d’une langue vulgaire. Il mène alors une vie de jongleur allant de cour en cour, avant de se découvrir un don talent pour  la poésie allégorique et la versification. Il se lance alors dans sa propre écriture comme moraliste, et  mène une vie errante et pauvre. Digne successeur de Troyes avec il partage un talent unique dans la manipulation de la langue, il est considéré comme l’un des plus remarquables des auteurs français du Moyen-Âge. On lui reconnaît quatre œuvres essentielles :

Œuvre de Raoul de Houdenc

Écrite dans le dialecte de l’Ile de France considéré comme le plus pur de l’époque, l’œuvre de Houdenc est citée comme exemple pour son style trois siècles après sa mort. La variété de son œuvre, la richesse de la rime et le grand nombre de manuscrits disponibles nous éclairent sur l’intérêt que lui portait le public. L’auteur a le mérite de se détacher des stéréotypes arthuriens pour élever plus haut encore les vertus chevaleresque. Il prend part, malgré lui sans doute, à la querelle des réalistes et nominaux qui divisait le monde savant. Il est alors parmi les tous premiers à donner vie à des créations idéales et à des abstractions, à personnifier dans son œuvre les vertus et les vices pour lesquels il élabore une typologie. Pour ses contemporains il est alors avant tout un moraliste. Il contribue pour une bonne part au développement de  la poésie allégorique, qui connaîtra son apogée dans le Roman de la Rose (Guillaume de Lorris).

Meraugis de Portlesguez (entre 1225 et 1235) :

C’est une contribution au roman arthurien de la Table ronde. Habituellement épique, Houdenc y introduit l’allégorie. Humour, ironie et  jeu se mêlent pour aboutir à un éblouissant travail d’écriture parodique.

La belle et sage Lidoine est courtisée par deux chevaliers qui se la disputent. D’un côté le héros en la personne de Meraugis, de l’autre Gorvein Cadrut. Ayant oui de cette querelle entre les deux hommes, elle intervient et tranche pour Meraugis. Mais il doit mériter sa main. Pour cela il doit affronter et rivaliser avec les chevaliers du roi Arthur. Elle lui propose de l’accompagner dans la quête de Gauvain, un des chevaliers de la Table ronde. Mais il la perd en chemin, car Belchis la retient contre son gré pour la marier avec son fils Epinogre. Commence alors pour lui un périple semé d’embûches, de combats pour la reconquérir…

Extraits :

ui de rimoier

s’entremet

Et son cueur et

s’entente met,

Xe vault noient quanque il conte

S’il ne met s’estude en tel conte

Qui touz jours soit bon à retraire ;

Car joie est de bon œvre faire

De matire qui touz jours dure.

C’est des bons contes l’aventure

De conter à bon conteour;

Cil autre qui sont rimeour…

Seignor, au temps le roi Artur

Qui tant estoit de grant vertu,

Ot en Breteigne  le greignour

Uns rois qui tint mult grant honours,

Ce fu li rois de Cavalons

Qui fut plus biaus que Absolion,

Si com  tesmoigne li greaus.

Li rois qui fu preus et loiaus

Et riche d’avoir et poissanz,

Une fille avoit mult vaillanz :

La damoisele ot non Lidoine ;

N’ot jusqu’au port de Masedoine…

Einsi fu lors  li tornois pris ;

Li bachelier d’amours espris

I amainent chascuns s’amies.

Li tornois ne remaindra mie,

Car tuit li errant chevalier

De Logres sunt venuz premier

Au tornoi pour le pris conquerre ;

Et Lidoine fesoit porquerre…

Por la biauté, qui est defors,

Doit touz li mons amer son corps.

-Non doit.- Si doit, ce m’est avis. »

Ce dit Gorveinz à Meraugis :

« Ma volenté vous dirait toute,

 Que je vous aim et sans doute

Que vous m’ amez en bonne foi ;

 Por quoi, amis, je ne vous doi        

 Celer riens de ma privauté,

 Car maintes foiz, en vérité

 M’avez consillie et je vous dois. »

Cil respond : «Les amours de nous

 Ne sont mie or à esprover.

 Se je puis nul conseil trover

 En ce que vous voler me dire,

 Je l’i metrai ?- Ferez, biaus sire ?

-Oïl, sanz faille, se jel sai. »…

Si la salue et la retient

Et lui dit : « Dame, bien viegniez.

 Des or vous pri que vous preigniez

 Geste bretesche qui est ci

 Comme la vostre. — Grant merci,

Se dist Lidoine qui fu sage,

 Je retieng orendroit restage

 Par covent que vous i vendroiz.

 Sel retieng et vous le prendroiz

 Comunement, puis qu’il est nostres »..

 Meilleur de lui trovast encor.

La dame fist soner le cor

Desouz le pin, à la fontaine;

Ne firent mie longue paine

A lor afere deviser ;

Legiere chose ert aviser

Que Lidoine estoit la plus bêle.

N’i ot chevalier ne pucele

Un trestout seul qui ne deïst

Qu’il ert reson qu ele preïst

L’esprevier; ele Tala prendre.

Lors vielt chascun son non aprendre

Et demandent qui ele estoit.

Vient Meraugis de Portlesguez,

Desouz le pin où ele estoit.,

Uns chevaliers moult alosez.

Ensemble o lui i est venuz

Uns siens compains mult bien connuz

Gorveinz Cadruz i fu o lui ;

Chevalier furent ambedui,

Li dui meilleur qu on seûst querre,

Qu il n’eust jà en nulle terre

Tornoiement où il ne fussent..

Vengeance Raguidel : (entre 1200 et 1210)

Roman arthurien qui concerne Gauvain, neveu d’Arthur considéré comme le meilleur des chevaliers de la table ronde. Il est souvent le héros d’aventures parfois magiques, d’autres courtoises, et même impies. Sa force croît et décroît selon la position du soleil (elle atteint son apogée au zénith). Arthur retrouve dans un vaisseau échoué près du rivage un chevalier anonyme (Radiguel) assassiné. Le roi confie à Gauvain la délicate mission de venger la mort de cet homme, pour ne pas laisser ce crime impuni. Le chevalier de la table ronde entreprend d’aller à la poursuite de l’assassin. Après une chevauchée semée d’embûches il le retrouve enfin en Ecosse, c’est Guengasoain…

L’auteur traite avec beaucoup d’humour les aventures du célèbre chevalier Gauvain, dont il se moque même. Habituellement sage et de bon conseil, il est présenté comme intrépide par sa hâte à aller au devant des périls, à se lancer dans la défense de belles dames qui lui tournent le dos juste après. Il s’éprend même d’une jeune fille frivole et volage.

Deux autres histoires indépendantes liées au thème de l’amour déçu, humilié figurent dans cette œuvre. Les aventures de la dame de Gaudestroit et de Guauvain et celles de Gauvain et d’Ydain (femme sensuelle et infidèle)

Ce fu el novel tans d’esté,

que li rois Artus ot esté

tot le quareme à Rovelent,

et vint à grant plenté de gent

à Pasques por sa cort tenir

à Carlïon, car maintenir

volt li rois la costume lors.

O lui fu li rois Engenors,

si i fu li rois Aguisait;

mais ja de prince qu’il i ait 

ne vos tenrai en cest point conte.

Li rois Artus ert costumiers

que ja à feste ne manjast

devant ce qu’en sa cort entrast 

novele d’aucune aventure.

Tels fu lors la mesaventure,

et li jors passe et la nuis vint,

c’onques nule n’en i avint;

s’en fu la cors torble et oscure.

Tant atendirent l’aventure

que l’ore del mangier passa.

Li rois fu mus et si pensa

à ce q’aventure n’avient.

Mes sire Gavains a oïe 

la parole que li rois dist.

Onques de rien nel contredist,

ains dist : « Sire, mout volentiers. »

Mes sire Gavains tos premiers

s’asist as tables por mengier,

et tuit li autre chevalier

s’asisent, qui mangier voloient.

Mais li plusor s’i asëoient

qui poi i mangierent et burent.

Servi furent si com il durent:

de més de car assés i ot.

Mais saciés bien qu’il lor desplot

ce que li rois o aus n’estoit

al mangier si com il soloit:

cascuns le cuer dolant en a.

« Sire, fait Kex, donés le moi, 

la venjance, por mon servise:

tos tans m’avés onor promise;

se vos de ceste m’escondites,

totes les autres vos claim quites.

Buens rois, or m’en donés le don,

que j’alle esragier le tronçon

qui est el cors au chevalier:

se l’irai de celui vengier

qui l’a ocis en traïson. »

car mesire Gavains i fu

et Kaheris à esperon

qui bien a vengié sa prisson

que la dame fait li avoit

uns chevaliers del Gaut Destroit

que la pucele avoit mout chier

et si n’ot millor chevalier

en tote la cort la meschine

cil avoit non Chalehordine…

son cheval torne et son escu

et ens es estriers s’est bien jont

car de son glave n’avoit point  

mais s’espee tint par le pont…

Traduction d’un extrait où Gauvain secoure une Dame

Il était assis sur la meilleure des bêtes

Eu’un chevalier montât jamais.

Sur elle, il n’y avait rien qui présentât un défaut.

Cou et tête étaient parfaits.

Nul qui aimerait la perfection sur un cheval

Ne pourrait en monter un meilleur car il était robuste

Et vraiment bien bâti de tous ces membres.

Le roi Engenor qui le possédait

Le donna à Melian du lys.

Mais il en profita peu

car il le perdit à Lindesore

A cause de la dame de Landesmore

Ou il se battit contre Maduc qui le désarçonna

Le cheval était beau et robuste ( vaillant)

Celui qui le chevauchait dans un combat

Pouvait vraiment faire ce qu’il voulait.

Ils firent déverrouiller et ouvrir

La grande porte devant la tour

Plus vite que le vent glisse sur la mer

Ils sortirent au château en faisant entendre un bruit

Tel se coucha cette nuit en riant

Qui jamais plus ensuite ne se releva…

Et elle poussa de nouveau un cri

Puis trois autres successivement.

Monseigneur Gauvain qui était à proximité

Entendit le cri près d’un enclos.

Il lança alors son cheval à la course,

Se dirigea de son côté la lance au poing.

Il n’eut pas cheminé la distance de deux arpents

Quand il vit celle qui criait.

Il y avait deux chevaliers armés

Qui en avaient tué un troisième.

La jeune fille me semble t-il n’avait pas tort de crier.

L’un des chevaliers l’avait maltraité et brutalisé

Car il l’avait saisie fermement d’une main par le cou

Tandis que de l’autre main il la frappait

Et la battait de coups répétés.

C’est ainsi qu’il la frappait avec sa main

Revêtue d’un gantelet de mailles

Et il la traînait contre son cheval à travers la lande.

Monseigneur Gauvain arriva à vive allure et lui cria :

Noble chevalier laisse là , laisse là .

C’est à tort que tu la frappes.

Le chevalier qui était méchant

Ne voulut absolument pas la lâcher.

Mais au contraire il répondit avec insolence :

Seigneur qu’en avez vous à faire ?

Allez vous occuper de vos affaires.

Je n’arrêterai nullement à cause de vous.

La jeune fille, sachez le bien, leva la tête et parla :

Noble chevalier qui êtes là, venez ici.

Au nom de Dieu, j’implore votre pitié….

Le Songe d’enfer (vers 1224) :

Poème religieux, c’est sans doute son œuvre la plus appréciable. On y découvre un Raoul de Houdenc moraliste. Dans cette véritable satire, le narrateur utilise l’allégorie pour nous plonger dans son rêve. Il y effectue un pèlerinage dans l’au-delà vers la cité d’enfer. Il nous fit voyager tour à tour d’une terre à une autre, d’un lieu à un autre, d’une personne à une autre. Il fait d’étranges rencontres tout au long de ce pèlerinage. Il traverse la cité de la Convoitise en Desléonté, rencontre Envie qui vit avec Tricherie, Avarice…Après avoir traversé le fleuve de Gloutonie, il se retrouve à Château Bordel où il découvre Larcin et Honte…Au bout du pèlerinage un banquet en enfer dont la porte est gardée  par Meurtre, Désespoir et Mort-Subite. En ce lieu tant redouté on se nourrit de damnés (pêcheurs) : de clercs et de moines, de vieilles prêtresses, de langues de plaideurs…La nappe est en peau d’usuriers, la serviette en cuir d’une putain …

Dans cette satire l’auteur s’attaque aux vices de son temps, et à certains Parisiens auxquels il avait des reproches à faire. Elle aurait fourni à Dante la première idée de sa « Divine comédie », pour en faire l’œuvre grandiose qu’on connaît.

Extraits:

Un songe doit fables avoir

Et songe peut devenir voir.

Dont sai-je bien que il m’avint

Qu’en sonjant un songe me vint

Plesant chemin et belle voie

Treuve cil qui va enfer guerre.

Quant je sui parti de ma terre,

Por ce que li contes m’annuit,

Je m’en vins la première nuit,

A Convoitise la cité.

En terre de Desloiausté

Et la cité que je vous dis ;

Quand je vins à un mercredi

Que me heberjai chez Envie ;

Plesant ostel et bele vie…

Extrait traduit:

« Bien que les songes soient pleins de fables,

pourtant parfois un songe peut devenir vrai :

je sais bien, à ce sujet, qu’il m’arriva

qu’en songeant un songe,

j’eus l’idée de devenir pèlerin.

Je me préparai et me mis en route,

tout droit vers la cité d’Enfer.

Je marchai tant pendant le Carême et l’hiver

que j’y vins tout droit.

mais je ne vous dirai rien

de ceux que j’y ai connus,

avant de vous avoir rendu compte

de ce qui m’advint en chemin :

ceux qui vont en quête d’enfer

trouvent belle voie et plaisant chemin ;

quand je partis de ma terre,

pour ne pas allonger le conte,

je m’en vins la première nuit

à la Cité de Convoitise.

En terre de Déloyauté

se trouve la cité dont je vous parle,

j’y vins un mercredi ;

et je me logeai chez Envie ;

nous eûmes bon hôtel et belle vie ;

et sachez, sans tromperie,

que c’est la Dame de la ville.

Envie me logea bien :

à l’hôtel avec nous mangea Tricherie,

la sœur de Rapine ;

et Avarice sa cousine l’accompagna,

à ce qu’il me semble,

pour me voir ensemble.

Elle vinrent et manifestèrent grande joie

de me voir en leur pays »

Roman des Eles de Prouesse (vers 1220-30):

Poème allégorique et moralisateur aussi, il se veut une leçon de chevalerie courtoise. S’adressant aux chevaliers, il passe en revue toutes les qualités et les devoirs dont ils sont redevables, qu’ils doivent accomplir pour être parfaits. L’auteur  explique que la vertu à deux ailes : Courtoisie et Largesse. Chacune d’elles est formée de sept plumes qui représentent toutes les vertus dont il faut s’imprégner pour se comporter correctement.

Cependant on peut y voir aussi une préoccupation de l’auteur devant les idéologies de son temps, et donc cette initiative de fournir des préscriptions, des normes pour la vie en société

La Voie de Paradis :

Cette métaphore, qui semble continuer le Songe d’Enfer, serait également de Houdenc. Durant un voyage rêvé dans l’au-delà, l’auteur veut visiter cette fois le Paradis. Il demande à Notre Dame le chemin qui y mène. Ce poème indique comment l’âme peut progresser vers le salut…

Or, escoutez un autre songe

Qui croist no matere et alonge.

Je vous dirai assez briefment,

Si je puis et je sai, coment

En sonjant fui au paradis.

Je dormois en mon lit jadis

Et i me prist talent que j’iroie

En paradis la droite voie.

En sonjant me suis estméus 

Mes ne fui mie decéus…

Li Dis de Raoul de Hosdaing (Le Dit de Raoul de Houdenc)

On retrouve dans ce Dit l’avarice dont l’auteur accable souvent les bourgeois. Houdenc reproche aux seigneurs leur manque de générosité en déclin dans toute la société, et la montée en force des vices chez eux.

Froissard reçoit la visite d'un seigneur

Biographie de Jean Froissard (1337-1404 environ)

Né vers 1337 à Valenciennes (comté de Hainaut), Froissart reçoit l’éducation lettrée et non moins religieuse qui le destinait à un être clerc. Mais ses inclinaisons précoces pour la vie et ses plaisirs, sa passion pour les vers et l’écriture l’en éloignent, même s’il fait quelques détours comme prêtre, chapelain et chanoine. Poète il s’essaie à tous les genres littéraires du roman à l’œuvre courtoise, chroniqueur il s’exerce à écrire sur les guerres de son temps. Ses talents de poète lui valent de s’attirer très vite la protection des comtes de Hainaut.

Ses nombreux voyages en France, en Angleterre, en Espagne, au Pays de Galles, en Belgique, en Italie… lui permettent d’être un témoin privilégié et de  recueillir la matière pour commencer ses chroniques. Il y rencontre de grands noms comme le pape Clément VI à Avignon (1364), le roi d’Angleterre Edouard III  (1363), le roi d’Ecosse David Bruce (1363) le prince Noir à Bordeaux (1366), le roi de France Jean II en Angleterre (où il était encore captif en 1363) et bien d’autres. Il assiste au sacre de Charles V à Reims (1364), à l’entrée d’Isabeau de Bavière à Paris (1389)…

A 24 ans il se retrouve au service de la reine Philippa de Hainaut (sa protectrice) sous le roi Edouard II d’Angleterre, comme historien officiel de la cour. Il consacre tout son temps libre à l’écriture, comme chroniqueur avant tout,  jusqu’à être considéré comme l’un des plus remarquable même si les dates, les noms et la succession des événements ne sont pas édifiés comme chez les historiens modernes.

La largesse des nombreux protecteurs qui se sont succédés a permis à Froissart non seulement d’être à l’abri du besoin, mais aussi de mener une vie insouciante fréquentant  les tavernes, les fêtes, les festins, les tournois…

Œuvre de Froissart :

Jean Froissart nous laisse une œuvre assez riche et variée. Avec ses pièces lyriques, narratives empruntes de courtoisie il peint les passions, chantent son amour sans faille celui là même qui a scellé le sort de sa vie. Mais la gloire il l’atteint grâce à ses Chroniques, bien plus que son œuvre poétique même si elle est tout aussi remarquable. Il a le mérite de rapporter fidèlement la vie dans les cours du Moyen-âge et les conflits armés. Il décrit avec ravissement  le milieu aristocratique avec ses fastes et ses joutes.  Avec lui va disparaître la chanson de geste, remplacée peu à peu par la littérature historique.

L’auteur nous lègue des poèmes lyriques, un roman arthurien en vers, des dits à connotation courtoises et autobiographiques influencés par le chagrin d’amour qu’il a connu suite au mariage de sa bien-aimée.

Œuvres de Froissart:

Dits et débats :

D’inspiration courtoise, les dits sont des compositions narratives, plutôt allégoriques et autobiographiques. Ils sont débats quand entre en jeu deux ou plusieurs acteurs.

Le paradis d’amour (1361-1362):

Le poète-amant fait un songe. Il se trouve dans un jardin où règne dieu Amour au mois de mai où  tout est fleuri, beau et gai. Le voyant désespéré, Espérance, Plaisance puis Amour qui l’instruisent sur la façon de servir ce dernier. Il rencontre alors sa dame, qui lui promet désormais amabilité et douceur. Il se réveille réjoui et rassuré…

Le temple d’Honneur (1363):

Au cours d’un rêve, le poète fait la rencontre d’un chevalier dans une forêt. Un mariage, celui de Désir et Plaisance, est célébré non loin dans un temple appartenant à Honneur, le père du marié. Les deux jeunes hommes s’y rendent pour assister à la cérémonie…

Le joli mois de mai (1363):

Qui n’aime pas le mois des lilas, où tout reprend vie. Le poète est dans un jardin, au milieu d’arbres et de fleurs, il écoute non sans mélancolie le chant d’un rossignol. Il réveille en lui le souvenir de celle qu’il chérit. Il quitte le jardin en se promettant de servir l’Amour…

Le dit de la margheritte (1364):

C’est la fleur des fleurs, prisée et honorée dans la mythologie de Céphée et héro, dont l’auteur fait l’éloge. Le poète fait encore allusion à sa bien-aimée…

Le dit dou bleu chavalier  (1364) :

Un chevalier de l’ordre de la paix qui se considère prisonnier de ses missions se plaint de cette  situation. Le narrateur nous rapporte ses inquiétudes de rester loin de sa bien-aimée. Il entreprend de le persuader, pour les dissiper, d’écrire un dittier à sa dame dans lequel il lui racontera sa bravoure et lui exprimera ses sentiments impérissables. Le chevalier est ravi et soulagé de l’idée…

L’espinette amoureuse (1369):

L’auteur nous rapporte son premier amour. Il partage avec la dame qu’il rencontre la même passion pour la littérature. Mais il n’ose pas lui faire part de ses sentiments, même avec l’aide une amie de la dame. Résultat, sa bien-aimée se lie à un autre. Ne pouvant supporter cette déception douloureuse, il quitte le pays…

Le  joli buisson de jonece (1373) :

Vénus apparaît à l’auteur dans un songe. Elle lui reproche de ne pas exercer le métier auquel la Nature l’a prédestiné et duquel il s’est détourné. Elle le conduit au Joli Buisson de Jeunesse où des jeunes filles et dames se divertissent. Parmi elles la dame qu’il chérit et qui lui paraît aussi jeune et belle qu’il y a dix ans. Il tente bien de se déclarer pour  la conquérir mais Refus, d’Escondit et Dangier y sont hostiles. L’auteur se réveille sans connaître l’issue de la rencontre. Il comprend que ses préoccupations charnelles resteront vaines et implore la Vierge Marie en lui dédiant le lai Notre-Dame.

La plaidoirie de la rose et de la violette (1392-1393):

Les deux se disputent le statut de la plus belle fleur, chacune avec ses arguments. Elles décident de s’en référer au juge Imagination, en présence de leurs avocats. Le juge ne veut pas trancher, il renvoie malicieusement l’affaire en appel au Lys, la véritable reine des fleurs…

Autres dits et débats :

  • L’orloge amoureus (1368)
  • Le debat dou chevel et dou levrier (1365)
  • La prison amoureuse (1371-1373)
  • Lais amoureus et de Nostre Dame

Roman arthurien:

Méléador (1365 puis enrichi en 1380):

Commandité par Wenceslas de Branbant c’est un Roman en vers, le plus long des romans arthuriens et qui n’a rien à envier à ceux qui l’ont précédé. On y retrouve le décor familier de  la légende avec les royaumes d’Ecosse, de Logres, d’Irlande, de Cornouailles et les villes de Camelot, Tintagel ou encore Carlion. L’idéologie chevaleresque y est bien mise en scène, dans la quête du chevalier Méléador. Camel de Camois est un chevalier à qui la princesse Hermondine d’Ecosse est dévolue. Celle-ci le juge cependant indigne, et entreprend avec l’aide de quelques personnes de le discréditer afin ne pas l’épouser. Dans cette mise en scène, Meliador amoureux de la princesse, apparaît comme le plus valeureux. C’est à lui donc que revient la main d’Hermondine, au grand dam du pauvre de Camois…

Histoire:

Chroniques (de 1370 et 1400):

Froissart relatent en 4 livres les épisodes de la première moitié (1325 à 1400) de la Guerre de Cent Ans. Elles sont écrites alors qu’il est tantôt d’un côté de la manche, tantôt de l’autre et reçu par les princes et les rois (plus côté anglais) ce qui lui permet de recueillir des témoignages. Elles sont alors la source la plus importante d’informations sur les événements de l’Europe Occidentale en général, et ceux relatifs à la Guerre de Cent Ans en particulier. Grâce à ses voyages et ses rencontres, la plupart des faits, les batailles sont écrits à chaud, et avec telle précision. Chroniqueur de la chevalerie, dont il a vu la splendeur et la décadence, Froissart a avec ses Chroniques certainement beaucoup contribué à la diffusion de l’esprit chevaleresque et courtois de cette époque.

Biographie de Montaigne:

Écrivain, philosophe, moraliste et homme politique français, Michel Eyquem de Montaigne, ou Montaigne tout court, voit le jour le 28 février 1533 au château de Montagne à Sarlat (Dordogne) d’une famille fortunée de négociants bordelais. Il est néanmoins placé à dessein dans un village de pauvres pour y être élevé humblement et dans la religion catholique, qu’il respectera rigoureusement jusqu’à sa mort. Cette éducation qu’il reçoit parmi des gens démunis fera de lui un homme profondément humaniste, qui sa vie durant restera proche et respectueux des gens humbles  (se dévouera sa vie durant envers les petits. Il y reçoit néanmoins une éducation soignée et savante. Il apprend durant cette enfance le latin, alors considéré comme langue des érudits ou seconde langue de l’élite européenne. A sept  ans il est ensuite scolarisé au collège de Guyenne de Bordeaux, considéré comme comme l’un des meilleurs de France. Il y fait durant six ans de solides études, tout en s’adonnant à la lecture. Il a une une passion particulière pour les auteurs de l’antiquité (Virgile, Plaute, Ovide …). Il aurait fait des études de droit à Toulouse vers 1549, après un passage à la faculté des arts.

Né dans une époque politiquement troublée, il manifeste un grand intérêt pour la chose politique. Humaniste il condamne sans cesse toutes les guerres qu’elles soient religieuses, civiles ou de conquêtes et les cruautés qu’elles engendrent  mais admet le droit de se défendre. Néanmoins à l’appel du roi, il ne peut s’empêcher de prendre part aux guerre qui ont lieu entre 1573 et 1577.

Ses qualités font qu’il entretient de bonnes relations avec tout le monde. Ce qui fait de lui un diplomate, un grand négociateur très sollicité pour régler des conflits en raison de son honnêteté et impartialité. Des qualités qui lui permettent aussi d’occuper des postes importants :

  • Conseiller à la cour des aides de Périgueux en 1556 (âge de 23 ans)
  • Siège au Parlement de Bordeaux en 1557. C’est là qu’il fait la connaissance d’Etienne de La Boétie (célèbre notamment pour son Discours de la servitude volontaire). Une profonde et touchante amitié, jusqu’à devenir légendaire, va les lier pour toute leur vie. « Depuis le jour que je le perdis, je ne fais que traîner languissant » écrit-il accablé après sa mort.
  • Il est nommé gentilhomme de la chambre du roi Henri III en 1571, puis Maire de Bordeaux de 1581 à 1585.

 Quelques actions menées comme négociateur :

  • Il conduit des négociations entre Henri de Guise et Henri de Navarre (futur roi Henri IV) en 1572.
  • En 1574  il réussit à mettre fin à la rivalité entre les chefs de l’armée du Périgord.
  • Il s’implique de nouveau comme médiateur entre Henri de Navarre et le maréchal de Matignon (représentant d’Henri III) en 1583.
  • Il accomplit une mission entre le roi de France et le roi de Navarre en 1588.

On comprend dès lors pourquoi Montaigne ne commence à écrire qu’à partir de 1572. Il est en effet âgé de 39 ans quand il commence la rédaction de son unique mais non moins immense œuvre que sont ses Essais. Un travail qui durera vingt ans, c’est-à-dire jusqu’à sa mort, et qui lui vaudra d’être considéré comme l’un des initiateurs de la pensée moderne et le fondateur de l’introspection.

Montaigne meurt à l’âge de 59 ans lors d’une messe. Il repose dans l’église des Feuillants à Bordeaux où il a passé l’essentiel de sa vie.

Œuvre de Montaigne:

L’œuvre de Montaigne est avant tout profondément humaniste en ce sens que l’Homme et la condition humaine sont le centre de ses préoccupations. Il tente de cerner la nature humaine au travers de ses Essais. Il fait l’apologie de l’homme ordinaire et non exceptionnel, sa grandeur mais aussi sa misère dont il a observé la réalité au quotidien. Tous les aspects de la vie tels que maladie et médecine, livres, les chevaux, les histoires domestiques sont abordés pêle-mêle. L’œuvre est aussi une belle leçon de tolérance, contribuant ainsi en pleine renaissance à initier une nouvelle forme de pensée.

Dans sa quête de connaissance de l’Homme et de Soi, les problèmes moraux et psychologiques occupent de plus en plus une place prépondérante dans ses Essais. L’aboutissement est l’analyse de soi jusqu’à écrire dans son Avis au lecteur (1580) « c’est moi que je peins ». Dès lors il ne fera que se peindre (l’introspection et jugement personnel) jusqu’à sa mort. Ce qui nous permet de découvrir par exemple qu’il est petit, d’une intelligence émoussée et lente, piètre musicien.

Montaigne évoque aussi la mort, la nature, les voyages, l’éducation et défend l’empereur Julien (contre l’église) et ignore complètement le Christ et s’élève contre le protestantisme dans ses écrits.

Les œuvres de Montaigne:

Admiratrice fascinée puis devenue « fille d’alliance » (à la demande de l’auteur) dès l’âge de 22 ans, Marie de Gournay (1565 – 1645) a continué après la mort de Montaigne à assurer la pérennité des Essais. Elle y a consacré sa fortune et sa vie, pour permettre à la grandiose œuvre d’être rééditée au moins onze fois posthume.

Apologie de Raymond Sebond (1580):

Entre 1550 et 1600, la philosophie de  l’Antique influence considérablement la production intellectuelle et littéraire en France. Ce succès de la pensée antique est en partie du à la traduction en français des écrits de Plutarque, Platon, Sénèque, Cicéron … A demande de son père Montaigne traduit La Théologie naturelle du catalan Ramon Sibiuda,  un ouvrage qui s’appuie sur l’expérience des créatures et la nature même de l’homme pour prouver la vérité sur la religion chrétienne argumentée. Cette traduction l’a inspiré pour écrire Apologie de Raymond Sebond.

Le but de cette apologie est de répondre aux détracteurs de l’Espagnol. Il défend  ses points de vue exposés dans son ouvrage, où l’homme est considéré comme le souverain de la création. Montaigne fait part de ses idées sur la question du discours rationnel sur Dieu. Pour lui la raison humaine est insuffisante, en plus d’être souvent trompé par ses sens, pour que l’homme puisse être rationnel. Il s’attaque donc à ces discours où les qualités de  l’homme sont attribuées à Dieu (bonté, puissance, justice…), et qui prétendent cerner Dieu alors que c’est au dessus des capacités de  l’être humain. Au travers d’un questionnement sur la nature de l’homme, il jette un discrédit sur toutes les représentations que l’homme s’est faite de Dieu et de la divinité. On ne peut juger des qualités de Dieu dans la mesure où la plus louable des  perfections reste une idée humaine exprimée selon des vocables et des concepts humains. C’est prétentieux de la part de l’homme de porter un jugement sur les qualités de Dieu, un non humain.

Montaigne s’appuie sur un tas d’exemple pour nous convaincre de la supériorité morale de l’animal, et de l’insuffisance de la raison humaine jusqu’à traiter l’homme de  la plus fragile et calamiteuse des créatures. 

« …Pourquoy disons nous, que c’est à l’homme de discerner les choses utiles à son vivre, et au secours de ses maladies, de celles qui ne le sont pas… ? … la tortue quand elle a mangé de la vipere, chercher incontinent de l’origanum pour se purger…Quand je me jouë à ma chatte, qui sçait, si elle passe son temps de moy plus que je ne fay d’elle ?… quand nous voyons les chevres de Candie, si elles ont receu un coup de traict, aller entre un million d’herbes choisir le dictame pour leur guerison…Hyrcanus le chien du Roy Lysimachus, son maistre mort, demeura obstiné sus son lict, sans vouloir boire ne manger; et le jour qu’on en brusla le corps, il print sa course, et se jetta dans le feu, où il fut bruslé… »

Journal de voyage en Italie (1580-1581) :

Après s’être retiré de la vie publique, Montaigne entreprend le 22 juin 1580 un voyage en Italie via la Suisse et l’Allemagne qui durera Un peu plus de dix-sept mois. Les péripéties de cette « escapade » sont rapportées dans ce journal composée de trois parties. La première est rédigée par son secrétaire qui l’accompagne. Celui-ci suit l’auteur-voyageur un gentilhomme qui veut passer inaperçu et note tous ses faits, ses gestes, ses humeurs… comme le ferait un observateur extérieur. Il nous rapporte tout ce que dit ou pense, ressent et voit son « maître » sans porter aucun jugement. Il découvre un homme qui se plaît à se mêler au peuple, et trouver plaisir à rencontrer des gens et bavarder avec tous sans distinction aucune quelque soit le rang social. On découvre un homme ouvert à tout.

La suite c’est Montaigne lui-même qui l’écrit. Après avoir donné congé à son secrétaire, il est tellement surpris par « cette belle besogne » il ne peut laisser le journal entamé sans suite. Il commence par lui rendre hommage pour ce travail précis et conséquent.

On ne soupçonnait pas l’existence de ce journal jusqu’en 1770 lorsqu’il a été retrouvé dans une malle dans le logis de Montaigne. Il a de nouveau disparu avant qu’il ne réapparaisse de nouveau retrouvé par l’abbé Prunis dans un château alors qu’il faisait des recherche sur l’histoire du Périgord. Il a alors été recopié et édité en 1774.

Pendant ce voyage, Montaigne apprend par une missive qu’il a été élu maire de Bordeaux  le 7 septembre 1881. Il ne décidera de rentrer qu’après un rappel le priant avec instance le 1 octobre.

 Les Essais  (1572 à sa mort):

 Les Essais sont une grandiose œuvre inachevée de la vie d’un homme de cinquante ans qui a vécu pour se former, pour nous peindre la condition humaine après s’être livré à une analyse de lui-même. Il conclut par sa célèbre devise : « Que sait-je ? » qu’il a gravée sur un médaillon, et qui nous renseigne sur  le scepticisme qui l’a gagné. Il fait par la même du doute intellectuel une condition pour avancer et continuer à apprendre. Les Essais, composés de cent sept chapitrescontrastés, très variés et répartis sur trois livres, sont certainement la plus humaine des œuvres. Le but est toujours la connaissance de soi-même et de l’homme en proposant des réflexions sur divers sujets. Même s’il prend position, il ne prétend jamais détenir la vérité.

Au lecteur

Soucieux de donner  la vraie image de lui, Montaigne interpelle ses lecteurs notamment  ses proches. Il se décrit afin qu’il soit mieux connu et compris. Il le fait tellement sans artifices et avec sincérité, qu’il se dénude presque. Modeste il met l’accent plus sur ses défauts que ses qualités, et s’il lui arrive de mentir ce n’est point délibérément. Pour cela il oppose son moi profond (ce qu’il est réellement), au moi social c’est-à-dire le regard des autres sur lui. C’est en sorte une biographie, sans omettre de poser les problèmes que  pose ce genre d’exercice : sincérité, objectivité…et intérêt du public pour la vie privée d’un individu. En déclarant « C’est moi que je peins » et « Je suis moi-même la matière de mon livre », Montaigne semble vouloir préparer le lecteur à faire un accueil sans préjugés aucun de ses Essais « Je veux qu’on m’y voie dans ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans recherche ni artifice ».

Extrait:

C’est icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t’advertit dés l’entree, que je ne m’y suis proposé aucune fin, que domestique et privee : je n’y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire : mes forces ne sont pas capables d’un tel dessein. Je l’ay voüé à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m’ayans perdu (ce qu’ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu’ils ont eu de moy. Si c’eust esté pour rechercher la faveur du monde, je me fusse paré de beautez empruntees. Je veux qu’on m’y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice : car c’est moy que je peins. Mes defauts s’y liront au vif, mes imperfections et ma forme naïfve, autant que la reverence publique me l’a permis. Que si j’eusse esté parmy ces nations qu’on dit vivre encore souz la douce liberté des premieres loix de nature, je t’asseure que je m’y fusse tres-volontiers peint tout entier, Et tout nud. Ainsi, Lecteur, je suis moy-mesme la matiere de mon livre : ce n’est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq.

L’oisiveté (chapitre VIII):

Montaigne nous fait part de l’origine de la naissance des Essais. A 38 ans il décide de prendre sa retraite en tant que conseiller au Parlement de Bordeaux. Il veut se consacrer désormais au recueillement, à la lecture, à la réflexion, à un repos studieux  dans la sérénité mais pas pour écrire. Il pense que ce n’est que dans la solitude et la contemplation loin de la vie publique que l’homme est vraiment lui-même. La solitude et l’oisiveté finissent par avoir raison de lui. Au lieu de la paix de  l’esprit, de la sagesse, et de la sérénité, l’angoisse le gagne jusqu’aux cauchemars, hallucinations et aux tourments qui le font passer tout près de la folie. Malgré lui il se retrouve à tout noter et cela lui fait du bien. Ecrire est devenu un remède pour se libérer de tous ces monstres et illusions qui se sont accaparés son imagination. Montaigne doit donc ses Essais à l’oisiveté puisque c’est elle qui l’a poussé à l’écriture après qu’il soit arrivé à la conclusion que comme tout, l’esprit doit être contraint pour ne pas s’égarer.

Extraits:

Comme nous voyons des terres oysives, si elles sont grasses et fertilles, foisonner en cent mille sortes d’herbes sauvages et inutiles, et que pour les tenir en office, il les faut assubjectir et employer à certaines semences, pour nostre service. Et comme nous voyons, que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pieces de chair informes, mais que pour faire une generation bonne et naturelle, il les faut embesongner d’une autre semence : ainsin est-il des esprits, si on ne les occupe à certain subject, qui les bride et contraigne, ils se jettent desreiglez, par-cy par là, dans le vague champ des imaginations, Et n’est folie ny réverie2, qu’ils ne produisent en cette agitation, L’ame qui n’a point de but estably, elle se perd : Car comme on dit, c’est n’estre en aucun lieu, que d’estre par tout…

…L’ame qui n’a point de but estably, elle se perd : Car comme on dit, c’est n’estre en aucun lieu, que d’estre par tout…

Dernierement que je me retiray chez moy, deliberé autant que je pourroy, ne me mesler d’autre chose, que de passer en repos, et à part, ce peu qui me reste de vie : il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur à mon esprit, que de le laisser en pleine oysiveté, s’entretenir soy-mesmes, et s’arrester et rasseoir en soy : Ce que j’esperois qu’il peust meshuy faire plus aysément, devenu avec le temps, plus poisant, et plus meur…

Des Menteurs (chapitre IX)

Tout en contestant que l’intelligence soit liée à la mémoire, il confesse que cette dernière est déficiente chez lui. Il affirme par contre que mémoire et mensonge sont associés. Si elle est défaillante chez un menteur il sera démasqué. On voit bien que Montaigne fait appel à sa propre expérience dans ce texte où il consacre une partie du texte  à la mémoire dont il souffre lui-même, et l’autre au mensonge.

Montaigne a tellement horreur du mensonge qu’il le considère comme le vice le plus préjudiciable à la société jusqu’à préconiser le bûcher pour les menteurs. Pour lui le mensonge développe la servitude au sein de la société. Pour lui par exemple, les courtisans ne disent pas la vérité car ils sont guidés par le seul intérêt personnel. C’est pourquoi leur ascension sociale dans la cour du Roi est tellement fulgurante qu’elle surprend tout le monde, déclenchant même des réactions hostiles.

Extraits:

Outre l’inconvenient naturel que j’en souffre (car certes, veu sa necessité, Platon a raison de la nommer une grande et puissante deesse) si en mon pays on veut dire qu’un homme n’a point de sens, ils disent, qu’il n’a point de memoire : et quand je me plains du defaut de la mienne : ils me reprennent et mescroient, comme si je m’accusois d’estre insensé : Ils ne voyent pas de chois entre memoire et entendement. C’est bien empirer mon marché : Mais ils me font tort : car il se voit par experience plustost au rebours, que les memoires excellentes se joignent volontiers aux jugemens debiles. Ils me font tort aussi en cecy, qui ne sçay rien si bien faire qu’estre amy, que les mesmes paroles qui accusent ma maladie, representent l’ingratitude. On se prend de mon affection à ma memoire, et d’un defaut naturel, on en fait un defaut de conscience. Il a oublié, dict-on, cette priere ou cette promesse : il ne se souvient point de ses amys : il ne s’est point souvenu de dire, ou faire, ou taire cela, pour l’amour de moy. Certes je puis aysément oublier : mais de mettre à nonchalloir la charge que mon amy m’a donnee, je ne le fay pas. Qu’on se contente de ma misere, sans en faire une espece de malice : et de la malice autant ennemye de mon humeur…

Ce n’est pas sans raison qu’on dit, que qui ne se sent point assez ferme de memoire, ne se doit pas mesler d’estre menteur. Je sçay bien que les grammairiens font difference, entre dire mensonge, et mentir : et disent que dire mensonge, c’est dire chose fausse, mais qu’on a pris pour vraye, et que la definition du mot de mentir en Latin, d’où nostre François est party, porte autant comme aller contre sa conscience : et que par consequent cela ne touche que ceux qui disent contre ce qu’ils sçavent, desquels je parle. Or ceux icy, ou ils inventent marc et tout, ou ils déguisent et alterent un fons veritable. Lors qu’ils déguisent et changent, à les remettre souvent en ce mesme conte, il est mal-aisé qu’ils ne se desferrent : par ce que la chose, comme elle est, s’estant logée la premiere dans la memoire, et s’y estant empreincte, par la voye de la connoissance et de la science, il est mal-aisé qu’elle ne se represente à l’imagination, délogeant la fausceté, qui n’y peut avoir le pied si ferme, ny si rassis : et que les circonstances du premier aprentissage, se coulant à tous coups dans l’esprit, ne facent perdre le souvenir des pieces raportées faulses ou abastardies

En verité le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole. Si nous en connoissions l’horreur et le poids, nous le poursuivrions à feu, plus justement que d’autres crimes. Je trouve qu’on s’amuse ordinairement à chastier aux enfans des erreurs innocentes, tres mal à propos, et qu’on les tourmente pour des actions temeraires, qui n’ont ny impression ny suitte. La menterie seule, et un peu au dessous, l’opiniastreté, me semblent estre celles desquelles on devroit à toute instance combattre la naissance et le progrez, elles croissent quand et eux : et depuis qu’on a donné ce faux train à la langue, c’est merveille combien il est impossible de l’en retirer. Par où il advient, que nous voyons des honnestes hommes d’ailleurs, y estre subjects et asservis. J’ay un bon garçon de tailleur, à qui je n’ouy jamais dire une verité, non pas quand elle s’offre pour luy servir utilement

De l’amitié (Livre I chapitre 28)

Tout en rendant hommage à son ami Étienne de la Boetie (conseiller au parlement de Bordeaux, négociateur et auteur du célèbre Discourt de la servitude volontaire), Montaigne en profite pour nous faire part de sa conception de l’amitié. Si elle est fraternelle ce qui la distingue donc de l’amour, elle ne peut être stable et sincère que si elle est agréablement partagée. Ce lien tisse grâce à des idées et des vues communes créant une certaine communion.

L’amitié entre ces deux hommes reste légendaire. Preuve de sa grandeur la mort de cet ami l’a profondément bouleversé, au point de ne jamais s’en remettre.

… ce que nous appelons ordinairement amis et amitiés, ce ne sont qu’accointances et familiarités nouées par quelque occasion ou commodité, par le moyen de laquelle nos âmes s’entretiennent. En l’amitié de quoi je parle, elles se mêlent et confondent l’une en l’autre, d’un mélange si universel, qu’elles effacent, et ne retrouvent plus la couture qui les a jointes. Si on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer, qu’en répondant : Parce que c’était lui, parce que c’était moi… 

Il y a au-delà de tout mon discours, et de ce que j’en puis dire particulièrement, je ne sais quelle force inexplicable et fatale, médiatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous être vus, et par des rapports que nous oyions l’un de l’autre : qui faisaient en notre affection plus d’effort, que ne porte la raison des rapports [plus d’effet que l’ouï-dire habituel] : je crois par quelque ordonnance du ciel. Nous nous embrassions par nos noms. Et à notre première rencontre, qui fut par hasard en une grande fête et compagnie de ville, nous nous trouvâmes si pris, si connus, si obligés entre nous, que rien dès lors ne nous fut si proche, que l’un à l’autre. 

…Car, à la vérité, si je compare tout le reste de ma vue, quoi qu’avec la grâce de Dieu je l’aie passée douce, aisée et, sauf la perte d’un tel ami, exempte d’affliction pesante, pleine de tranquillité d’esprit, ayant pris en paiement mes commodités naturelles et originelles sans en rechercher d’autres ; si je la compare, dis-je, toute aux quatre années qu’il m’a été donné de jouir de la douce compagnie et société de ce personnage, ce n’est que fumée, ce n’est qu’une nuit obscure et ennuyeuse. Depuis le jour que je le perdis, “Jour, qui sera toujours cruel pour moi et toujours honoré (telle a été votre volonté, à Dieux !). ”

je ne fais que traîner languissant ; et les plaisirs même qui s’offrent à moi, au lieu de me consoler, me redoublent le regret de sa perte. Nous étions à moitié de tout ; il me semble que je lui dérobe sa part, “ J’ai décidé qu’il ne m’était plus permis de jouir d’aucun plaisir, maintenant que je n’ai plus celui qui partageait ma vie. ”

J’étais déjà si fait et accoutumé à être deuxième partout, qu’il me semble n’être plus qu’à demi…

  Si un destin prématuré m’a enlevé cette moitié de mon âme, à quoi bon m’attarder, moi l’autre moitié, qui n’ai plus une valeur égale et qui ne survis pas tout entier ? Ce jour a conduit à sa perte l’une et l’autre…

De l’institution des enfants (Livre I, chapitre XVI)

Montaigne consacre tout un chapitre à une réflexion sur l’éducation, et ouvre des parenthèses dans d’autres (Du Pédantisme, De l’affection des pères aux enfants, Des livres, De l’Art de conférer ) pour livrer d’autres opinions sur le sujet. On découvre que ce qu’il a écrit a influencé les pédagogues contemporains, qui ont exploité les premières pousses de la pédagogie moderne de l’auteur. Fidèle à lui-même, il s’inspire de l’éducation qu’il a reçue et des expériences qu’il en a tiré pour traiter de la question. On sait qu’il lui reproche, même si elle a été par ailleurs très riche, sa lenteur d’esprit et d’avoir  un penchant pour l’oisiveté.

Pour Montaigne, l’enfant n’a pas besoin d’une tête bien pleine. Tout en reconnaissant que c’est une tâche bien ardue, il faut travailler à ce que cette tête soit bien faite (« la tête bien faite plutôt que bien pleine »). Il ne reconnaît pas de normes universelles, et préconise par conséquent un développement naturel de l’enfant sans que quiconque ne lui imposer ses valeurs. Amener les enfants à être eux-mêmes, tout en lui donnant le désir et le besoin de s’approprier les connaissances. En somme tout ce qui est nécessaire pour qu’ils puissent faire étant hommes un jour. Il renvoie l’éducation domestique et celle des écoles dos à dos. Il accuse la première d’être  trop douillette et la seconde  trop ferme et autoritaire.

On est surpris par contre de découvrir que Montaigne ne tient pas en grande estime l’esprit des femmes, jusqu’à ne pas reconnaître la nécessite de  les instruire.

Extraits: 

On ne cesse de criailler à nos oreilles, comme qui verserait dans un entonnoir, et notre charge ce n’est que redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais qu’il corrigeât cette partie, et que, de belle arrivée, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la montre, lui faisant goûter les choses, les choisir et discerner d’elle même; quelquefois lui ouvrant chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple, parler à son tour. Socrate et depuis Arcesilas faisaient premièrement parler leurs disciples, et puis ils parlaient à eux, « L’autorité de ceux qui enseignent nuit la plupart du temps à ceux qui veulent apprendre.  »

…Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage sa mémoire, mais de sa vie. Que ce qu’il viendra d’apprendre, il le lui fasse mettre en cent visages et accommoder à autant de divers sujets, pour voir s’il l’a encore bien pris et bien fait sien, prenant l’instruction de son progrès des pédagogismes de Platon. C’est témoignage de crudité et indigestion que de regorger la viande comme on l’a avalée. L’estomac n’a pas fait son opération, s’il n’a fait changer la façon et la forme à ce qu’on lui avait donné à cuire. Notre âme ne branle qu’à crédit, liée et contrainte à l’appétit des fantaisies d’autrui, serve et captivée sous l’autorité de leur leçon. On nous a tant assujettis aux cordes que nous n’avons plus de franches allures. Notre vigueur et liberté est éteinte.  » Ils ne sont jamais sous leur propre autorité.  »

…C’est, disait Epicharme, l’entendement qui voit qui ouït, c’est l’entendement qui approfite tout, dispose tout, qui agit, qui domine et qui règne : autres choses sont aveugles, sourdes et sans âme.
nous le rendons servile et couard, pour ne lui laisser liberté de rien faire de soi. Qui demanda jamais à disciple ce qu’il lui semble de la Rhétorique et de Grammaire de telle ou telle sentence de Cicéron ? nous les plaque en la mémoire tout empennées, des oracles où les lettres et les syllabes sont de la substance de la chose. Savoir par cœur n’est pas savoir : c’est tenir ce qu’on a donné en garde à sa mémoire. Ce qu’on sait droitement, on en dispose, sans regarder au patron, sans tourner les yeux vers son livre. Fâcheuse suffisance, qu’une suffisance pure livresque ! Je m’attends qu’elle serve d’ornement, non de fondement, suivant l’avis de Platon, qui dit la fermeté, la foi, la sincérité être la vraie philosophie, les autres sciences et qui visent ailleurs, n’être que fard.
Je voudrais que le Paluël ou Pompée, ces beaux danseurs de mon temps, apprissent des cabrioles à les voir seulement faire, sans nous bouger de nos places, comme ceux-ci veulent instruire notre entendement, sans l’ébranler et mettre en besogne, ou qu’on nous apprît à manier un cheval, ou une pique, ou un luth, ou la voix, sans nous y exercer, comme ceux-ci nous veulent apprendre à bien juger et à bien parler, sans nous exercer ni à parler, ni à juger. Or, à cet apprentissage, tout ce qui se présente à nos yeux sert de livre suffisant : la malice d’un page, la sottise d’un valet, un propos de table, ce sont autant de nouvelles matières…

PS: à suivre

Citations célèbres de Montaigne:

  • « Sur le plus beau trône du monde, on est jamais assis que sur son cul »
  • « Je ne partage point cette erreur commune de juger d’un autre d’après ce que je suis »
  • Il faut « passer » le mauvais en courant et s’arrêter au bon »
  • « Mon opinion est qu’il faut se prêter à autrui et ne se donner qu’à soi-même»
  • « Quand on me contrarie, on éveille mon attention, non ma colère »
  • « Je m’avance vers celui qui me contredit »
  • « La mort est bien le bout, non pourtant le but de la vie »
  • « J’aime mieux forger mon âme que la meubler »
  • « Mieux vaut tête bien faite que tête bien pleine »
  • « La cherté donne goût à la viande »

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L'épopée Charlemagne racontée par d'Amiens

GIRART D’AMIENS (fin XIIIème-début XIV) auteur affirmé

Biographie:

Comme pour la plupart des poètes et trouvères du Moyen-âge, le peu qu’on sait de Girart d’Amiens apparaît dans ses textes. Il se nomme dans ses œuvres tour à tour Gerardin, Gerart, Girardin d’Amiens et enfin Girart d’Amiens dans L’Histoire de Charlemagne. Il serait né entre 1250 et 1260 certainement à Amiens, comme son nom l’indique. Il aurait séjournée aussi quelques temps à Cambrai avant de fréquenter  beaucoup les cours européennes, protégé par les grands de son temps. Il est dans celle du roi d’Angleterre Edouard 1er vers 1280, puis celle du roi de France Philippe IV.  Ayant acquis le statut d’auteur  affirmé il se met aussi au service de Charles le Valois, démesurément ambitieux et cupide, candidat à l’Empire.  

Œuvre :

Il est considéré comme l’un des écrivains les plus prolifiques (presque 70 000 vers en rime) de son temps.

Escanor (1280) :

Roman arthurien de plus de près de 25 000 vers dans lequel on retrouve des personnages de vieux contes celtiques que Chrétien de Troie avait popularisés. Il est écrit à la demande d’Aliénor de Castille, reine d’Angleterre sous le règne d’Edouard Ier. Le récit est d’actualité puisqu’il fait allusion aux tensions existantes entre Edouard Ier et le prince de Galles Llywelyn ap Gruffydd. Dans ce texte l’auteur met en scène des acteurs étrangers à la tradition arthurienne. Le roi est cependant symbolisé par le légendaire Arthur, alors qu’Escanor est le prince de Galles. En plus d’être fortuné, bon mari et redoutable combattant, on reconnaît à ce dernier des qualités indéniables qui le font aduler par son peuple. Deux histoires singulières y sont relatées : une relation amoureuse d’un côté, et un conflit guerrier mené par Gauvain pour Arthur contre Escanor.

Sur fond d’une  relation amoureuse entre le sénéchal Keu (frère nourricier d’Arthur selon la légende) et Andrevette (fille du roi Cador de Northumbrie), il narre le conflit Arthur-Escanor. Gaubain le neveu d’Arthur mène la campagne militaire contre ce rebelle Gallois, qui ne veut pas s’aligner à l’Angleterre. Le mariage de  Keu (de la cours arthurienne) et d’Andrevette (sœur d’Escanor) malgré les machinations de l’oncle de la fille, permet un rapprochement. Le domaine  rebelle est alors annexé à celui du roi.

Extraits:

Mais s’il veïst que par droiture
Pourchacier venjance en peüst,
De rienz si grant joie n’eüst…  

Tant fu orgellox le vassal
Qu’ainques ne retint son ceval
Tant que il vint devant le roi,
Et se vint par itel desroi
Que son frain hurta a le table…

Une fenme ot malicieuse,
Cil rois, selonc c’on percevoit,
Et cele roïne savoit
Tot le pooir d’enchantement
Et tant qu’il n’estoit nulement
Adonques si male sorchiere
Ne qui honor eüst mains chiere…

…une douce jovencele,
Une petite damoisele
Que l’on clamoit Alïenor…

…« Est ce Gavain
Qui ci me suit si derreés ?
Puis, apprenant que ce n’est pas le cas :
Ore, fait cil, a mal eür,
Que vous ne demandoie mie »…

Quant sot que traveillier devoit,
Une cousine qu’ele avoit,
Qui adez ot usé d’enfance
D’astrenomie et nigremance,
Fist regarder en l’air adonques.
Et sachiez, li airs en fu onques
Si biauz qu’il estoit par parance,
Si que cele vit la naissance
De Gavain tot premierement
Et li sambla tot vraiement
Qu’il devoit fiers et puissanz estre…

Mais l’orgueil Escanor plaissa
Dont il fu si mors et honis
Qu’il s’en tint a avilonis
Si durement en son corage
Qu’il s’en dona si grande rage
Et tel anuit et tel ahan
Qu’il en jut au lit plus d’un an…

« Il couvient que je le mete mort
Ou il me tramete a la mort,
Autrement ne puet mais remaindre.
Autrement ne porroit estaindre
L’orgueuz granz et la sourquidance
Qui nouz met en tel malvoeillance »…

Ne por autre chose n’aloit
Voeillent mal monseingor Gavain,
Fors pour ce que la fee[Esclarmonde, son amie] un main
Li dist qu’ele avoit oï dire
C’on ne savoit el monde ellire
Nul chevalier pluz couvenable
Ne pluz cortois ne mix metable
Que mesire Gavainz estoit,
Selonc ce que l’on en contoit
Et qu’en couroit le renomee,
Et qu’estre devoit bien blasmee
Toute dame qu’il deingneroit
Amer c’aussi ne l’ameroit,
Car nuz n’avoit vers lui vaillance…

« Gavain, tu az mauvaisement
Erré, ce ne pués tu desdire,
De mon cosin germain ocirre,
Car tu l’as mort en traïson »…

« Mes sire Gauvains ki au roi
Artu est niés, assés miex vaut
N’a grignor biauté pas ne faut
Ke la vostre, ains le passe assés ;
Et por ce ke il a passés
Tous cels que je onques connui
[…] N’ert ja par moi autres amés »…

Méliacin ou le Cheval de fust (entre 1285 et 1288)

Les quelques 20 000 vers du récit sont écrit dans la cour du roi de France Philippe IV soit à sa demande, soit à celle de Gaucher de Châtillon, mais certainement d’après une idée de Blanche (fille de Saint Louis). Néanmoins plusieurs autres personnes sont destinataires de la dédicace dont Jeanne de Navarre reine de France, Béatrice de Bourbon, Blanche d’Artois reine de Navarre… Il s’inspire de la célèbre légende orientale du cheval magique d’un des récits des Mille et Une Nuits, pour écrire ce roman d’amour et d‘aventure.

Clamzart est un redoutable sorcier. Il retient en otage Celinde l’amante de Meliacin, fils du roi Nubien de la Grande Erménie. Celui-ci reçoit de lui un cheval en ébène qui peut voler, en contrepartie de quoi il demande la main de Gloriande la fille du souverain. Meliacin le frère de la fille s’y oppose fermement, bien que sa bien-aimée soit entre ses mains. Le cheval en bois est doté du pouvoir de voler. Le frère profite de ses performances exceptionnelles, pour libérer son amante retenue dans un harem. Le lecteur est conduit de l’Espagne à la Perse en passant par l’Italie, pour vivre une intrigue riche en rebondissements. Un exploit qui permet ainsi de sauver sa sœur de ce mariage.

Extraits:

Pour ce j’ai

 mon tans usé

en mon sens

en folie usé …

qui de bon queur l’escouteront

et qui escrire le feront

et bien l’escrivain paier ont.

« Explicit li Contes du cheval de fust.»… 

Mais or vous voeil dire com

Li philosophes, qui s’entente

Metoit mout es les choses soutilles,

I ot mises . IIII. Chevilles

Que par nigreamance avoit faites

Et si soutivement entraites

Que, se ne fust par aventure,

Nus hom n’i conneüst jointure.

(Je veux à présent vous dire comment les savants,

qui mettent leur réflexion au service

des choses subtiles,

 y avaient placé trois chevilles

qu’ils avaient conçues par magie et si

habilement fichées que personne n’aurait pu,

si ce n’est par le plus grand des hasards, y

voir de jointure…)

Charlemagne (1301 à 13003) ou L’Istoire le roy Charlemaine

C’est une chanson de geste composée de plus de 23 000 vers inspirée des Grandes Chroniques de France. L’auteur se met dans la peau d’un romancier-historien pour raconter la vie de l’empereur. Il est le seul auteur à rapporter l’histoire de Charlemagne dans sa totalité. Composée de trois livres, l’œuvre est écrite à la demande de Charles de Valois, frère du roi de France Philippe IV le Bel. Et c’est pour servir des dessins inavoués, pour le comte de Valois  qui brigue l’Empire.  

Le premier livre fait le récit de son enfance, et de sa lutte avec ses deux frères notamment pour  la succession. Ces épreuves vont forger Charles, prémisse d’un héros en devenir. 

Les guerres que Charlemagne a menées et les exploits de Roland, Oghier le Danois et Naime de Bavière, ainsi que le voyage en Orient sont l’objet du second. Le caractère et le contenu historique de cette partie sont indéniables. Les guerres de Saxe, les campagnes de Lombardie et d’Espagne  et le projet de croisade en Terre sainte sont évoqués.

Dans le troisième livre il nous emmène en Espagne. La croisade espagnole et les guerres qui s’y déroulent sont bien rapportées par l’auteur. Les moments forts de ce récit sont certainement la bataille de Roncevaux, la mort de Roland et de l’empereur qui a réussi à venger celle de son neveu. Pour l’auteur Charlemagne se retrouve à Aix-la-Chapelle, emporté par des anges. 

Extraits : 

L’endemain, vers Gascoingne ont leur voie tenue,
et ont tant chevauchié par la montaingne herbue
qu’en une grant forest s’est li ost embatue,
en un pas moult divers et d’entree et d’issue.
Mes grant gent de Gascoigne, qui la voie ont seüe
avoient des François, s’iert adonc pourveüe
des Gascoins et de gens qu’el pas fu racondue :
et furent embuschié en la forest plus drue,
et en si divers pas et mise et descendue
qu’ainz ceste oeuvre ne fu de François conneüe
devant que mescheance leur fu desus corue…
 

Et a ce que lor gent iert auques d’armes nue,
en fu tant a ce point occise et confondue
c’onques Kallons n’ot mes tel perte receüe,
car du commun de l’ost de la gent mieus creüe
em prouece, et en bien de valeur soustenue,
i perdu bien .M. hommes, dont l’ost fu coie et mue,
et li rois plus que nus quant l’en amenteüe
li a ce vilain fait, dont d’angoisse tressue.
Lors retorna au pas, mes voie fu perdue,
car aus Gascoins ne pot faire desconvenue,
ainz se fust ja la gent par mainz lieus espandue,
el bois et el destrois aussi haus comme nue,
de quoi la gent de France devint tout esperdue,
quant la gent de Gascoingne ne fu aconsseüe…
 

Quant Kallemaine voit comment la chose aloit
de ses hommes que mors par mi le champ veoit,
tel duel en ot au cuer a poi qu’il n’enrragoit.
Mes ne dist a ses hommes lors tot quan qu’il pensoit,
fors tant qu’il dist, s’il peut, ses amis vengeroit…
 

 et de cel Bauduin ont mençoigne contee
plusor, qui vont disant, ainsi qu’il lor agree,
qu’il fu filz Guenelun, mes c’est borde provee,
car icil Bauduins, qui tant ot renommee
de prouece et d’onor que Diex li ot prestee,
vint de Mile d’Aiglent puis qu’il ot recovree
sa terre que li serf li avoient ostee
et qu’il fu revenus hors de prison fermee
si comme l’uevre en est ci devant recordee…
 

 Mais ses filz fu uns homs plains de chevalerie,
par quoi Sessonne mist toute en sa seignorie,
et prist bele moillier et noble et seignorie
qu’au frere Rollant fu, Baudouÿn, puis amie,
tout ainssi com on dist, quar ceste estoire mie
en cronique ne truis, ne mainte chevauchie
que Kallemaine fist ; mais ainz seront fallie
et enque et panne et main et trestoute estudie
c’on seüst touz ses fais, non pas bien la moitie…
 

Bibliographie :

  • Paris G, Girart d’AmiensHistoire littéraire de la France (1893)
  • Antoinette Saly, Girart d’Amiens romancier (1958)
  • Alain Corbellari, Le Charlemagne de Girart d’Amiens et la tradition épique française (1959)
  • Braullt  G. J., A Study of the Works of Girart d’Amiens, (1958)  
  • Braullt  G. J « Les manuscrits des œuvres de Girart d’Amiens » (1959)
  • Antoinette Saly, Girart d’Amiens romancier (2007)
  • Daniel Métraux, Le Charlemagne de Girart d’Amiens (2007)
Léo Ferré chante 'Pauvre Rutebeuf"

Biographie de Rutebeuf ( vers 1230-1285) :

Né en Champagne en 1230 et clerc de formation, Ruteboeuf (ou Rutebeuf, Rustebeuf) est certainement le poète le plus illustre et le plus engagé du XIIIe siècle. Il s’installe à Paris dès l’âge adulte, sous la protection du comte de Poitiers, ce qui fait de lui le premier poète de la ville. Faire des rimes est sa seule occupation professionnelle, et ne cache pas qu’il ne sait faire que ça. Sensible aux événements de son temps sous le règne de Louis IX puis Philippe III, il s’incruste et clame fort ses positions. Laïque il s’engage avec vigueur au côté de Guillaume de Saint-Amour, avant-gardiste dans la lutte contre les franciscains (ordres mendiants) qui veulent prendre le contrôle de l’université de Paris. Il utilise l’écriture comme arme principale, et y consacre quelques uns de ses écrits. Il intervient également en faveur des croisades, comme l’attestent son œuvre.

Poète maudit à l’image d’un François Villon ou d’un Rimbaud plus tard, on lui doit d’avoir une bonne connaissance de la société du XIIIè siècle. A cheval sur la moralité, il réclame plus de justice. Il se prend en composant ses poèmes moraux, comme un censeur de la vie publique.

Même si on connait peu de choses sur lui, Rutebeuf ne nous laisse rien ignorer de sa vie. Il parle de lui, de sa femme, de ses misères, de ses dettes et même de son cheval. Malgré sa pauvreté matérielle, il était néanmoins bien souvent reçu par les grands seigneurs de son temps.

Œuvre de Rutebeuf:

Composée de poèmes dramatiques et allégoriques, de pièces satiriques et lyriques et de fabliaux, l’œuvre du poète champenois est d’une grande diversité. Très à cheval sur la langue, l’auteur est un excellent versificateur. Il se distingue aussi par la richesse, et en même temps l’ambiguïté, de ses rimes à double sens. Il introduit également des jeux de mots. Avec lui la poésie s’intéresse aux problèmes qu’ils soient politiques ou sociaux, et s’engage. Une  partie est consacrée  aux événements tels que les croisades, la disparition d’importants personnages, les miracles…Mais en même temps il rompt avec la poésie courtoise pour s’engager dans un genre où la satire, la dérision, la propagande, la polémique dominent. Il dénonce tous les abus, même ceux de Louis IX. Il se moque du milieu bourgeois mais aussi religieux, car il voulait voir les religieux mener une vie exemplaire et l’Eglise gouvernée autrement. La complainte, un mode d’expression où il excelle, est largement utilisée dans la partie considérée comme autobiographique. On la retrouve aussi quand il nous fait part de la vie misérable de ses compagnons. Certaines de ses pièces ont visiblement pour vocation, d’exercer une influence sur l’opinion des gens.

Œuvres principales:

La querelle autour de l’Université:

  • La Discorde de l’Université de Paris et des Jacobins (1254).
  • Le Dit de Guillaume de Saint-Amour (1257)
  • La Complainte Guillaume.
  • Le Dit de l’Université de Paris (1268)
  • Du pharisien (1259).

Chansons de croisades:

  • La complainte de Constantinople (1262)
  • La Complainte d’outre-mer (1265-67)
  • La Chanson de Pouille (1264).
  • La Voie de Tunes (1267).
  • La Disputaison du Croisé et du Décroisé (1268).

Poèmes religieux et satires de l’Eglise:

  • La Vie de sainte Marie l’Égyptienne (1262 à 65)
  • La Vie de sainte Élysabel.
  • Le Dit de Nostre Dame (1265)
  • Ave Maria de Rutebeuf.
  • Des règles (1259)
  •  Le Dit de sainte Église (1259)
  •  Des Jacobins (1263)
  •  La Chanson des ordres (1260)
  •  Des Béguines
  •  La Voie de Paradis (1265)
  •  Renart le Bestourné (1260-61)

Lamentations funèbres:

  • La Complainte du comte de Nevers (1266).
  • La Complainte du roi de Navarre (1271).
  • La Complainte du comte de Poitiers (1271).

Poèmes dramatiques et monologues comiques:

  • Le Miracle de Théophile (1263-64)
  •  Le Dit de l’Herberie.
  • Le miracle du Sacristain et d’une dame accompli par notre Dame

Poèmes sur les vices et la moralité:

  • Sur l’hypocrisie (1257)
  • L bataille des vices et des vertus (1259)
  • Le dit du mensonge(1260)
  • Leçon sur Hypocrisie et Humilité
  • La voie d’Humilité

Problèmes du monde:

  • Des plaies du monde (1252)
  • De l’Etat du Monde (1252)

Poèmes autobiographiques:

  • Le dit de la Grièche d’hiver
  • La complainte de Rutebeuf sur son œil (1261)
  • La repentance de Rutebeuf (1262)
  • Le mariage de Rutebeuf (1265)
  • La pauvreté de Rutebeuf (1277)

Extraits de quelques œuvres :

La Discorde de l’Université de Paris et des Jacobins  ou Ci encomence la descorde des Jacobins et de l’Universitei (1254)

L’Université de Paris est secouée par une querelle, suite aux décrets du pape Alexandre IV d’intégrer des moines des ordres des mendiants dans le corps enseignant. Guillaume de Saint Amour (Théologien, docteur de Sorbonne, recteur, syndic de l’Université de Paris…) les conteste énergiquement. Il est exilé à Saint-Amour dans le Jura d’où il est natif. Rutebeuf entre autres prend le parti de celui qui fut son maître, et s’attaque à son tour à ces religieux qui « font le contraire de ce qu’ils enseignent ». Le conflit s’éternise et s’envenime, devant l’intransigeance du pape et des Jacobins. Il n’hésite pas alors à fustiger le souverain pontife.

Extraits :

I-

Je dois rimer sur l’esprit de discorde

qu’à Paris envie a semé

parmi ceux qui prêchent la miséricorde

et une vie honnête.

foix, Paix, Concorde,

voilà qui leur emplit la bouche,

mais leurs façons me rappelle

que des paroles aux actes  il y a loin.

II-

Les Jacobins : voilà le sujet

dont je veux vous entretenir

car ils nous parlent tous de Dieu

et nous interdisent la colère :

c’est là qui blesse l’âme,

ce qui lui fait du mal, ce qui la tue.

Mais les voilà en guerre contre une école

Où ils veulent enseigner la force.

III-

Quand les Jacobins apparurent dans le monde,

Ils entrèrent chez Humilité.

A l’époque, ils étaient purs et nets,

Et aimaient la théologie.

Mais orgueil qui élague tout bien,

A mis en eux tant d’iniquité

Qu’avec leur grande cape ronde

Ils ont renversé l’Université…

VI-

Les Jacobins ont fait leur entrée dans le monde

vêtus  de robes blanches et noires.

Toutes les vertus en eux abondent :

qui le veut peut toujours le croire. 

Par l’habit, ils sont nets et purs,

mais vous savez bien ce qu’il en est :

si un loup portait une cape ronde,

il ressemblerait à un prêtre….

Complainte de Monseigneur Geoffroy de Sergines »ou Ci encoumence la complainte de Monseigneur Joffroi de Sergines(1255-1256)

Dans cette complainte l’auteur fait l’éloge de Geoffroy de Sergines, un seigneur de Champagne. Dans son entreprise de convaincre pour la croisade, il le prend comme exemple à suivre. Parti avec Louis IX en 1248 pour la septième croisade, il est resté en Terre Sainte après le retour du roi pour combattre et servir Dieu.

Extraits :

Qui d’un cœur loyal, qui de l’espèce la plus fine,

loyalement, jusqu’à la fin

n’en finirait pas de servir Dieu…

Moi je n’en sait qu’un qui ait cette sagesse

et il est rempli de la science de Dieu :

Monseigneur Geoffroy de Sergines,

tel est l’homme de bien dont je parle.

Il est tenu pour homme de bien

par les empereurs, les rois, les comtes,

beaucoup plus encore que je voue le dis…

Il aimait ses voisins pauvres,

il leur donnait volontiers de ses biens…

Il n’était ni querelleur, ni médisants,

ni vantard, ni méprisant.

Avant que j’aie fini de raconter

sa grande vaillance et sa valeur,

sa courtoisie et sa sagesse,

l’ennui vous gagnerait, je crois.

Il aimait tant son seigneur lige

qu’il alla avec lui venger

la honte faite à Dieu outre-mer :

un homme de bien comme lui, mérite d’être aimé.

Avec le roi, il demeura là-bas

avec le roi il partit, il alla, 

avec le roi, subit le bon, le mauvais sort…

Et voilà qui les réconforte :

une fois au-dehors des portes,

s’ils ont avec eux monseigneur Geoffroy,

ils oublient toute appréhension

et, au besoin, chaqu’un d’eux vaut quatre hommes.

Mais sans lui, ils n’osent combattre,

ce n’est que grâce à lui qu’ils joutent, qu’ils guerroient…

Le Dit de Guillaume de Saint-Amour ou Ci encoumance li diz de maitre Guillaume de Saint Amour…(1257)

Guillaume de Saint-Amour, à l’origine de  la polémique autour de l’Université, fait l’objet de représailles. L’auteur s’insurge contre le pape Alexandre IV, qui le décharge Guillaume des charges académiques et administratives à l’Université en 1256. Mais celui-ci ne désarme pas et multiplie les attaques. Le détenteur du Saint Siège va plus loin encore, il arrive à le faire bannir de France en 1257 sous le règne de Saint Louis. Rutebeuf attaque également dans ce Dit le roi, qui s’est laissé influencer.

Extraits :

Ecouter prélats, princes, rois,

l’injustice et le tord

qu’on a faits à maître Guillaume :

on l’a banni de ce royaume !

nul condamné à mort n’eut un sort si injuste.

Qui exile un homme sans raison,

je dis que Dieu qui vit et règne

doit l’exiler de son royaume…

Maître Guillaume a été exilé,

ou par le roi ou par le pape.

Je vous le dis en un mot :

si le pape de Rome

peut exiler un homme de la terre d’autrui,

le seigneur n’a nul pouvoir sur sa terre,

pour dire toute la vérité.

Si le roi tourne l’affaire en disant

qu’il l’a exilé à la prière

du pape Alexandre,

voilà pour nous instruire : comme droit, c’est nouveau,

mais je sais comment cela s’appelle :

ce n’est ni du droit civil, ni du droit canon ;

car un roi ne doit pas se mal conduire

pour quelque prière qu’on lui adresse…

…Et vous tous qui entendez ce dit

quand Dieu apparaîtra cloué en croix,

il vous demandera justice

au grand jour du Jugement,

pour lui sur ce dont je vous parle :

à vous alors les tourments et la honte.

Pour moi je peux vous dire ceci :

je ne crains pas le martyre

de la mort, d’où qu’elle ne vienne,

si elle me vient pour cette cause.

Le Dit de sainte Église ou De sainte Esglise (1259)

Ce dit s’adresse également à ceux qui ont condamné Guillaume de Saint-Amour. Il s’adresse aux théologiens, juristes et autres baillis pour dénoncer cette condamnation scandaleuse.

Extraits :

I

Je dois faire un poème: j’ai un sujet tout prêt;

je me prépare donc à faire un beau poème,

et je le ferai sur la sainte Eglise.

Je ne puis rien faire de plus qu’en parler,

pourtant je suis rempli d’une colère noire

quand je vois dans quel état elle est…

II

Des yeux du cœur nous n’y voyons pas plus

que la taupe sous la terre.

Vous, là, m’écoutez-vous? Et vous aussi? Bien vrai?

Ou peut-être chacun a-t-il peur de m’entendre.

Hélas! hélas! fous que vous êtes tous,

qui n’osez pas reconnaître la vérité…

III

Je tiens vraiment pour des fous et des sots

saint Paul, saint Jacques de Galice,

saint Barthélémy, saint Vincent,

qui étaient purs de tout mal, de tout vice

et dont le seul plaisir fut de recevoir

pour Dieu les mille souffrances du martyre…

IV

Vous, théologiens, et vous, juristes,

je vous efface de ma liste,

de ma liste vous devez être exclus,

puisqu’on veut confier au cinquième évangéliste

l’autorité et le ministère

de [nous] parler du Roi céleste…

V

…A dire la vérité,

vous avez peur pour vos rentes:

la vérité ne peut sortir de la bouche,

car les dents la marmonnent,

mais le coeur n’ose s’affirmer;

Dieu vous hait? C’est inévitable…

VII

Il est logique et il est juste

que vous délaissiez la sainte Ecriture,

entraînant la débâcle de l’Eglise!

Vous ne proclamez pas la sainte Ecriture,

au regard de Dieu vous vivez dans les ténèbres

d’une vie rabougrie.

Le flatteur est votre familier.

La prophétie est écrite noir sur blanc:

Qui aime Dieu cherche la justice;

elle souffre en enfer, la chair

qui par peur aura délaissé

la justice, le droit et la pondération.

IX

Je ne blâme pas les petites gens:

ils sont comme des bêtes privées de raison;

on leur fait croire ce qu’on veut,

on arrive à leur faire croire

des énormités, comme par exemple

qu’une brebis blanche est toute noire…

X

Si seulement le roi faisait une enquête

sur ces gens qui se disent si honnêtes,

comme il en fait sur les baillis!

Que ne trouve-t-il de même un clerc ou un prêtre

qui ose faire une enquête sur leur faits et gestes,

dont le monde souffre tant!…

Le retournement de Renard ou Ci encoumence li diz de Renart le bestournei (1260-61)

Ce poème est un véritable exemple de satire politique de l’époque médiévale. Inspiré certainement du Roman de Renart, Rutebeuf  fustige les Ordres mendiants représentés par le Renart. Il n’épargne pas le roi Louis IX. Il lui reproche sa politique trop influencé par  ces religieux, ses ennemis de toujours.  

Renard est mort: Renard est en vie!

Renard est abject, Renard est ignoble:

pourtant Renard règne!

Renard a de longtemps régné sur le royaume.

Il y chevauche la bride sur le cou,

au grand galop…

Il est maître de tous les biens

de Monseigneur Noble

des cultures et des vignobles.

Renard a bien fait ses affaires

à Constantinople;

dans les maisons et dans les caves

il n’a laissé à l’empereur

la valeur de deux navets;

il en a fait un pauvre pécheur…

Renard a une grande famille:

nous en avons beaucoup de son espèce

dans cette contrée.

Renard est capable de faire naître un conflit

dont se passerait très bien

le pays.

Monseigneur Noble le lion

croit que son salut

dépend de Renard…

Il devrait se souvenir de Darius

que les siens firent mettre à mort

à cause de son avarice…

Monseigneur Noble tient à l’écart

toutes les bêtes:

ni dans les grandes occasions ni les jours de fêtes

elles ne peuvent mettre le nez

dans sa maison

pour la seule raison

qu’il a peur de voir la vie

devenir plus chère…

Noble n’a pas plus d’esprit et de finesse

qu’un âne de la forêt de Sénart

qui porte des bûches:

il ne sait pas quelle est sa charge.

C’est pourquoi il agit mal, celui qui le pousse

à autre chose qu’au bien…

Monseigneur Noble, ils l’ont détourné

complètement des bons usages:

sa maison est un ermitage.

Comme ils font perdre de temps,

que de chicanes

pour les pauvres bêtes étrangères à la cour,

à qui ils font les pires difficultés!…

Si Noble trébuchait dans les ronces,

il n’y en a pas une sur mille qui se plaindrait:

c’est la pure vérité.

On présage guerre et bataille:

peu me chaut désormais que tout aille mal.

Complainte de Constantinople  ou Ci encoumence la complainte de Coustantinoble (1262)

Le temps d’une complainte, l’auteur devient un chroniquer. Pieux, il réagit à la perte de Constantinople en 1261 (capitale de l’Empire byzantin), reprise par les Grecs avec l’aide des Turcs musulmans. Lors de  la 4eme croisade « détournée », les croisés s’étaient emparés de la ville en 1204 pour créer l’Empire latin d’Orient. Pour Rutebeuf  Constantinople tout comme Jérusalem fait partie de  la Terre-Sainte. Il considère cet événement comme une catastrophe pour l’Eglise, et reproche aux Occidentaux de ne rien tenter. Il déplore la fin de la chevalerie, car aucun héros ne s’est manifesté pour défendre l’Orient chrétien. Il en profite pour dénoncer le silence des Mendiants que le roi favorise, alors qu’ils sont bruyants  par ailleurs.

Extraits:

I

Gémissant sur la race humaine

et songeant au cruel dommage

qu’elle subit jour après jour,

je veux vous livrer ce que je ressens,

car je ne sais rien faire d’autre:

cela me monte du plus profond du cœur…

II

Nous sommes bien entrés dans cette voie.

Nul n’est si fou qu’il ne le voie,

dès lors que Constantinople est perdue

et que la Morée prend le chemin

d’accueillir de tels fumiers

que la sainte Eglise en est éperdue,

car il reste peu d’espoir pour le corps

quand la tête est fendue.

Que vous dirais-je de plus?

Si Jésus-Christ ne vient en aide

à la Sainte Terre de rémission,

toute joie l’a bien quittée.

III

Hélas, Antioche, Sainte Terre,

dont la conquête a coûté si cher

avant que l’on pût vous faire nôtre!

Celui qui croit avoir la clé du ciel,

comment peut-il supporter ce malheur?

Si Dieu l’accueille, ce sera le monde à l’envers.

IV

Ile de Crète, Corse, Sicile,

Chypre, douce terre et douce île

où tous trouvaient du secours,

quand vous subirez le poids de maîtres étrangers,

le roi, sans passer la mer, tiendra un conseil

sur la venue d’Aioul en France;

il créera de nouvelles maisons

pour ceux qui créent une foi nouvelle,

un nouveau Dieu, un nouvel Evangile…

V

Si l’argent que l’on a donné

à ceux qui se disent les amis de Dieu,

on l’avait donné pour la Terre Sainte,

elle aurait de ce fait moins d’ennemis

et il se serait mis à l’œuvre moins vite,

celui qui l’a déjà brisée et mise en pièces

VI

De la Terre de Dieu qui va de mal en pis,

Seigneur Dieu, que pourront maintenant dire

le roi et le comte de Poitiers?

Dieu souffre à nouveau sa passion.

Qu’ils fassent un grand cimetière,

ceux d’Acre: ils en ont besoin…

VII

Hélas! hélas! Jérusalem,

comme elle t’a blessée et mise en désarroi,

Vaine Gloire qui ourdit tous les maux!

Ceux qui subiront ses assauts

tomberont là où tomba celui

qui par orgueil perdit la grâce

VIII

La voilà en proie aux tribulations,

la Terre Promise,

désertée, en désarroi.

Seigneur Dieu, pourquoi l’oublions-nous,

alors que pour nous racheter

Dieu fait homme y fut trahi?

A son secours on envoya

des gens qui sont objet de mépris et d’horreur:

ce fut sa perte…

IX

On prêcha la croisade:

on pensait vendre le paradis,

le livrer au nom du pape.

On écouta les sermons,

mais prendre la croix, nul ne le voulut,

malgré les discours émouvants

X

Que sont devenus les deniers

que Jacobins et Mineurs

ont reçus par testaments

d’hérétiques certifiés fidèles

de vieux usuriers chenus

qui meurent brusquement,

et aussi de clercs?

Ils en ont en masse:

l’armée de Dieu eût pu en être entretenue.

Mais ils en usent autrement,

pour leurs grandes fondations,

et outre-mer Dieu reste nu.

XII

Comment aimera-t-il la sainte Eglise

celui qui n’aime pas ceux qui ont fait sa gloire?

Je ne vois pas de quelle manière.

Le roi ne rend pas bonne justice

aux chevaliers (il les méprise

bien que ce soient eux qui donnent à l’Eglise son prix),

sauf pour les jeter dans une prison cruelle

l’un après l’autre,

si hauts personnages soient-ils.

A la place de Naimes de Bavière

le roi entretient une race déloyale

vêtue de robes blanches et grises.

XIII

Je veux en avertir le roi,

au cas où des troubles naîtraient en France:

pays plus démuni, il n’en fut jamais.

Car les armes, le matériel,

les décisions, la conduite des opérations,

tout serait confié à la gent religieuse.

On verrait alors le beau comportement

de ceux qui tiennent en leur possession la France,

où il n’y a ni mesure ni loi!

Si les Tartares savaient cela,

ce n’est pas la peur de franchir la mer

qui les empêcherait de se mettre en branle.

La Complainte d’outre-mer ou C’est la complainte d’outremer (fin de 1265)

Devant les événements des Lieux Saints et la menace qui pèse sur l’autorité de l’Eglise, la polémique de l’Université s’estompe. La priorité est à la reconquête de Jérusalem, à la défense des chrétiens d’Orient…Même Antioche et Tripoli sont sur le point de tomber entre les mains des musulmans. Rutebeuf est très affecté par ce qui s’y passe, il crie au péril musulman et va durant vingt ans militer pour les croisades. Il se transforme en prédicateur, exhorte les grands que sont le roi de France, les comtes, les clercs et les prélats à faire comme leurs aïeux : gagner le paradis par la croisade. Il les invite à être tout à la fois guerriers, vassaux et chrétiens pour reconquérir la Terre Sainte.

Extraits :

Empereurs, rois et comtes,

ducs et princes, à qui l’on conte,

pour vous divertir, des romans variés

sur ceux qui combattaient

autrefois pour la sainte Eglise,

dites-moi donc pour quel service

vous pensez obtenir le Paradis.

Ils le gagnèrent jadis,

ceux dont parlent les romans qu’on vous lit,

par les souffrances, par le martyre

qu’ils ont endurés sur la terre…

Voilà pourquoi vous devriez vous employer

à venger et à défendre

la Terre promise

qui est dans les tribulations,

et perdue, si Dieu n’y veille

et si elle ne reçoit pas bientôt du secours.

Souvenez-vous de Dieu le Père

qui envoya son fils sur terre

pour y souffrir une mort cruelle.

Voici en grand péril la terre

où il vécut et mourut…

Ah! roi de France, roi de France,

la religion, la foi, la dévotion

chancellent complètement ou presque.

Pourquoi vous le cacher davantage?

Secourez-les, car il en est besoin,

vous et le comte de Poitiers,

avec tous les autres barons.

N’attendez pas que la mort

prenne votre âme, par Dieu, seigneurs!…

Roi de France, qui avez mis

vos biens, vos amis,

votre personne en prison pour l’amour de Dieu,

ce sera une faute bien grave

si vous manquez à la Terre Sainte.

Il vous faut y aller maintenant

ou y envoyer du monde,

sans épargner l’or et l’argent,

pour reconquérir les droits de Dieu…

Hélas! prélats de la sainte Eglise,

qui pour vous préserver de la bise

ne voulez vous lever pour aller à matines,

Monseigneur Geoffroy de Sergines

vous réclame de par-delà la mer.

Mais moi je dis: il est blâmable,

celui qui vous demande autre chose

que de veiller à avoir de bons vins, une bonne table,

et à ce que le poivre soit assez fort:

voilà votre combat, voilà votre ambition,

voilà votre Dieu, voilà votre bien…

Hélas! grands clercs, grands prébendiers,

qui êtes de si bons vivants,

qui faites votre Dieu de votre ventre,

dites-moi de quelle manière

vous aurez part au royaume de Dieu,

vous qui ne voulez pas dire un seul psaume

du psautier, tant vous êtes mauvais,

sauf celui qui n’a que deux versets:

celui-là vous le dites en sortant de table.

Dieu veut que vous alliez le venger,

sans plus vous inventer d’obstacles,

ou que vous renonciez au patrimoine

qui appartient au sang du Crucifié…

Et vous, tournoyeurs, que direz-vous

quand vous vous présenterez au jour du Jugement?

Que pourrez-vous répondre devant Dieu?

Car alors ne pourront se cacher

ni clercs ni laïcs,

et Dieu vous montrera ses plaies.

S’il vous réclame le pays

où pour vous il voulut souffrir la mort,

que direz-vous? Je ne sais…

Débat du croisé et du décroisé  ou Ci encoumence la desputizons dou croisie et dou descroisie (1268-1269)

Scandalisé par ce qui se passe en Terre Sainte sans que les chrétiens d’Occident ne réagissent, Rutebeuf fait une obsession de la croisade. Il continue sans se lasser à crier pour qui veut l’entendre que la Terre Sainte, la Chrienté et tout  l’Occident sont menacés et qu’il faut mettre fin au péril musulman. Dans ce dabat, il « surprend » une conversation entre deux chevaliers.  Le premier qui s’est déjà croisé, tente de convaincre le second de prendre croix à son tour pour  Jérusalem.  

Extraits :

I

L’autre jour, vers la Saint-Rémi,

je chevauchais, allant à mes affaires,

préoccupé à cause de la détresse

de ceux dont Dieu a le plus besoin:

les défenseurs d’Acre, qui n’ont aucun ami

(on peut bien le dire en toute vérité),

et qui sont si près de leurs ennemis

que leurs traits peuvent les atteindre…

III

Il y avait là quatre chevaliers

qui n’avaient pas la langue dans leur poche.

Ils avaient dîné, et allèrent se distraire

dans un verger près du bois.

Je ne voulus pas leur tomber dessus sans façon,

car un homme bien élevé m’a appris

que « tel fait fuir la compagnie

en croyant la divertir », et, sans rire, c’est vrai…

VI

Le croisé parla le premier:

« Ecoute-moi, très cher ami.

Tu sais parfaitement

que Dieu t’a doué de raison,

grâce à quoi tu peux distinguer

le bien du mal, les amis des ennemis.

Si tu en uses avec sagesse,

la récompense t’en est déjà promise.

VII

Tu vois, tu saisis, tu comprends

les malheurs de la Terre Sainte.

Comment peut-on se vanter de sa vaillance

et laisser le pays de Dieu subir telle guerre?

Même si un homme vivait cent ans,

il ne pourrait gagner autant de gloire

qu’en allant, plein de repentir,

reconquérir le Sépulcre. »…

XVI

– Seigneur, qui prêchez la croisade,

souffrez que moi, je me récuse.

Prêchez les princes de l’Eglise,

les grands doyens, les prélats,

à qui Dieu n’a rien à refuser

et qui ont tous les plaisirs de ce monde.

Ce jeu est bien mal organisé:

c’est toujours nous qui sommes pris.

XVII

C’est aux clercs et aux prélats de venger

la honte de Dieu, puisqu’ils jouissent de ses rentes.

Ils ont à boire et à manger,

et peu leur chaut qu’il pleuve ou vente.

Le monde entier est à leur disposition.

Si cette route les conduit à Dieu,

ils sont fous s’ils veulent en changer,

car c’est la plus agréable de toutes.

XVIII

– Laisse les clercs et les prélats tranquilles

et regarde le roi de France

qui pour conquérir le Paradis

veut risquer sa vie

et confier ses enfants à Dieu:

un prêt inestimable!

Tu vois qu’il veut se préparer

et faire ce dont je discute avec toi.

XIX

Le roi a de bien meilleurs raisons

de rester dans le royaume que nous.

Pourtant il veut honorer de sa personne

celui que nous tenons pour notre Seigneur

et qui en croix se laissa mettre en pièces.

Si nous ne nous donnons pas de mal pour le servir,

hélas! nous aurons beaucoup à pleurer,

car la vie que nous menons est folle…

XXVIII

Sans mettre la main à la pâte

tu penses échapper aux flammes de l’enfer,

en empruntant, en vivant à crédit,

en faisant de la chair ta maîtresse.

Pour moi, pourvu que mon corps puisse sauver mon âme,

peu m’importe ce qui peut arriver,

prison, bataille,

ni de laisser femme et enfants.

XXIX

 Cher seigneur, quoi que j’aie pu dire,

vous m’avez v aincu et mis échec et mat.

Je me réconcilie et fais la paix avec vous,

car vous n’avez pas essayé de me flatter.

Je prends la croix sans nul délai,

je donne à Dieu ma personne et mes biens,

car qui se dérobera à ce tribut…

 Sur l’hypocrisie ou C’est d’Ypocrisie (1257) 

Extraits :

Seigneurs qui devez aimer Dieu…

à vous tous j’adresse ma plainte

contre Hypocrisie,

la cousine germaine d’Hérésie,

qui a pris possession du pays.

C’est une si grande dame

qu’elle conduira en enfer bien des âmes;

elle retient maint homme et mainte femme

en sa prison…

Elle gisait dans la vermine:

personne à présent qui ne la salue bien bas,

nul bon chrétien,

sinon c’est un hérétique et un mécréant.

Déjà elle a contraint à quitter le combat

tous ses adversaires.

Elle n’estime guère ses ennemis,

car elle a pour elle baillis, prévôts, maires,

elle a les juges…

Elle gouverne le monde, y impose son droit.

Tout ce qu’elle dit est juste,

que ce soit bien ou mal.

Justinien est à son service,

et le droit canon, et Gratien…

Leurs actions sont bien différentes de leurs paroles:

prenez-y garde!

Hypocrisie la renarde,

qui passe au-dehors la pommade et dessous frappe,

est entrée dans le royaume.

Elle eut tôt fait de trouver Frère Guillaume,

Frère Robert et Frère Aleaume,

Frère Geoffroy,

Frère Lambert, Frère Lanfroi.

Elle n’était pas alors si forte,

mais elle s’y met…

Nul désormais n’en appelle contre elle

sans qu’elle l’écrase aussitôt

sans jugement.

Vous voyez là le signe évident

du prochain avènement

de l’Antéchrist:

ils ne croient pas ce qui est clairement écrit

dans l’Evangile de Jésus-Christ

ni ses paroles;

au lieu du vrai ils disent des fariboles,

des mensonges vains et frivoles

pour tromper…

Le dit du mensonge ou Ci encoumence li diz de la mensonge (1260) 

Extraits :

Les auteurs et les autorités

sont d’accord: c’est la vérité,

l’oisif succombe aisément au péché,

et il avilit et fourvoie son âme…

Écoutez donc mon propos,

vous entendrez parler de deux Ordres saints,

que Dieu a distingués en bien des choses:

ils ont si bien combattu les vices

que les vices sont abattus

et les vertus exaltées…

Humilité, de son écu,

a jeté à terre Orgueil,

son ennemi si acharné.

Largesse a jeté à terre Avarice

et Bienveillance un vice

qu’on appelle Colère la rustre.

Pour sa part, Envie, qui règne partout,

est vaincue par Charité…

Vous entendrez aussi comment dame Chasteté,

si parfaite, éclatante et pure,

a vaincu dame Luxure.

Il y a moins de soixante-dix ans,

si les honnêtes gens disent vrai,

que ces deux Ordres apparurent,

conformant leurs actes à ceux des apôtres:

ils prêchaient, ils travaillaient,

ils servaient Dieu et l’adoraient…

C’est pour prêcher Humilité,

qui est la voie de Vérité,

pour l’exalter et pour la suivre,

comme il est écrit dans leur livre,

que ces saintes gens sont venus sur terre.

Dieu les y envoya pour nous mener à lui…

Humilité était petite,

elle dont ils avaient fait leur part.

Humilité est maintenant plus grande,

car les Frères sont les maîtres

des rois, des prélats et des comtes…

Humilité a tellement grandi

qu’Orgueil sonne la retraite.

Orgueil s’en va, Dieu le confonde!

et Humilité s’avance.

Et maintenant il est bien juste

qu’une aussi grande dame ait de grandes maisons,

de beaux palais, de belles salles,

malgré toutes les mauvaises langues,

et celle de Rutebeuf tout le premier,

qui avait l’habitude de leur jeter le blâme…

Pour mieux défendre Humilité,

dans le cas où Orgueil voudrait s’en prendre à elle,

les Frères ont fondé deux palais:

par la foi que je dois à l’âme de mon père,

pourvu qu’elle eût dedans de quoi manger,

Messire Orgueil et sa puissance

ne vaudraient à ses yeux un clou

pendant huit mois et même neuf,

et elle pourrait attendre qu’on vînt depuis Liège

la secourir et faire lever le siège…

Humilité est si grande dame

qu’elle ne craint homme ni femme,

et les Frères qui la protègent

tiennent tout le royaume dans leurs mains.

Ils fouillent et cherchent les secrets,

ils s’introduisent et s’installent partout…

Bienveillance et dame Colère,

qui a souvent besoin d’un médecin,

vinrent, leurs gens rangés en bataille,

face à face et séparés,

devant le pape Alexandre

pour entendre le droit et obtenir justice.

Les Frères Jacobins y étaient

pour entendre le droit, comme de juste,

ainsi que Guillaume de Saint-Amour,

car ils avaient porté plainte

contre ses sermons et contre ses propos…

La complainte de Rutebeuf  ou Ci encoumence la complainte Rutebuef (1261) 

Sans revenus, au lendemain d’un mariage qui ne lui a rien apporté au contraire, Rutebeuf sombre dans la misère. Alité depuis des jours, abondonné de tous, il se confesse au monde entier. Ce poème est un véritable appel de détresse, d’un homme dans le dénuement total.

Extraits :

Inutile que je vous raconte

comment j’ai sombré dans la honte:

vous connaissez déjà l’histoire,

de quelle façon

j’ai récemment pris femme,

une femme sans charme et sans beauté…

Ecoutez donc,

vous qui me demandez des vers,

quels avantages j’ai tirés

du mariage.

Je n’ai plus rien à mettre en gage ni à vendre:

j’ai du faire face à tant de choses,

eu tant à faire,

tant de soucis et de contrariétés,…

Dieu a fait de moi un autre Job:

il m’a pris d’un coup

tout ce que j’avais.

De mon œil droit, qui était le meilleur,

je n’y vois pas assez pour distinguer ma route

et me conduire…

Je suis bien triste, bien contrarié

de cette infirmité,

car je n’y vois aucun profit.

Rien ne va comme je veux:

quel malheur!

Est-ce l’effet de mon inconduite?

Je serai désormais sobre et raisonnable

(après coup!)

et je me garderai de mes erreurs passées…

Que le Dieu qui pour nous a souffert la passion

ne me laisse pas devenir fou

et protège mon âme!

Ma femme vient d’avoir un enfant;

mon cheval s’est cassé une patte

contre une barrière;

maintenant la nourrice veut de l’argent

(elle m’étrangle, elle m’écorche)

pour nourrir l’enfant,

sinon il reviendra brailler dans la maison…

C’est l’angoisse, je n’y peux rien,

car je n’ai pas le moindre tas

de bûches

dans ma maison pour cet hiver.

Nul n’a jamais été dans un tel désarroi

que moi, c’est la vérité,

car jamais je n’ai eu aussi peu d’argent.

Mon propriétaire veut toucher le loyer

de la maison,…

Tout ce qui peut l’être a été mis en gage

et déménagé de chez moi,

car je suis resté couché

trois mois, sans voir personne.

De son côté ma femme, ayant eu un enfant,

un mois entier

m’est restée chambrée…

Que sont devenus mes amis

qui m’étaient si proches,

que j’aimais tant?

Je crois qu’ils sont bien clairsemés;

ils n’ont pas eu assez d’engrais:

les voilà disparus.

Ces amis-là ne m’ont pas bien traité:

jamais, aussi longtemps que Dieu multipliait

mes épreuves,

il n’en est venu un seul chez moi.

Je crois que le vent me les a enlevés,

l’amitié est morte;

ce sont amis que vent emporte,

et il ventait devant ma porte:

il les a emportés,

si bien qu’aucun ne m’a réconforté

ni donné de sa poche le moindre secours.

Cela m’apprend

que le peu qu’on a, un ami le prend;

et il se repent trop tard

celui qui a mis

trop d’argent à se faire des amis,

car il n’en trouve pas la moitié d’un bon

pour lui venir en aide…

Version chanté par Léo Ferré: « Pauvre Rutebeuf »

Que sont mes amis devenus

Que j’avais de si près tenus

Et tant aimés

Ils ont été trop clairsemés

Je crois le vent les a ôtés

L’amour est morte

Ce sont amis que vent emporte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta

 

Avec le temps qu’arbres défeuille

Quand il ne reste en branche feuille

Qui n’aille à terre

Avec pauvreté qui m’atterre

Qui de partout me fait la guerre

L’amour est morte

Ne convient pas que vous raconte

Comment je me suis mis à honte

En quelle manière

 

Que sont mes amis devenus

Que j’avais de si près tenus

Et tant aimés

Ils ont été trop clairsemés

Je crois le vent les a ôtés

L’amour est morte

Ce sont amis que vent emporte

Et il ventait devant ma porte

Les emporta

 

Pauvre sens et pauvre mémoire

M’a Dieu donné le roi de gloire

Et pauvre rente

Et droit au cul quand bise vente

Le vent me vient le vent m’évente

L’amour est morte

Le mal ne sait pas seul venir

Tout ce qui m’était à venir

M’est avenu

M’est avenu

La repentance de Rutebeuf  ouCi coumence la repentance Rutebeuf
(1262)

Rutebeuf  a tellement touché le fond, qu’il se remet en cause. Il tente de trouver des explications à ses malheurs, qu’il veut bien mettre sur le compte de son comportement et se repent.

Extraits :

I

Il me faut laisser la rime:

combien j’ai lieu de m’inquiéter

de l’avoir si longtemps cultivée!

Mon coeur a tout lieu de pleurer:

jamais je n’ai su m’appliquer

à servir Dieu parfaitement

Je n’ai occupé mon esprit

qu’au jeu et aux amusements,…

II

Il est bien tard maintenant pour me repentir,

pauvre de moi: jamais il n’a su éprouver,

ce coeur stupide, ce qu’est la repentance,

ni se résoudre à faire le bien.

Comment oserai-je souffler mot

quand même les justes trembleront?

J’ai toujours engraissé ma panse

du bien, des ressources d’autrui:…

III

Me sauver? Dieu! De quelle manière?

Dieu ne m’a-t-il donné dans sa bonté parfaite

intelligence et jugement,

ne m’a-t-il pas créé à sa précieuse image?…

IV

Je me suis soumis aux volontés du corps,

j’ai rimé et j’ai chanté

aux dépens des uns pour plaire aux autres:

ainsi le diable m’a séduit,

il a privé mon âme de secours

pour la conduire au cruel séjour…

VI

…Que puis-je, sinon attendre la mort?

La mort n’épargne ni les durs ni les tendres,

quelque somme qu’on lui propose.

Et quand le corps n’est plus que cendre,

alors l’âme doit rendre des comptes

de tout ce qu’on a fait jusqu’à la mort…

VII

J’en ai tant fait, je ne peux continuer,

il faut que je me tienne tranquille.

Dieu fasse qu’il ne soit pas trop tard!

J’ai chaque jour aggravé mon cas,

et j’entends dire aux clercs comme aux laïques:

« Plus le feu couve, plus il brûle. »

Je me suis cru plus fin que Renard:

finesse et ruse ne servent de rien,

il est en sécurité dans son palais…

Les plaies du monde (1252)

Extraits :

Il me faut rimer sur ce monde

Qui de tout bien se vide et s’émonde…

Savez-vous pourquoi nul ne s’entre’aime ?

Les gens ne veulent plus s’entr’aimer,

car dans le cœur il y a tant d’amertume,

de cruauté, de rancune et d’envie

qu’il n’est personne au monde

qui soit disposer à faire du bien aux autres

s’il n’y trouve pas son intérêt…

Qui a de quoi, il est aimé,

Qui n’a rien, on le  traite de fou…

Car la pauvreté est une  maladie grave.

Voilà la première plaie

 de ce monde : elle frappe les laïcs

La seconde n’est pas peu de choses :

c’est aux clercs qu’elle s’attaque.

Exceptés les étudiants,les autres clercs

 sont tous agrémentés d’avarice.

Le meilleur clerc, c’est le plus riche

Et qui a le plus, c’est le plus chiche,

Car à son avoir, je vous préviens,

Il a fait hommage…

Il laisse dans leur coin les pauvres de Dieu

Sans en avoir mémoire…

Quand la mort vient, qui veut le mordre,

Et qui ne veut pas en démordre,

Elle ne laisse rien sauver :

A autrui, il lui faut livrer

Ce qu’il a longuement amassé…

La chevalerie est une si grande chose

Que je n’ose parler de la troisième plaie

Que superficiellement…

Il est donc juste que j’honore les Chevaliers.

Mais de même que les habits neufs,

 valent mieux que les frippes,

les chevaliers de jadis valent mieux,

forcément, que ceux d’aujourd’hui,

car le monde a tout changé

 q’un loup blanc a mangé

 tous les chevaliers loyaux et vaillants.

 c’est pourquoi le monde a perdu sa valeur.

Le miracle de Théophile (1263-1264)

Extraits :

Théophile parle

Hélas! Hélas! Dieu, roi de gloire,

je vous ai tant gardé en mémoire

que j’ai tout donné, dépensé,

tout distribué aux pauvres:

je n’ai même plus de quoi me vêtir d’un sac…

Et mes gens, que feront-ils?

Je ne sais si Dieu les nourrira…

Dieu? Oui vraiment, qu’en a-t-il à faire?

Ses affaires l’appellent ailleurs,

ou alors il me fait la sourde oreille:

il se soucie peu de mes chansons.

Eh bien! moi, je m’en vais lui faire la nique…

Ah! celui qui pourrait le tenir

et le rouer de coups, en retour de ce qu’il nous fait,

n’aurait pas perdu sa journée!

Mais il s’est installé si haut,

pour échapper à ses ennemis,

que ni flèches ni pierres ne peuvent l’atteindre…

Désormais, pour moi, fini de chanter.

Désormais on dira que je radote:

on en fera des gorges chaudes.

Je n’oserai plus voir personne,

je ne pourrai plus m’asseoir parmi les gens:

on me montrerait du doigt…

Ici Théophile va trouver Salatin, qui parlait au diable quand il voulait.

Salatin

Qu’y a-t-il? Qu’avez-vous, Théophile?

Par le Dieu puissant, quel chagrin

vous attriste tellement,

vous d’habitude si joyeux?

Théophile parle

C’est qu’on m’appelait seigneur et maître

de ce pays, tu le sais bien:

à présent on ne me laisse plus rien…

Salatin

Cher seigneur, vous parlez en sage.

Car quand on a pris l’habitude de la richesse,

c’est une grande douleur et une grande détresse

de tomber sous la dépendance d’autrui

pour le boire et le manger:

il faut entendre alors des propos si désobligeants!…

Théophile

Salatin, mon frère, les choses en sont au point

que si tu connaissais un moyen

pour me permettre de retrouver

mon rang, ma charge, mon crédit,

je ferais n’importe quoi…

Salatin

Si vous acceptiez de renier Dieu,

celui que vous avez coutume de tant prier,

et tous ses saints, toutes ses saintes,

et si vous deveniez, mains jointes,

le vassal de celui qui ferait tant

qu’il vous rendrait votre rang,

alors vous seriez plus honoré

en restant à son service

que vous ne l’avez jamais été.

Croyez-moi, quittez votre maître.

Qu’avez-vous décidé?…

Théophile

J’y suis entièrement disposé:

je ferai sur le champ tout ce que tu voudras.

Salatin

Allez-vous en sans inquiétude:

en dépit de ceux à qui cela déplaît,

je vous ferai retrouver votre rang.

Revenez demain matin…

Ici Salatin parle au diable et lui dit:

Un chrétien s’en est remis à moi,

et je me suis bien occupé de son affaire,

car tu n’es pas mon ennemi.

Entends-tu, Satan?

Il viendra demain, si tu l’attends.

Je lui ai promis quatre fois ce qu’il avait:

confirme ce don,

car il a été un homme très vertueux:

cela vaut un don d’autant plus généreux.

Abandonne-lui tes richesses…

Le Diable

Quel est son nom?

Salatin

Théophile: c’est son vrai nom.

Il jouissait d’un grand renom

dans ce pays.

Le Diable

J’ai toujours été en guerre contre lui

sans jamais pouvoir l’emporter sur lui.

Puisqu’il veut se liver à nous,

qu’il vienne dans cette vallée…

Théophile vient alors de nouveau trouver Salatin

Suis-je venu trop matin?

As-tu fait quelque chose?

Salatin

J’ai si bien plaidé ta cause

que tout ce que ton maître t’a fait de mal,

on t’en dédommagera:

on te couvrira d’honneurs,

on te fera plus grand seigneur

que tu ne fus jamais…

Théophile va trouver le diable.

Le diable lui dit:

Approchez, dépêchez-vous.

Gardez-vous de ressembler

au vilain qui va à l’offrande.

Que vous veut et que vous demande

votre maître? Il est terrible!

Théophile

C’est vrai, seigneur. Il était chancelier

et prétend me chasser, me faire mendier mon pain.

Je viens donc vous prier en requête

de m’aider dans le besoin où je suis…

Le diable

De mon côté je te promets

de te faire plus grand seigneur

qu’on ne t’avait jamais vu.

Et puisque les choses se passent ainsi,

sache en vérité qu’il faut

que j’aie de toi une lettre scellée

claire et explicite…

Théophile

La voici: je l’ai écrite.

Le diable lui ordonne d’agir ainsi…

Je vais te dire ce que tu feras.

Jamais le pauvre tu n’aimeras…

Si quelqu’un s’humilie devant toi,

réponds-lui avec orgueil et cruauté…

Douceur, humilité, pitié,

charité, amour,

jeûner, faire pénitence:

tout cela me fait grand mal à la panse.

Faire l’aumône et prier Dieu,

cela aussi peut profondément m’irriter.

Aimer Dieu et vivre chastement

me donnent l’impression qu’un serpent, une vipère,

me dévore le coeur dans la poitrine…

Va: tu seras sénéchal.

Laisse le bien et fais le mal…

Théophile

Je ferai ce que je dois faire.

Il est bien juste que j’agisse selon votre plaisir,

puisque en contrepartie je rentrerai en grâce.

L’évêque envoie chercher Théophile.

Allons vite! debout, Pinceguerre,

va me chercher Théophile,

je lui rendrai sa charge.

J’avais commis une grande folie

en la lui retirant..

Pinceguerre:

Vous dites vrai, très cher seigneur.

Pinceguerre parle à Théophile, et Théophile répond:

Y a-t-il quelqu’un?

– Et vous, qui êtes-vous?

– Je suis un clerc.

– Et moi, un prêtre.

– Théophile, mon cher seigneur,

ne soyez donc pas si dur envers moi.

Monseigneur veut vous voir un instant,

et vous retrouverez votre prébende,

votre charge dans sa totalité.

Réjouissez-vous, faites bon visage,

vous montrerez ainsi bon sens et sagesse…

Quand il vous verra, il prendra l’air souriant

et dira que c’était pour vous mettre à l’épreuve

qu’il a fait cela. A présent il veut vous dédommager

et vous serez amis comme auparavant…

La pauvreté de Rutebeuf ou C’est de la povretei Rutebuef (1277) 

Rutebeuf fait de nouveau part de ses difficultés mais avec beaucoup de réalisme. Il y met un peu d’humour, comme s’il riait de lui-même. Il a écrit ce poème vraisemblablement alors que le roi Louis IX était à la 8eme croisade, celle là même qui lui a été fatale puisqu’il meurt à Tunis.

Extraits :

I

Je ne sais par où commencer,

tant la matière est abondante,

pour parler de ma pauvreté.

Pour Dieu, je vous prie, noble roi de France,

de me donner quelques subsides:

vous feriez un grand acte de charité.

J’ai vécu du bien d’autrui

que l’on me prêtait à crédit:

à présent personne ne me fait plus d’avance

car on me sait pauvre et endetté.

Quant à vous, vous étiez hors du royaume,

vous en qui j’avais toute mon espérance.

II

La vie chère et ma famille,

qui n’est pas à la diète et ne perd pas le nord,

ne m’ont laissé ni argent ni ressources.

Je rencontre des gens habiles à s’esquiver

et peu entraînés à donner:

chacun s’entend à garder ce qu’il a.

La mort de son côté m’a fait grand tort,

vous aussi, vaillant roi (en deux voyages

vous avez éloigné de moi les gens de bien),

et aussi le lointain pèlerinage

de Tunis, qui est un lieu sauvage,

et la maudite race des infidèles.

III

Grand roi, si vous me faites défaut,

alors tous m’auront fait défaut, sans exception.

La subsistance me fait défaut;

nul ne m’offre rien, nul ne me donne rien.

Je tousse de froid, je baille de faim,

je suis dans la détresse, à la mort.

Je n’ai ni couverture ni lit,

il n’est plus pauvre que moi d’ici à Senlis.

Sire, je ne sais où aller.

Mes côtes se frottent au paillis,

et lit de paille n’est pas lit,

et mon lit n’est fait que de paille.

IV

Sire, je vous le dis,

je n’ai pas de quoi acheter du pain.

A Paris, je suis au milieu de toutes les richesses,

et il n’y a rien de tout cela qui soit à moi.

J’y vois peu et je reçois peu:

je me souviens plus de saint Paul

que d’aucun autre apôtre.

Je connais mon Pater, mais pas ce qu’est noster,

car la vie chère m’a tout ôté:

elle a si bien vidé ma maison

que le credo m’est refusé.

Je n’ai que ce que vous voyez sur moi.

Citations de Rutebeuf:

  • L’espérance de lendemain, ce sont mes fêtes
  • Les maux ne savent seuls venir, tout ce qui m’était à venir m’est advenu.
  • Que sont mes amis devenus, que j’avais de si près tenus et tant aimés.

Hommages à Rutebeuf

  • En 1955 le poète et chanteur français Léo Ferré reprend quelques vers de la Complainte Rutebeuf  pour en faire Pauvre Rutebeuf. Une belle chanson qui sera reprise plus tard par Joan Baez, Hugues Auffray, Alain Barrière, Nana Mouskouri, Cora Vaucaire…
  • La salle de théâtre de Clichy-la-Garenne porte son nom depuis 1968. Une statue du poète, un bronze de Rivet, y est placée.

Quelques livres sur Rutebeuf

  • Cledat léon : Rutebeuf (1891)
  • Dehm Christian: Studien zu Rutebeuf (1935)
  • Ham, Edward Billings : Rutebeuf end Louis IX (1962)  
  • Serper Arié : Rutebeuf poète satirique (1969)
  • Palmer L.D : Rutebeuf, Performer Poet (1972)
  • Durindel Nathalie: Dualité et duplicité dans les poèmes de Rutebeuf (1999)