François Rabelais, un génie humaniste de la Renaissance?

7 Fév 2014 | Publié par mus dans Histoire de la littérature française | Le XVI – XVII siècle
Gargantua arrive à Paris
Gargantua arrive à Paris

Biographie de François Rabelais 

(entre 1483 et 1494 à 1553)

Contemporain de François Ier, le premier roi de la Renaissance française, François Rabelais naît au domaine de La Devinière (maison des champs du père) à Seuilly près de Tours (d’Indre-et-Loire) entre 1483 et 1494 d’un père sénéchal et avocat au siège royal de Chinon. .Il est d’abord prêtre catholique évangélique puis médecin, romancier et humaniste français de la Renaissance. Bien plus que cela, il est précurseur dans tous les domaines : moraliste, éducateur, linguiste et créateur de mots. Sa contribution à l’émergence de «l’homme moderne » est indéniable.

Baignant dans un milieu aisé, il bénéficie d’un enseignement  médiéval (grammaire, dialectique, rhétorique, arithmétique, géométrie et même musique et astronomie) qui le destine à une carrière ecclésiastique. Il rentre au monastère des Cordeliers d’ Angers comme novice de 1510 à 1520, date à laquelle il devient moine. Il y reçoit une formation en théologie, mais bénéficie également d’une initiation aux études grecques. Son intérêt grandissant pour les auteurs de l’Antiquité et la correspondance qu’il engage avec  de célèbres humanistes, l’emmènent  à fuir la vie monastique. Il est alors condamné pour apostasie. C’est à Paris qu’il entame des études  de médecine en 1524. Il les continue à la faculté de médecine de Montpellier, avant de s’installer à Lyon. Grâce à sa réputation il exerce et enseigne à l’Hôtel-Dieu de Notre-Dame de la Pitié à partir de 1532, sans être docteur. Il y publie des critiques de traités médicaux antiques, et commence sa carrière d’écrivain.

Bien qu’encore homme du Moyen Âge, ses idées, son action et ses écrits font de Rabelais un humaniste modèle de la Renaissance. Ce qui fait de lui l’artisan de la transition entre les deux époques. Il lutte avec enthousiasme pour la paix, en manifestant son opposition aux  guerres de conquête. Pour lui se défendre est la  seule raison de faire la guerre. Sous l’influence de la pensée antique, il apporte à la renaissance un nouvel idéal philosophique et moral. Précurseur dans bien des domaines, sa vie et son œuvre font triompher la liberté d’esprit. Il est un penseur en avance sur son temps, son génie et celui de Montaigne dominent la renaissance..

Rabelais passe pour être un des maîtres du rire de son temps. L’humour, les farces, la parodie, la grossièreté… fruit de la richesse de son imagination  n’apparaissent pas seulement dans ses œuvres, l’homme est  ainsi dans al vie de tous les jours : farceur, comique, fantaisiste, joueur avec les mots…. Médecin reconnu il publie d’intéressants travaux et apporte aussi guérison par le rire. Aimant la vie il la croque à pleines dents : il fréquente les châteaux de la Loire, les tavernes de Paris et de Chinon. Il a de l’admiration pour la grandeur de Rome et apprécie l’enchantement des jardins de Saint-Maur et le bon vin du Languedoc. Il meurt le 9 avril 1553 à Paris, six ans après François Ier.

L’Eglise semble t-il ne lui a jamais pardonné son « apostasie ». Ses critiques et son franc-parler finissent même par l’exaspérer. Exhumé du cimetière Pierre Lachaise détruit lors de travaux, une demande aurait été faite pour lui faire une place au Panthéon. La demande n’est jamais parvenue à destination pour le motif « prêtre athée ». Faute de descendants pour réclamer le corps, un tibia et son crâne aurait fini dans les catacombes de Paris et le reste dans la Seine.

Œuvre de François Rabelais

Écrivant avec le moyen français tel qu’on le parlait entre le XIVe et XVIe siècles, Rabelais est le digne continuateur de la littérature un peu païenne du Moyen Âge. Ses héros Gargantua et Pantagruel, deux géants père et fils, sont même issus de la littérature de cette époque qu’il se contente de transformer. Il adopte également le plan naissance-enfance-prouesses des romans de chevalerie.  L’Humanisme est un courant de pensée en vogue au 15e et 16e siècle en Europe. Quelques auteurs dont particulièrement Rabelais contribue à développer. Leurs ouvrages sont destinés avant tout à éduquer le nouvel homme, celui de la renaissance.

L’œuvre de Rabelais est un mélange judicieux de plusieurs genres : le conte, la parodie, le roman de chevalerie et la chronique. Elle mêle fiction et réalité et constitue certainement le prélude au roman réaliste, philosophique et satirique. La richesse du vocabulaire qu’il puise des langues mortes et  étrangères, des dialectes régionaux ou encore de langages techniques (médecine, agriculture, religion, commerce, guerre…) est impressionnante. Il l’utilise pour mettre en opposition le Moyen Âge obscurantiste et les savoirs de la renaissance naissante.

L’auteur utilise l’écriture pour lutter pour la paix, la tolérance et faire l’éloge des valeurs antiques. Il dénonce l’obscurantisme suffisant.  Les princes, les théologiens et hommes d’église, à qui il reproche leurs abus, sont ses principales cibles. Pour libérer le peuple du poids pesant de la religion et de sa morale, il met en avant une culture populaire grivoise drôle et faite de jeux et de vin. Il utilise le comique (farces inspirées du Moyen Age, jeux de mots, la caricature grotesque, la comédie d’intrigue, gauloiserie grossière…) qui fait de lui un des maîtres du rire de son époque, humour qu’il pratique tout aussi bien dans la vie courante. Son œuvre est également destinée aux monarques. A travers les bons rois que sont Gargantua, Pantagruel et Grandgousier sages, pieux et pacifiques il fait l’éloge de l’idéal du prince chrétien. A la lecture de ses écrits, on découvre aussi que l’ambition de Rabelais est d’instruire et d’amuser à la fois.

Rabelais c’est aussi le gigantisme, l’euphorie de la grandeur et de la quantité bien représenté par ses personnages hors du commun que sont Gargantua et Pantagruel. Il est considéré comme le plus fascinant des conteurs.

Œuvres de François Rabelais

Pantagruel (1532)

ou « Les horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel Roi des Dipsodes, fils du Grand Géant Gargantua ».

L’auteur publie Pantagruel, sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier, alors qu’il est nommé médecin de l’Hôtel-Dieu de Lyon. L’œuvre est condamnée par les théologiens de la Sorbonne, mais il obtient la protection de jean Du Bellay évêque de Paris et futur cardinal grâce à sa réputation de médecin.

Tout en parodiant la bible l’auteur fait la généalogie du géant jusqu’à la naissance de Pantagruel un jour de grande sécheresse. Il remonte jusqu’à Caïn et Abel, pour expliquer que cette race de géants voit le jour juste après le meurtre du premier par le second. Pantagruel qui naît de Gargantua et de Badebec qui meurt en le mettant au monde, est de ceux la. Le veuf ne sait s’il doit pleurer sa femme ou se réjouir de la naissance d’un fils. L’auteur traite avec un humour irrésistible ce dilemme douleur-joie. Le père finit par surmonter sa tristesse, et passe même à une joie extrême, ce qui correspond tout à fait à la philosophie de Rabelais basée sur la vie. Regarder  de l’avant sans jamais  se retourner. Il prend ainsi la résolution de bien s’occuper de son fils, et envisage même de prendre femme.

L’auteur de cette farce nous convie à voir le géant grandir. Après l’enfance durant laquelle il est élevé différemment de ses contemporains, nous le suivons  à travers la France où son père l’envoie faire son éducation humaniste. Dans une lettre qu’il envoie à son fils alors à paris, Gargantua écrit : « …Pour cette raison, mon fils, je te conjure d’employer ta jeunesse à bien profiter en étude et en vertu », ou encore  « je t’ai donné le goût quand tu étais encore petit, à cinq ou six ans », et aussi « En somme, que je voie en toi un abîme de science ». En fait Rabelais s’adresse à travers ses personnages à la jeunesse, l’exhortant aux études pour comprendre les choses qui l’entoure, s’émanciper, devenir au sens humaniste  des « honnêtes hommes »… Le message de Rabelais c’est aussi: les enfants devenant des adultes, ils doivent conduire eux aussi des idées nouvelles.

Prince juste Pantagruel découvre lors de ses pérégrinations un monde fait d’injustices et d’abus,  où des juges grotesques et rapaces, des huissiers ou encore des sergents s’enrichissent aux dépens de plaideurs. Doué de force et d’intelligence il fréquente plusieurs universités, rencontre Panurge qui deviendra son ami pour la vie et avec lequel il va vivre des aventures  comiques et philosophiques. Aventures durant lesquelles ils rencontrent des créatures fantastiques et d’autres grotesques. Ils vivent avec Gargantua le père, des faits d’armes contre les Dipsodes qui ont envahi l’Utopie leur pays natal. Des guerres qui se terminent par la victoire sur le roi Anarche, les trois cents géants et un gigantesque loup-garou.

Quelques citations de Rabelais dans Pantagruel:

  • « Un malheur ne vient jamais seul ».
  • « Le temps est père de vérité »
  • « Faute d’argent, c’est douleur non pareille ».
  • « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

Gargantua (1534)

ou « La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel. Jadis composée par M. Alcofribas abstracteur »

Dans Garguantua on retrouve pratiquement le même schéma que dans Pantagruel. Rabelais qui remplace Panurge par le frère Jean des Entammeure, un moine bien agréable et populaire, trouve là prétexte pour donner libre cours à ses idées en relatant les aventures de trois générations. Celles du père Grandgousier, celles du fils Garguantua et celles du petit-fils Pantagruel. Le Pantagruélisme, philosophie chère à Rabelais qui consiste à profiter de toutes les bonnes choses, et l’humanisme de l’auteur sont bien mises en évidence.

Garguantua naît par l’oreille de Gargamelle, sa génitrice, onze mois après l’avoir porté. Son père Grandgousier règne sur Utopie près de Chinon (Touraine). C’est un roi sage, bon et populaire auprès de ses sujets. Il élève assez librement son fils qui reçoit d’abord une éducation de pédagogues dits traditionnels. Il est ensuite envoyé pour la parfaire à Paris par l’enseignement de Ponacrates, un précepteur humaniste, après avoir subi celle dépassée et désastreuse des théologiens de la Sorbonne. Il découvre  l’éducation humaniste et se plonge dans les textes antiques qui lui révèlent la sagesse et le savoir de leurs auteurs.

Mais voilà, le roi Pichrochole convoite Utopie et se prépare à l’investir. Grandgousier utilise tous les moyens pacifique, même en lui offrant des cadeaux, pour l’en dissuader en vain. Il n’a de choix lui, si pacifiste, que d’avoir recours aux armes et à la guerre. Accompagné du vaillant et courageux Frère Jean des Antommeures, Gargantua prend la tête des hostilités. Ils en sortent vainqueurs et Grandgousier manifeste une grand clémence à l’égard de l’ennemi vaincu qu’il laisse partir. Le royaume de Pichrochole est attribué à Pantagruel, alors que le moine est récompensé en lui accordant l’Abbaye de Thélène qui a pour devis « Fay ce que vouldras » (fais ce que tu voudras). C’est dans cette bâtisse qu’est célébrée la victoire.

Dans Gargantua Rabelais utilise son style chevaleresque propre à lui, pour faire un véritable procès de l’éducation, tout en incluant des épisodes les plus burlesques du fait notamment de la taille de son héros. Il met à profit les aventures de son héros pour, en profond humaniste qui croit en l’homme et ses progrès intellectuels et la nature, fustiger sa sombre époque faites de dérives de l’Eglise, d’obscurantisme entretenu par les théologiens et de guerres. La papauté et l’idolâtrie du Pape ne sont pas épargnées par l’auteur, qui considère le Pape comme un usurpateur et sans aucun privilège divin. Il s’en prend aux clercs pour leur ignorance, leur oisiveté et leur paresse. Le personnage de Jean des Entammeure qui aime la vie, la fête et le vin, n’est pas introduit innocemment. Il incarne le modèle même de ce que doit être un clerc.

Ainsi si Gargantua est écrit pour faire rire en même temps le lecteur, c’est pour se moquer des théologiens qui ont décrété le rire comme le propre du diable. A travers l’éducation de Gargantua, Rabelais expose sa vision d’un enseignement plus complet. Celui où la lecture et l’écriture, les sciences telles que la physiologie, l’anatomie ou encore l’astrophysique trouveraient leur place pour permettre à l’homme de mieux connaître son environnement. C’est l’étude des sciences qui permet d’ailleurs l’apparition des premières expériences, qui ont par exemple permis à Copernic d’affirmer plus tard que la terre tournait autour du soleil et non l’inverse.

Gargantua, considéré par George Sand comme une œuvre du peuple « …Ces personnages sont l’œuvre du poète ; mais je croirais que Gargantua est l’œuvre du peuple, et que, comme tous les grands créateurs, Rabelais a pris son bien où il l’a trouvé » rentre dans la mythologie française et en devient même un personnage clé. Les mythologues considèrent que derrière ce géant hors du commun vorace et amusant se cache une puissante mais non moins affable divinité qui remonterait au moins aux temps celtiques. Pour Henri Gaidozy c’est la personnification du « soleil vainqueur et glorieux », pour Guy-Edouard Pillard elle est le «symbole de l’éternelle recommencement », pour Henri Fromage c’est l’équivalent du dragon….

Extrait et quelques citations de Rabelais dans Gargantua:

  • « Toute leur vie était dirigé non par les lois, statuts ou règles, mais leur bon vouloir et leur libre-arbitre. Ils se levaient du lit quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur venait. Nul ne les éveillait, nul ne les forçait ni à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit…Ainsi l’avait établi Gargantua. Toute leur règle tenait en cette clause : Fais ce que tu voudras, car des gens libres, bien nés, bien instruits, vivants en honnête compagnie, ont par nature un instinct et un aiguillon qui pousse toujours vers la vertu et retire du vice ; c’est ce qu’ils nommaient l’honneur… Ceux-ci, quand ils sont écrasés et asservis par une vile sujétion et contrainte, se détournent de la noble passion par laquelle il tendait librement vers la vertu afin de démettre et enfreindre ce joug de servitude ; car nous entreprenons toujours les choses défendues et convoitions ce qui nous est dénié ».
  • « Adieu paniers, vendanges sont faites. »
  • « Dieu seul peut faire choses infinies ».
  • « Misère est compagne de Procès ».
  • « Le rire est le propre de l’homme ».
  • « Le grand Dieu fit les planètes et nous faisons les plats nets ».
  • « Petite pluie abat grand vent : longues beuveries rompent le tonnerre ».
  • « Lever matin n’est point bonheur ; boire matin est le meilleur ».
  • « La mule du pape ne boit qu’à ses heures ».
  • « L’appétit vient en mangeant ».
  • « Travaillez chacun en sa vocation ».

Le Tiers livre (1546)

ou « Le Tiers Livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel »

Bien que l’auteur ait renoncé aux attaques contre l’église et la Sorbonne, celle-ci condamne l’ouvrage. Il apparaît plus comme une réponse à la fameuse « querelle des femmes » entretenue par l’Amie du court (Bertrand de La Borderie) et la Parfaite Amie (Antoine Héroët). Mais beaucoup le considère comme une satire contre les femmes, alors qu’il est avant tout une œuvre humaniste où l’humour et le rire occupent une place prépondérante. De par ses nombreuses références et citations latines, elle semble s’adresser plutôt aux gens dits savants et studieux. En fait l’auteur utilise Panurge et sa quête pour se faire l’écho des débats qu’ils soient juridiques, médicaux ou encore religieux et moraux de son époque. C’est une réflexion sur  la condition humaine et l’aptitude de l’homme au savoir. Rabelais stigmatise au passage les religieux et même des corps constitués. Jugé obscène et hérétique, il s’attire les foudres de guerre des théologiens de la Sorbonne qui censurent le Tiers Livre. L’auteur obtient en septembre 1545 un privilège royal pour son impression. Ce qu’il fait en 1546, et signe pour la première fois une œuvre de son propre nom.

Panurge, personnage central du livre avec son ami Pantagruel, est préoccupé par la question du mariage. Il hésite à prendre femme pour être dispensé du service militaire, mais craint cependant d’être cocu, battu ou méprisé. Interroger les Songes, Virgil, sibylle, sorcières ou encore le poète Raminagrobis ne l’avance guère. Il s’en remet alors à l’Oracle de la Dive Bouteille pour trouver conseil. Pour se faire il embarque avec Pantagruel et d’autres compagnons pour une odyssée maritime à la recherche de l’Oracle. Ce sera l’objet du Quart livre.

Quelques citations de Rabelais dans le Tiers Livre:

  • « Le bon ange consolateur lorsqu’il apparaît à l’homme, commence par l’épouvanter pour finalement le consoler, le rendre content et satisfait. Le mauvais ange tentateur commence par réjouir l’homme, pour à la fin le laisser troublé, mécontent et perplexe ».
  • « Cette question réglée, je retourne à mon tonneau. Sus à ce vin, mes copains ! Enfants, buvez à pleins godets ! S’il ne vous semble pas bon, laissez-le. Je ne suis pas de ces importuns siffle-chope qui, par la force, par l’outrage et la violence, contraignent les troupiers et conscrits à trinquer, et même à faire cul sec, ce qui est pire. … S’il vous semble un jour épuisé jusqu’a la lie, il ne sera pourtant pas à sec. C’est Bon Espoir qui gît au fond, comme dans la bouteille de Pandore, et non Désespoir, comme dans le tonneau des Danaïdes…»
  •  « La tête perdue, ne périt que la personne ; les couilles perdues, périrait toute nature humaine ».
  • « Je ne bâtis que pierres vives, ce sont hommes ».
  • « Ce qu’à autrui tu auras fait, soit certain qu’autrui te le fera ».

Le Quart livre (1552)

ou Le Quart Livre des faits et dits Héroïques du noble Pantagruel

L’œuvre est dédiée à Odet de Coligny réformiste calviniste, cardinal de Châtillon, frère de l’amiral de Coligny et empoisonné en Angleterre lors de la Saint-Barthélémy. Elle est écrite au moment où l’auteur subit des attaques plus violentes que jamais de la part des catholiques et des protestants (ce qui lui fait dire qu’il est « entre l’enclume et les marteaux ». C’est au moment aussi où Henri II, roi d’Angleterre, projette un schisme à l’Anglaise qui déclenche la fameuse « crise gallicane » et une menace d’excommunication du souverain par le pape. Ce livre est également par le Parlement dès son apparition.

L’auteur nous embarque avec ses héros de caractères fort différents, pour nous faire vivre leur odyssée en quête de la mystérieuse Dive Bouteille. Pour rappelle son oracle devrait soulager et fixer Panurge sur la question du mariage. Celui-ci incarne la peur face au danger, alors que Pantagruel représente la conciliation prudence-espoir et Frère Jean d’Entammeure une audace et témérité excessives. Durant ce long et aventureux voyage, Rabelais s’amuse à condamner certains corps constitués, mais surtout tous ces religieux et la papauté qui prétendent régner sur les consciences par la force, et qui se dressent contre la liberté de pensée et de l’esprit.

Dans son récit Rabelais nous livre ainsi des descriptions de lieux tellement fantastiques, et d’êtres extravagants et insolites, tout en nous faisant part de l’actualité de son époque. On relèvera notamment la découverte d’autres terres, et la connaissance d’autres peuples et l’enrichissement des connaissances qu’elle engendre. C’est dans le Quart Livre qu’on peut trouver la proverbiale péripétie « des moutons de Panurge » (voir extrait)

Les personnages embarquent donc au début de l’été dans plusieurs vaisseaux. Pantagruel et Panurge sont accompagnés de frère Jean, Gymnaste, Epistémon,  Rhizotome …, de domestiques. Ils font également appel au service de Xénomanes, réputé grand navigateur, qui pense que l’oracle de la Dive Bouteille se trouve près du Catay, en Chine. L’auteur décrit d’une façon allégorique les pays qu’ils découvrent, les tempêtes auxquelles ils survivent grâce à Gargantua qui retrouve sa fabuleuse force. Un long périple les emmène donc d’aventure en aventure, d’escale en escale. Ils découvrent les Îles Mi-fantaisistes, mi-symboliques occupées par d’étranges habitants. Celle hospitalière de Cheli où règne sur une société courtoise le saint roi Panigon et dont les sujets accueillent les voyageurs en les embrassant. Il y a aussi l’Île de procuration où vivent les Chicanous, peuple de loi qui gagne sa vie à être battu. Ils font escale également dans l’Île Farouche, celle des Papinames où les gens ont un culte pour le pape dont les décrets autorisent le pape à soutirer de l’argent au royaume de France. Ils découvrent ensuite celles des Papefigues jadis riches et libres, puis agressés et asservis par les Papinames pour avoir porté atteinte à l’image du pape. L’île de Chaneph peuplée d’ermites et d’hypocrites qui vivent de mendicité… Dans le Quart livre les voyageurs n’arrivent pas à destination.

Citations et extrait de Rabelais dans le Quart Livre:

  • « Soubdain, je ne sçay comment, le cas feut subit, je ne eu loisir le consyderer, Panurge, sans aultre chose dire jette en pleine mer son mouton criant et bellant. Tous les aultres moutons crians et bellans en pareille intonation comencerent soy jecter et saulter en mer après, à la file. La foulle estoit à qui premier y saulteroit après leur compaignon. Possible n’estoit les en guarder. Comme vous sçavez estre du mouton le naturel, tous jours suyvre le premier, quelque part qu’il aille… Le marchant tout effrayé de ce que davant ses yeulx perir voyou et noyer ses moutons, s’efforçoit les empescher et retenir tout de son pouvoir. Mais c’estoit en vain. Tous à la file saultoient dedans la mer, et perissoient. Finablement il en print un grand et fort par la toison sus le tillac de la neuf, cuydant ainsi le retenir, et saulver le reste aussi consequemmeent. Le mouton feut si puissant qu’il emporta en mer avecques soy le marchant, et feut noyé en pareille forme que les moutons de Polyphemus le borgne Cyclope emporterent hors la caverne Ulyxes et ses compaignons. »
  • « Tous les diables dansent aux sonnettes ».
  • « Croyez-le, si voulez ; si ne voulez, allez y voir».
  • « L’homme naquit pour travailler, comme l’oiseau pour voler ».
  • « À la bonne et sincère amour est crainte perpétuellement annexée ».

Le Cinquième livre (1564)

ou L’Ilsle sonante

C’est la suite et la fin de l’odyssée entreprise par Pantagruel, panurge et leurs compagnons en quête de l’oracle de la Dive Bouteille. Publiée posthume, seule une partie serait vraisemblablement de Rabelais. Il est rapporté l’arrivée des voyageurs au temple où ils sont accueillis par « Thrink !» (« Bois »), comme une invitation à s’abreuver aux sources du savoir.

Mais avant, continuant leur périple, les aventuriers accostent dans l’île Sonnante. Les cloches y sonnet sans interruption, ce qui nous fait penser à Rabelais connu pour ne pas supporter leur son. Des oiseaux en cage et d’Eglise (clergaux, abbegaux, cardingaux, prêtregaux, évesgaux ou encore papegesses etc) qui ne sont pas natifs de cette terre et qui ont été envoyés par égoïsme des parents soit par pauvreté soit parce qu’ils les supportaient peuplent cette contrée.

Après les îles des Ferrements, de Cassade ou Tromperie, ils atteignent celle de Condamnation. Siège de la justice criminelle, où des chats fourrés rendent la justice : mort, pendaison, décapitation, bûcher, emprisonnement …C’est que pour eux Méchanceté est Bonté, Vice est Vertu, Trahison est Fidélité…Ils ne sont d’aucune utilité pour les Pantagruéliens quant à l’endroit où se trouve l’oracle. Ils reprennent leur route est débarquent dans l’île d’Odes. Sur cette terre les chemins se meuvent, et les voyageurs sont portés à destination sans le moindre effort.

Pontagruel et ses compagnons mouillent ensuite dans le port des Esclots ou des Sabots. Il découvre un monastère occupé par des religieux qui ont la particularité de fredonner sans cesse des psaumes, jusqu’à s’être surnommés les Fredons. Humbles ils sont différents des autres religieux, au point de susciter l’admiration de Frère Jean. Continuant leur route ils atteignent le pays de Satin. Ils y trouvent un vieillard monstrueux (OuïDire) pourvus entre autres de sept langues, d’une centaine d’oreilles et entouré par innombrables hommes et femmes qui semblent être ses disciples. Ils l’écoutent en effet attentivement, causent de choses (les Pyramides, les Pygmées, Babylone, les Troglodytes…) qu’il faudrait plus d’une vie entière pour connaître, et deviennent en quelques heures clercs ou savants. Ils voient également des figures de l’Antiquité telles Hérodote, Philostrate, Pline, Solin et autres à l’œuvre.

Les aventuriers arrivent enfin au pays des Lanternes, peuplé par des lanternes vivantes, le terme de leur odyssée. Ils sont accueillis par la reine vêtue de cristal de roche, avec laquelle ils dînent avant d’être conduits à l’oracle de la Dive Bouteille. Chemin faisant il traverse un vignoble à trois espèces de raisin. La lanterne savante qui les accompagne leur ordonne de manger trois raisins, de prendre dans la main gauche un rameau vert avant de passer sous une tonnelle toute faite de ceps de vigne. Deux portes s’ouvrent devant eux, et sont accueillis par deux inscriptions : « Ducunt volentem fata, nolentem trahunt » (Les destinées mènent celui qui consent, tirent celui qui refuse) et « Toutes choses se meuvent à leur fin ». (sentence tirée du grec).

Ils arrivent enfin à leur but. Bacbuc la prêtresse de la Dive Bouteille et sa compagnie s’avance vers eux, joyeuse et riante. Elles les invitent à boire une eau qui prend le goût du vin que chacun imagine . La prêtresse s’adresse à Panurge, à qui elle présente un livre d’argent qui est en réalité un flacon plein de vin de Falerne. Elle lui révèle le Mot sacré Trinch Trinch et lui fait tout avaler. Panurge découvre alors ce que voulait dire la Bouteille. Bacbuc explique que le mot Trinch signifie Buvez à la source de la connaissancet, Et Pontagruel réplique:

« Il n’est pas possible de mieux dire que ne fait cette vénérable prêtresse. Trinquons donc« .

Ce vin puisé à la fontaine sainte et qui semble donner à l’esprit puissance et force représente en fait la science. L’Oracle a répondu aux voyageurs par Trinch, c’est-à-dire abreuver vous de sciences qui enseignent les vrais devoirs et ouvrent les portes du bonheur. « Fuyez les hypocrites, les ignorants, les méchants ; affranchissez­-vous des vaines terreurs ; étudiez l’homme et l’univers ; connaissez les lois du monde physique et moral, afin de vous y soumettre et de ne vous soumettre qu’à elles ; buvez, buvez la science ; buvez la vérité ; buvez l’amour ». C’est ce qu’est venu en réalité chercher le grand Pantagruel, le sort de l’humanité, sous le pretexte d’aider Panurge à trouver conseil sur la mariage.

Quelques citations Rabelais dans le Cinquième livre:

  •  « Ignorance est mère de tous les maux.  »
  • « Amis, vous noterez que par le monde y a beaucoup plus de couillons que d’hommes ».
  • « Connaître pour aimer, c’est le secret de la vie ».
  • « Fuyez les hypocrites, les ignorants, les méchants ; affranchissez¬vous des vaines terreurs ; étudiez l’homme et l’univers ; connaissez les lois du monde physique et moral, afin de vous y soumettre et de ne vous soumettre qu’à elles ; buvez, buvez la science ; buvez la vérité ; buvez l’amour ».

Epitaphes et hommages à François Rabelais:

  • L’éditeur (anonyme) posthume de Rabelais met en tête du Cinquième Livre cette épitaphe:

« Rabelais est-­il mort ? Voici encore un livre.
Non, sa meilleure part a repris ses esprits,
Pour nous faire présent de l’un de ses écrits
Qui le rend entre tous immortel et fait vivre. c’est­-à­-dire, autant que je puis comprendre :
Rabelais est mort, mais il a repris ses sens pour nous faire présent de ce livre »

  • Jean-Antoine de Baïf (poète XVIe) celle-ci:

« Ô Pluton, Rabelais reçoi,
Afin que toi qui es le roi
De ceux qui ne rient jamais
Tu ais un rieur désormais »
Pierre de Ronsard (poète XVIe) celle là :
« Jamais le soleil ne l’a vu,
Tant fût ¬il matin, qu’il n’eût bu,
Et jamais au soir la nuit noire,
Tant fût tard, ne l’a vu sans boire.
Il chantait la grande massue
Et la jument de Gargantue,
Le grand Panurge et le pays
Des Papimanes ébahis,
Leurs lois, leurs façons, leurs demeures,
Et frère Jean des Entommeures
Et d’Épistémon les combats.
Ô toi, quiconque sois, qui passes,
Sur sa fosse répands des tasses,
Répands du brit et des flacons,
Des cervelas et des jambons. »

  • Voltaire, madame de sévigné, la Fontaine, Racine ou encore Molière sont connus pour être Pantagruélistes. Pour le premier Rabelais est « un philosophe ivre ». Plus tard Chateaubriand le qualifie de génie-mère de l’humanité, Victor Hugo de « gouffre de l’esprit » (notamment pour son « rire énorme »), Michelet à propos de son oeuvre « Le sphinx ou la chimère, un monstre à cent têtes, à cent langues, un chaos harmonique, une farce de portée infinie, une ivresse lucide à merveille, une folie profondément sage. » Tout en s’inspirant de son œuvre et de son écriture, tout en exprimant son admiration, Balzac le considère comme « le plus grand esprit de l’humanité moderne »
  • L’Université de Tours porte son nom
  • Les médecins de la faculté de médecine de Montpellier prête serment vêtu de la « robe de Rabelais ». Le Jardin des plantes de la même ville l’a immortalisé en érigeant une statue, comme pour veiller les centaines d’espèces.
  • La mairie de Meudon dont il fut curé, a élevée dans ses jardins en 1943 une statue de Rabelais.

Quelques écrits sur François Rabelais et son œuvre :

  • Lucien Febvre « Le problème de l’incroyance au XVIe siècle. La religion de Rabelais. » 1947
  • Abel Lefranc «Rabelais, Etudes sur Gargantua, Pantagruel et le Tiers Livre » 1953
  • Henri Lefebre « Rabelais » 1955
  • L. Saulnier « Le dessein de Rabelais » 1957
  • Alfred Glauser « Rabelais créateur » 1966
  • Jean Larmat « Le Moyen Âge dans le Gargantua de Rabelais » 1973
  • Mikhaïl Bakhtine « L’œuvre de François Rabelais et la culture populaire du Moyen Âge et sous la Renaissance » 1982.
  • François Rogolot « Les langages de Rabelais » 1996
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