Biographie de Raoul de Houdenc:

Trouvère du début du Xie siècle, il serait né en Picardie entre 1165 et 1170 et mort entre 1226 à 1230. Mais son nom nous oriente vers trois villages, dont il porterait le nom de l’un d’entre eux. Il s’agit de Houdan dans les Yvelines, Houdenc près de Beauvais ou Houdain dans l’Artois. Il se destine dans un premier temps à une vie de clerc pour laquelle il est formé, mais s’en détournera très vite. Disciple à ses débuts de Chrétien de Troyes, il en commence ensuite à écrire en l’imitant d’une langue vulgaire. Il mène alors une vie de jongleur allant de cour en cour, avant de se découvrir un don talent pour  la poésie allégorique et la versification. Il se lance alors dans sa propre écriture comme moraliste, et  mène une vie errante et pauvre. Digne successeur de Troyes avec il partage un talent unique dans la manipulation de la langue, il est considéré comme l’un des plus remarquables des auteurs français du Moyen-Âge. On lui reconnaît quatre œuvres essentielles :

Œuvre de Raoul de Houdenc

Écrite dans le dialecte de l’Ile de France considéré comme le plus pur de l’époque, l’œuvre de Houdenc est citée comme exemple pour son style trois siècles après sa mort. La variété de son œuvre, la richesse de la rime et le grand nombre de manuscrits disponibles nous éclairent sur l’intérêt que lui portait le public. L’auteur a le mérite de se détacher des stéréotypes arthuriens pour élever plus haut encore les vertus chevaleresque. Il prend part, malgré lui sans doute, à la querelle des réalistes et nominaux qui divisait le monde savant. Il est alors parmi les tous premiers à donner vie à des créations idéales et à des abstractions, à personnifier dans son œuvre les vertus et les vices pour lesquels il élabore une typologie. Pour ses contemporains il est alors avant tout un moraliste. Il contribue pour une bonne part au développement de  la poésie allégorique, qui connaîtra son apogée dans le Roman de la Rose (Guillaume de Lorris).

Meraugis de Portlesguez (entre 1225 et 1235) :

C’est une contribution au roman arthurien de la Table ronde. Habituellement épique, Houdenc y introduit l’allégorie. Humour, ironie et  jeu se mêlent pour aboutir à un éblouissant travail d’écriture parodique.

La belle et sage Lidoine est courtisée par deux chevaliers qui se la disputent. D’un côté le héros en la personne de Meraugis, de l’autre Gorvein Cadrut. Ayant oui de cette querelle entre les deux hommes, elle intervient et tranche pour Meraugis. Mais il doit mériter sa main. Pour cela il doit affronter et rivaliser avec les chevaliers du roi Arthur. Elle lui propose de l’accompagner dans la quête de Gauvain, un des chevaliers de la Table ronde. Mais il la perd en chemin, car Belchis la retient contre son gré pour la marier avec son fils Epinogre. Commence alors pour lui un périple semé d’embûches, de combats pour la reconquérir…

Extraits :

ui de rimoier

s’entremet

Et son cueur et

s’entente met,

Xe vault noient quanque il conte

S’il ne met s’estude en tel conte

Qui touz jours soit bon à retraire ;

Car joie est de bon œvre faire

De matire qui touz jours dure.

C’est des bons contes l’aventure

De conter à bon conteour;

Cil autre qui sont rimeour…

Seignor, au temps le roi Artur

Qui tant estoit de grant vertu,

Ot en Breteigne  le greignour

Uns rois qui tint mult grant honours,

Ce fu li rois de Cavalons

Qui fut plus biaus que Absolion,

Si com  tesmoigne li greaus.

Li rois qui fu preus et loiaus

Et riche d’avoir et poissanz,

Une fille avoit mult vaillanz :

La damoisele ot non Lidoine ;

N’ot jusqu’au port de Masedoine…

Einsi fu lors  li tornois pris ;

Li bachelier d’amours espris

I amainent chascuns s’amies.

Li tornois ne remaindra mie,

Car tuit li errant chevalier

De Logres sunt venuz premier

Au tornoi pour le pris conquerre ;

Et Lidoine fesoit porquerre…

Por la biauté, qui est defors,

Doit touz li mons amer son corps.

-Non doit.- Si doit, ce m’est avis. »

Ce dit Gorveinz à Meraugis :

« Ma volenté vous dirait toute,

 Que je vous aim et sans doute

Que vous m’ amez en bonne foi ;

 Por quoi, amis, je ne vous doi        

 Celer riens de ma privauté,

 Car maintes foiz, en vérité

 M’avez consillie et je vous dois. »

Cil respond : «Les amours de nous

 Ne sont mie or à esprover.

 Se je puis nul conseil trover

 En ce que vous voler me dire,

 Je l’i metrai ?- Ferez, biaus sire ?

-Oïl, sanz faille, se jel sai. »…

Si la salue et la retient

Et lui dit : « Dame, bien viegniez.

 Des or vous pri que vous preigniez

 Geste bretesche qui est ci

 Comme la vostre. — Grant merci,

Se dist Lidoine qui fu sage,

 Je retieng orendroit restage

 Par covent que vous i vendroiz.

 Sel retieng et vous le prendroiz

 Comunement, puis qu’il est nostres »..

 Meilleur de lui trovast encor.

La dame fist soner le cor

Desouz le pin, à la fontaine;

Ne firent mie longue paine

A lor afere deviser ;

Legiere chose ert aviser

Que Lidoine estoit la plus bêle.

N’i ot chevalier ne pucele

Un trestout seul qui ne deïst

Qu’il ert reson qu ele preïst

L’esprevier; ele Tala prendre.

Lors vielt chascun son non aprendre

Et demandent qui ele estoit.

Vient Meraugis de Portlesguez,

Desouz le pin où ele estoit.,

Uns chevaliers moult alosez.

Ensemble o lui i est venuz

Uns siens compains mult bien connuz

Gorveinz Cadruz i fu o lui ;

Chevalier furent ambedui,

Li dui meilleur qu on seûst querre,

Qu il n’eust jà en nulle terre

Tornoiement où il ne fussent..

Vengeance Raguidel : (entre 1200 et 1210)

Roman arthurien qui concerne Gauvain, neveu d’Arthur considéré comme le meilleur des chevaliers de la table ronde. Il est souvent le héros d’aventures parfois magiques, d’autres courtoises, et même impies. Sa force croît et décroît selon la position du soleil (elle atteint son apogée au zénith). Arthur retrouve dans un vaisseau échoué près du rivage un chevalier anonyme (Radiguel) assassiné. Le roi confie à Gauvain la délicate mission de venger la mort de cet homme, pour ne pas laisser ce crime impuni. Le chevalier de la table ronde entreprend d’aller à la poursuite de l’assassin. Après une chevauchée semée d’embûches il le retrouve enfin en Ecosse, c’est Guengasoain…

L’auteur traite avec beaucoup d’humour les aventures du célèbre chevalier Gauvain, dont il se moque même. Habituellement sage et de bon conseil, il est présenté comme intrépide par sa hâte à aller au devant des périls, à se lancer dans la défense de belles dames qui lui tournent le dos juste après. Il s’éprend même d’une jeune fille frivole et volage.

Deux autres histoires indépendantes liées au thème de l’amour déçu, humilié figurent dans cette œuvre. Les aventures de la dame de Gaudestroit et de Guauvain et celles de Gauvain et d’Ydain (femme sensuelle et infidèle)

Ce fu el novel tans d’esté,

que li rois Artus ot esté

tot le quareme à Rovelent,

et vint à grant plenté de gent

à Pasques por sa cort tenir

à Carlïon, car maintenir

volt li rois la costume lors.

O lui fu li rois Engenors,

si i fu li rois Aguisait;

mais ja de prince qu’il i ait 

ne vos tenrai en cest point conte.

Li rois Artus ert costumiers

que ja à feste ne manjast

devant ce qu’en sa cort entrast 

novele d’aucune aventure.

Tels fu lors la mesaventure,

et li jors passe et la nuis vint,

c’onques nule n’en i avint;

s’en fu la cors torble et oscure.

Tant atendirent l’aventure

que l’ore del mangier passa.

Li rois fu mus et si pensa

à ce q’aventure n’avient.

Mes sire Gavains a oïe 

la parole que li rois dist.

Onques de rien nel contredist,

ains dist : « Sire, mout volentiers. »

Mes sire Gavains tos premiers

s’asist as tables por mengier,

et tuit li autre chevalier

s’asisent, qui mangier voloient.

Mais li plusor s’i asëoient

qui poi i mangierent et burent.

Servi furent si com il durent:

de més de car assés i ot.

Mais saciés bien qu’il lor desplot

ce que li rois o aus n’estoit

al mangier si com il soloit:

cascuns le cuer dolant en a.

« Sire, fait Kex, donés le moi, 

la venjance, por mon servise:

tos tans m’avés onor promise;

se vos de ceste m’escondites,

totes les autres vos claim quites.

Buens rois, or m’en donés le don,

que j’alle esragier le tronçon

qui est el cors au chevalier:

se l’irai de celui vengier

qui l’a ocis en traïson. »

car mesire Gavains i fu

et Kaheris à esperon

qui bien a vengié sa prisson

que la dame fait li avoit

uns chevaliers del Gaut Destroit

que la pucele avoit mout chier

et si n’ot millor chevalier

en tote la cort la meschine

cil avoit non Chalehordine…

son cheval torne et son escu

et ens es estriers s’est bien jont

car de son glave n’avoit point  

mais s’espee tint par le pont…

Traduction d’un extrait où Gauvain secoure une Dame

Il était assis sur la meilleure des bêtes

Eu’un chevalier montât jamais.

Sur elle, il n’y avait rien qui présentât un défaut.

Cou et tête étaient parfaits.

Nul qui aimerait la perfection sur un cheval

Ne pourrait en monter un meilleur car il était robuste

Et vraiment bien bâti de tous ces membres.

Le roi Engenor qui le possédait

Le donna à Melian du lys.

Mais il en profita peu

car il le perdit à Lindesore

A cause de la dame de Landesmore

Ou il se battit contre Maduc qui le désarçonna

Le cheval était beau et robuste ( vaillant)

Celui qui le chevauchait dans un combat

Pouvait vraiment faire ce qu’il voulait.

Ils firent déverrouiller et ouvrir

La grande porte devant la tour

Plus vite que le vent glisse sur la mer

Ils sortirent au château en faisant entendre un bruit

Tel se coucha cette nuit en riant

Qui jamais plus ensuite ne se releva…

Et elle poussa de nouveau un cri

Puis trois autres successivement.

Monseigneur Gauvain qui était à proximité

Entendit le cri près d’un enclos.

Il lança alors son cheval à la course,

Se dirigea de son côté la lance au poing.

Il n’eut pas cheminé la distance de deux arpents

Quand il vit celle qui criait.

Il y avait deux chevaliers armés

Qui en avaient tué un troisième.

La jeune fille me semble t-il n’avait pas tort de crier.

L’un des chevaliers l’avait maltraité et brutalisé

Car il l’avait saisie fermement d’une main par le cou

Tandis que de l’autre main il la frappait

Et la battait de coups répétés.

C’est ainsi qu’il la frappait avec sa main

Revêtue d’un gantelet de mailles

Et il la traînait contre son cheval à travers la lande.

Monseigneur Gauvain arriva à vive allure et lui cria :

Noble chevalier laisse là , laisse là .

C’est à tort que tu la frappes.

Le chevalier qui était méchant

Ne voulut absolument pas la lâcher.

Mais au contraire il répondit avec insolence :

Seigneur qu’en avez vous à faire ?

Allez vous occuper de vos affaires.

Je n’arrêterai nullement à cause de vous.

La jeune fille, sachez le bien, leva la tête et parla :

Noble chevalier qui êtes là, venez ici.

Au nom de Dieu, j’implore votre pitié….

Le Songe d’enfer (vers 1224) :

Poème religieux, c’est sans doute son œuvre la plus appréciable. On y découvre un Raoul de Houdenc moraliste. Dans cette véritable satire, le narrateur utilise l’allégorie pour nous plonger dans son rêve. Il y effectue un pèlerinage dans l’au-delà vers la cité d’enfer. Il nous fit voyager tour à tour d’une terre à une autre, d’un lieu à un autre, d’une personne à une autre. Il fait d’étranges rencontres tout au long de ce pèlerinage. Il traverse la cité de la Convoitise en Desléonté, rencontre Envie qui vit avec Tricherie, Avarice…Après avoir traversé le fleuve de Gloutonie, il se retrouve à Château Bordel où il découvre Larcin et Honte…Au bout du pèlerinage un banquet en enfer dont la porte est gardée  par Meurtre, Désespoir et Mort-Subite. En ce lieu tant redouté on se nourrit de damnés (pêcheurs) : de clercs et de moines, de vieilles prêtresses, de langues de plaideurs…La nappe est en peau d’usuriers, la serviette en cuir d’une putain …

Dans cette satire l’auteur s’attaque aux vices de son temps, et à certains Parisiens auxquels il avait des reproches à faire. Elle aurait fourni à Dante la première idée de sa « Divine comédie », pour en faire l’œuvre grandiose qu’on connaît.

Extraits:

Un songe doit fables avoir

Et songe peut devenir voir.

Dont sai-je bien que il m’avint

Qu’en sonjant un songe me vint

Plesant chemin et belle voie

Treuve cil qui va enfer guerre.

Quant je sui parti de ma terre,

Por ce que li contes m’annuit,

Je m’en vins la première nuit,

A Convoitise la cité.

En terre de Desloiausté

Et la cité que je vous dis ;

Quand je vins à un mercredi

Que me heberjai chez Envie ;

Plesant ostel et bele vie…

Extrait traduit:

« Bien que les songes soient pleins de fables,

pourtant parfois un songe peut devenir vrai :

je sais bien, à ce sujet, qu’il m’arriva

qu’en songeant un songe,

j’eus l’idée de devenir pèlerin.

Je me préparai et me mis en route,

tout droit vers la cité d’Enfer.

Je marchai tant pendant le Carême et l’hiver

que j’y vins tout droit.

mais je ne vous dirai rien

de ceux que j’y ai connus,

avant de vous avoir rendu compte

de ce qui m’advint en chemin :

ceux qui vont en quête d’enfer

trouvent belle voie et plaisant chemin ;

quand je partis de ma terre,

pour ne pas allonger le conte,

je m’en vins la première nuit

à la Cité de Convoitise.

En terre de Déloyauté

se trouve la cité dont je vous parle,

j’y vins un mercredi ;

et je me logeai chez Envie ;

nous eûmes bon hôtel et belle vie ;

et sachez, sans tromperie,

que c’est la Dame de la ville.

Envie me logea bien :

à l’hôtel avec nous mangea Tricherie,

la sœur de Rapine ;

et Avarice sa cousine l’accompagna,

à ce qu’il me semble,

pour me voir ensemble.

Elle vinrent et manifestèrent grande joie

de me voir en leur pays »

Roman des Eles de Prouesse (vers 1220-30):

Poème allégorique et moralisateur aussi, il se veut une leçon de chevalerie courtoise. S’adressant aux chevaliers, il passe en revue toutes les qualités et les devoirs dont ils sont redevables, qu’ils doivent accomplir pour être parfaits. L’auteur  explique que la vertu à deux ailes : Courtoisie et Largesse. Chacune d’elles est formée de sept plumes qui représentent toutes les vertus dont il faut s’imprégner pour se comporter correctement.

Cependant on peut y voir aussi une préoccupation de l’auteur devant les idéologies de son temps, et donc cette initiative de fournir des préscriptions, des normes pour la vie en société

La Voie de Paradis :

Cette métaphore, qui semble continuer le Songe d’Enfer, serait également de Houdenc. Durant un voyage rêvé dans l’au-delà, l’auteur veut visiter cette fois le Paradis. Il demande à Notre Dame le chemin qui y mène. Ce poème indique comment l’âme peut progresser vers le salut…

Or, escoutez un autre songe

Qui croist no matere et alonge.

Je vous dirai assez briefment,

Si je puis et je sai, coment

En sonjant fui au paradis.

Je dormois en mon lit jadis

Et i me prist talent que j’iroie

En paradis la droite voie.

En sonjant me suis estméus 

Mes ne fui mie decéus…

Li Dis de Raoul de Hosdaing (Le Dit de Raoul de Houdenc)

On retrouve dans ce Dit l’avarice dont l’auteur accable souvent les bourgeois. Houdenc reproche aux seigneurs leur manque de générosité en déclin dans toute la société, et la montée en force des vices chez eux.