Charles d’Orléans, ou la vie agitée d’un prince-poète

27 Nov 2013 | Publié par mus dans Histoire de la littérature française | Litterature médiévale
Charles d'Orléans dans sa prison anglaise
Charles d'Orléans dans sa prison anglaise

Biographie du duc Charles d’Orléans:

Ce prince si proche de la couronne de France, petit-fils, neveu, cousin et père de rois, manquera peut-être ainsi le destin politique qui aurait pu être le sien.
Mais il deviendra l’un des poètes les plus émouvants qui soient par son attention mélancolique et souriante, familière et lasse, aux mouvements de l’âme, à ses humeurs changeantes, à la couleur de l’instant qui passe, au temps qui fuit.

Petit- fils du roi Charles V et père du futur roi louis XII, Charles d’Orléans naît à Paris le 24 novembre 1394 de Louis I duc Orléans et de Valentine Visconti fille du duc de Milan. Frère du futur roi de France Charles VI, l’enfance du prince français est marquée par la terrible rivalité qui oppose son père à Jean sans Peur duc de Bourgogne. Rivalité d’autant plus tragique qu’elle aboutie à la guerre civile entre Bourguignons et Armagnacs.

Malgré tout il reçoit de sa mère une éducation des plus distinguées, qui lui fait prendre goût aux lettres et aux arts. Il épouse en 1406 Isabelle de Valois, fille de Charles VI sa cousine germaine (veuve de Richard II d’Angleterre). Mais le malheur s’abat vite sur sa famille. En 1407 il perd d’abord son père, assassiné sur ordre de Jean sans Peur. En tant qu’aîné il hérite d’une grosse part de l’héritage : le duché d’Orléans, les comtés de Blois et de Valois et les seigneuries Coucy et Chauny. Comme un malheur n’arrive jamais seul, sa mère très affectée décède à son tour moins d’une année après. Sa femme Isabelle de France meurt à son tour en 1408 en donnant vie à une fille. Il se remarie en 1410 avec Bonne d’Armagnac la fille du comte Bernard VII d’Armagnac (grand féodal du Sud-Ouest).

Le 25 octobre 1415 Charles Orléans est fait prisonnier après la débâcle de la bataille d’Azincourt (contre Henri V et les Anglais) à laquelle il prend part. Il est emmené en Angleterre, et sa libération est conditionnée par le versement d’une rançon de 220 000 écus. Jugée faramineuse personne ne se manifeste pour la payer. Il passe vingt-cinq longues années dans les prisons anglaises. Il met alors à profit cette longue captivité anglaise, pour développer ses talents de poète. Sans doute par soucis, tout au moins au début, de meubler ses journées de solitude et d’isolement loin de son pays et de sa famille.

Les démarches entremises par Philippe le Bon, duc de Bourgogne aboutissent. Celui-ci paye la rançon et le prince-poète est libéré le 5 novembre 1440. Il est alors âgé de 49 ans. Devenu veuf durant sa captivité, il épouse Marie de Clèves nièce de son libérateur et petite-fille du meurtrier de son père. Ce mariage selle la réconciliation entre les maisons d’Orléans et celles des Bourguignons. L’auteur se retire ensuite dans son château de Blois. Il ouvre un cercle académique ouvert à tous les beaux esprits. Des tournois littéraires sont organisés. C’est là que François Villon fait ses débuts alors qu’il n’est qu’écolier. Tout comme de nombreux autres poètes, il bénéficie des faveurs de Charles d’Orléans qui les entretient.

Charles d’Orléans est pour certains l’un des derniers trouvères (poètes et chanteurs) en langue d’oïl. Avec sa tranquillité d’âme et sa grande amabilité il nous a transmis les peines, les larmes, les espoirs d’un poète résigné dont les vers sont tout de sensibilité et de douceur. Il meurt à Amboise le 5 janvier 1465. Inhumé en l’église du Saint-Sauveur à Blois, ses restes funéraires sont rapatriés plus tard à Paris (avec ceux de sa famille) par son fils, le roi Louis XII.

Oeuvre de Charles d’Orléans :

A cause du dédain et de l’indifférence de Louis XII et François I, les manuscrits des poésies du prince-poète sont oubliés au fond d’une bibliothèque…trois siècles durant. C’est en  feuilletant des livres poussiéreux, que l’abbé Sallier les découvrent par hasard. Après trois siècles d’oubli, ils sont dépoussiérés et imprimés pour connaître un grand succès. « …Jamais on n’a dit des riens avec plus de grâce et de finesse; jamais les sentiments doux, tendres sans vraie passion, mélancoliques sans vraie tristesse, n’ont trouvé un interprète plus délicat; jamais l’ironie sur soi-même et sur les autres n’a été plus légère et plus bienveillante; jamais avant lui le français n’avait été manié avec cette aisance et cette adresse. » Écrivait Gaston Paris dans « Monde poétique » 1886.

Et pourtant, Charles d’Orléans est l’auteur d’une œuvre considérable composée essentiellement de ballades et de rondeaux. On dénombre pas moins de 102 ballades, 400 rondeaux, 131 chansons et sept complaintes en plus de quelques pièces poétiques écrites en anglais. Ses écrits contrastent avec la réalité de sa vie bien ébranlée et tourmentée. Comme si « La poésie était pour lui un passe-temps, un amusement d’imagination et non un cri de l’âme ».

L’œuvre de Charles est composée de deux parties. Celle qui regroupe les vers écrits en captivité est désignée par « le Livre que monseigneur l’Orléans écrivit dans sa prison ». L’allégorie amoureuse faisant l’éloge de dame Beauté occupe la plus large place, et on a du mal à croire que c’est là les écrits du neveu du roi de France, de quelqu’un qui a perdu un père assassiné, une mère morte de douleur et qui se retrouve prisonnier des pires ennemis de la France. On retrouve les personnages du Roman de la Roses tels que Vénus, Cupido, Espoir Amour, Pitié, Tristesse, Plaisance ou encore Mélancolie…

La seconde partie de son œuvre est écrite en France après sa libération.

Œuvres du poète Charles d’Orléans:

Quelques ballades

  • Bien moustrez, Printemps gracieux
  • En acquittant nostre temps vers jeunesse
  • En la forest d’Ennuyeuse Tristesse
  • En la forêt de Longue Attente
  • En la nef de bonne nouvelle
  • En regardant vers le païs de France
  • Escollier de Merencolie
  • France, jadis on te soulait nommer
  • J’ay fait l’obseque de ma dame
  • Je fu en fleur ou temps passé d’enfance
  • Je meurs de soif en couste la fontaine
  • Je n’ay plus soif, tairie est la fontaine
  • Las ! Mort, qui t’a fait si hardie
  • Le beau souleil, le jour saint Valentin
  • Le lendemain du premier jour de may
  • Le premier jour du mois de may
  • Mon cueur m’a fait commandement
  • Pourquoy m’as tu vendu, Jeunesse
  • Quant vint a la prochaine feste

Quelques extraits:

Bien moustrez, Printemps gracieux

Bien moustrez, Printemps gracieux
De quel mestier savez servir,
Car Yver fait cueurs ennuieux,
Et vous les faictes resjouir.
Si tost comme il vous voit venir,
Lui et sa meschant retenue
Sont contrains et prestz de fuir
A vostre joyeuse venue.
 
Yver fait champs et arbres vieulx,
Leurs barbes de neige blanchir,
Et est si froit, ort* et pluieux
Qu’emprés le feu couvient croupir ;
On ne peut hors des huis yssir**
Comme un oisel qui est en mue.
Mais vous faittes tout rajeunir
A vostre joyeuse venue…
 
 Le lendemain du premier jour de may
 
Le lendemain du premier jour de may,
Dedens mon lit ainsi que je dormoye,
Au point du jour m’avint que je songay
Que devant moy une fleur je veoye,
Qui me disoit : « Amy, je me souloye
En toy fier, car pieça mon party
Tu tenoies ; mais mis l’as en oubly
En soustenant la fueille contre moy.
J’ay merveille que tu veulx faire ainsi :
Riens n’ay meffait, se pense je, vers toy. »
 
Tout esbahy alors je me trouvay ;
Si respondy su mieulx que je savoye :
Tres belle fleur, oncques ne pensay
Faire chose qui desplaire te doye ;
Se pour esbat aventure m’envoye
Que je serve la fueille cest an cy,
Doy je pour tant estre de toy banny ?
Nenni ! certes, je fais comme je doy.
Et se je tiens le party qu’ay choisy,
Riens n’ay meffait, ce pense je, vers toy.

En acquittant nostre temps vers jeunesse

En acquittant nostre temps vers jeunesse,
Le nouvel an et la saison jolie,
Plains de plaisir et de toute liesse
– Qui chascun d’eulx chierement nous en prie -,
Venuz sommes en ceste mommerie*,
Belles, bonnes, plaisans et gracieuses,
Prestz de dancer et faire chiere lie
Pour resveillier voz pensees joieuses.
 
Or bannissiez de vous toute peresse,
Ennuy, soussy, avec merencolie,
Car froit yver, qui ne veult que rudesse,
Est desconfit et couvient qu’il s’en fuye !
Avril et may amainent doulce vie
Avecques eulx ; pource soyez soingneuses
De recevoir leur plaisant compaignie
Pour resveillier voz pensees joieuses !…

En regardant vers le païs de France

En regardant vers le païs de France,
Un jour m’avint, a Dovre sur la mer,
Qu’il me souvint de la doulce plaisance
Que souloye oudit pays trouver ;
Si commençay de cueur a souspirer,
Combien certes que grant bien me faisoit
De voir France que mon cueur amer doit.
 
Je m’avisay que c’estoit non savance
De telz souspirs dedens mon cueur garder,
Veu que je voy que la voye commence
De bonne paix, qui tous biens peut donner ;
Pour ce, tournay en confort mon penser.
ais non pourtant mon cueur ne se lassoit
De voir France que mon cueur amer doit.
 
Alors chargay en la nef d’Esperance
Tous mes souhaitz, en leur priant d’aler
Oultre la mer, sans faire demourance,
Et a France de me recommander.
Or nous doint Dieu bonne paix sans tarder !
Adonc auray loisir, mais qu’ainsi soit,
De voir France que mon cueur amer doit…

En la forêt de Longue Attente (en français moderne)

En la forêt de Longue Attente
Chevauchant par divers sentiers
M’en vais, cette année présente,
Au voyage de Desiriers.
Devant sont allés mes fourriers
Pour appareiller mon logis
En la cité de Destinée ;
Et pour mon coeur et moi ont pris
L’hôtellerie de Pensée.

Je mène des chevaux quarante
Et autant pour mes officiers,
Voire, par Dieu, plus de soixante,
Sans les bagages et sommiers.
Loger nous faudra par quartiers,
Si les hôtels sont trop petits ;
Toutefois, pour une vêprée,
En gré prendrai, soit mieux ou pis,
L’hôtellerie de Pensée…

En la forest d’Ennuyeuse Tristesse

En la forest d’Ennuyeuse Tristesse,
Un jour m’avint qu’a par moy cheminoye,
Si rencontray l’Amoureuse Deesse
Qui m’appella, demandant ou j’aloye.
Je respondy que, par Fortune, estoye
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu’a bon droit appeller me povoye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va.
 
En sousriant, par sa tresgrant humblesse,
Me respondy : « Amy, se je savoye
Pourquoy tu es mis en ceste destresse,
A mon povair voulentiers t’ayderoye ;
Car, ja pieça, je mis ton cueur en voye
De tout plaisir, ne sçay qui l’en osta ;
Or me desplaist qu’a present je te voye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va.

— Helas ! dis je, souverainne Princesse,
Mon fait savés, pourquoy le vous diroye ?
C’est par la Mort qui fait a tous rudesse,
Qui m’a tollu celle que tant amoye,
En qui estoit tout l’espoir que j’avoye,
Qui me guidoit, si bien m’acompaigna
En son vivant, que point ne me trouvoye
L’omme esgaré qui ne scet ou il va. »…

Traduction en français moderne:

Un jour m’advint qu’à part moi cheminais,
Si rencontrai l’Amoureuse Déesse
Qui m’appela, demandant où j’allais.
Je répondis que, par Fortune, étais
Mis en exil en ce bois, long temps a,
Et qu’à bon droit appeler me pouvait
L’homme égaré qui ne sait où il va.

En souriant, par sa très grande humblesse,
Me répondit : « Ami, si je savais
Pourquoi tu es mis en cette détresse,
À mon pouvoir volontiers t’aiderais ;
Car, jà piéça, je mis ton cœur en voie
De tout plaisir, ne sais qui l’en ôta ;
Or me déplaît qu’à présent je te vois
L’homme égaré qui ne sait où il va. »

– Hélas ! dis-je, souveraine Princesse,
Mon fait savez, pourquoi le vous dirais ?
C’est par la Mort qui fait à tous rudesse,
Qui m’a tollu celle que tant aimais,
En qui était tout l’espoir que j’avais,
Qui me guidait, si bien m’accompagna
En son vivant, que point ne me trouvais
L’homme égaré qui ne sait où il va.

France, jadis on te soulait nommer

France, jadis on te soulait nommer,
En tous pays, le trésor de noblesse,
Car un chacun pouvait en toi trouver
Bonté, honneur, loyauté, gentillesse,
Clergie, sens, courtoisie, prouesse.
Tous étrangers aimaient te suivre.
Et maintenant vois, dont j’ai déplaisance,
Qu’il te convient maint grief mal soustenir,
Très chrétien, franc royaume de France.
 
Sais-tu d’où vient ton mal, à vrai parler ?
Connais-tu point pourquoi es en tristesse ?
Conter le veux, pour vers toi m’acquitter,
Ecoute-moi et tu feras sagesse.
Ton grand orgueil, glotonnie, paresse,
Convoitise, sans justice tenir,
Et luxure, dont as eu abondance,
Ont pourchacié vers Dieu de te punir,
Très chrétien, franc royaume de France…
 
Et je, Charles, duc d’Orléans, rimer
Voulus ces vers au temps de ma jeunesse ;
Devant chacun les veux bien avouer,
Car prisonnier les fis, je le confesse ;
Priant à Dieu, qu’avant qu’aie vieillesse,
Le temps de paix partout puisse avenir,
Comme de cœur j’en ai la désirance,
Et que voie tous tes maux brief finir,
Très chrétien, franc royaume de France !…

Le beau souleil, le jour saint Valentin (En français moderne)

Le beau souleil, le jour saint Valentin,
Qui apportoit sa chandelle alumee,
N’a pas longtemps entra un bien matin
Priveement en ma chambre fermee.
Celle clarté qu’il avoit apportee,
Si m’esveilla du somme de soussy
Ou j’avoye toute la nuit dormy
Sur le dur lit d’ennuieuse pensee.
 
Ce jour aussi, pour partir leur butin
Les biens d’Amours, faisoient assemblee
Tous les oyseaulx qui, parlans leur latin,
Crioyent fort, demandans la livree
Que Nature leur avoit ordonnee
C’estoit d’un per comme chascun choisy.
Si ne me peu rendormir, pour leur cry,
Sur le dur lit d’ennuieuse pensee…

Mon cueur m’a fait commandement

Mon cueur m’a fait commandement 
De venir vers vostre jeunesse, 
Belle que j’ayme loyaument,
Comme doy faire ma princesse.
Se vous demandés :  » Pour quoy esse ?
C’est pour savoir quant vous plaira
Alegier sa dure destresse
Ma dame, le sauray je ja?
 
Ditez le par vostre serment !
Je vous fais leale promesse
Nul ne le saura, seulement
Fors que lui pour avoir leesse.
Or lui moustrés qu’estes maistresse
Et lui mandez qu’il guerira,
Ou s’il doit morir de destresse !
Madame, le sauray je ja ?…

Traduction en français moderne:

Mon cœur m’a fait commandement
De venir vers votre jeunesse,
Belle que j’aime loyaument,
Comme dois faire ma princesse.
Se vous demandez : Pour quoi est-ce ?
C’est pour savoir quand vous plaira
Alléger sa dure détresse
Ma dame, le saurai-je jà ?

Dites-le par votre serment !
Je vous fais léale promesse
Nul ne le saura, seulement
Fors que lui pour avoir liesse.
Or lui montrez qu’êtes maîtresse
Et lui mandez qu’il guérira,
Ou s’il doit mourir de détresse !
Ma dame, le saurai-je jà ?

Pourquoy m’as tu vendu, Jeunesse

Pourquoy m’as tu vendu, Jeunesse,
A grant marchié, comme pour rien,
Es mains de ma dame Viellesse
Qui ne me fait gueres de bien ?
A elle peu tenu me tien,
Mais il convient que je l’endure,
Puis que c’est le cours de nature.
 
Son hostel de noir de tristesse
Est tandu. Quant dedans je vien,
J’y voy l’istoire de Destresse
Qui me fait changer mon maintien,
Quant la ly et maint mal soustien :
Espargnee n’est créature,
Puis que c’est le cours de nature…

Traduction en français moderne:

Pourquoi m’as-tu vendu, Jeunesse,
À grand marché, comme pour rien,
Ès mains de ma dame Vieillesse
Qui ne me fait guère de bien ?
À elle peu tenu me tiens,
Mais il convient que je l’endure,
Puisque c’est le cours de nature.

Son hôtel de noir de tristesse
Est tendu. Quant dedans je viens,
J’y vois l’histoire de Détresse
Qui me fait changer mon maintien
Quand la lis, et maint mal soutien :
Épargnée n’est créature,
Puisque c’est le cours de nature.

Quant vint a la prochaine feste

Quant vint a la prochaine feste
Qu’Amours tenoit son parlement,
Je lui presentay ma requeste
Laquelle leut tresdoulcement,
Et puis me dist :  » Je suy dolent
Du mal qui vous est avenu,
Mais il n’a nul recouvrement,
Quant la mort a son cop féru.
 
Eslongnez hors de vostre teste
Vostre douloreux pensement !
Moustrez vous homme, non pas beste !
Faittes que, sans empeschement,
Ait en vous le gouvernement
Raison qui souvent a pourveu
En maint meschief tressagement,
Quant la mort a son cop féru…

Traduction en français moderne:

Quant vint à la prochaine fête,
Qu’Amour tenait son Parlement,
Je lui présentai ma requête
Laquelle lut très doucement,
Et puis me dit : Je suis dolent
Du mal qui vous est advenu ;
Mais il n’a nul recouvrement,
Quand la Mort a son coup féru.

Éloignez hors de votre tête
Votre douloureux pensement,
Montrez-vous homme, non pas bête,
Faites que, sans empêchement,
Ait en vous le gouvernement
Raison, qui souvent a pourvu
En maint méchef, très sagement,
Quand la Mort a son coup féru…

Priez pour la paix 

Priez pour paix, doulce Vierge Marie,
Royne des cieulx, et du monde maistresse
Faites prier, par vostre courtoisie,
Saincts et sainctes, et prenez vostre adresse
Vers vostre filz, requerrant sa haultesse
Qu’il lui plaise son peuple regarder
Que de son sang a voulu racheter,
En deboutant guerre qui tout desvoye ;
De prieres ne vous vueilliez lasser,
Priez pour paix, le vray tresor de joye.
 
Prier, prélaz et gens de saincte vie,
Religieux, ne dormez en paresse,
Priez, maistres et tous suivant clergie,
Car par guerre fault que l’estude cesse ;
Moustiers destruiz sont sans qu’on les redresse,
Le service de Dieu vous fault laisser,
Quand ne pouvez en repos demourer ;
Priez si fort que briefment Dieu vous oye 1,
L’Église voult à ce vous ordonner ;
Priez pour paix, le vray tresor de joye.
 
Priez, princes qui avez seigneurie,
Roys, ducs, comtes ; barons plains de noblesse,
Gentilz hommes avec chevalerie,
Car meschans gens surmontent gentillesse ;
En leurs mains ont toute vostre richesse
Debatz les font en hault estat monter 2,
Vous le povez chascun jour voir au cler,
Et sont riches de vos biens et monnoye
Dont vous deussiez le peuple supporter ;
Priez pour paix, le vray tresor de joye…

Traduction en français moderne:

Priez pour paix, douce Vierge Marie,

Reine des cieux et du monde maistresse,

Faites prier, par vostre courtoisie,

Saints et saintes, et prenez vostre adresse

Vers vostre fils, requérant sa hautesse

Qu’il lui plaise son peuple regarder

Que de son sang a voulu racheter,

En deboutant guerre qui tout desvoie;

De prières ne vous veuillez lasser,

Priez pour paix, le vrai trésor de joie.

 

Priez, prélats et gens de sainte vie,

Religieux, ne dormez en paresse,

Priez, maistres et tous suivant clergie,

Car par guerre faut que l’estude cesse;

Moustiers destruits sont sans qu’on les redresse,

Le service de Dieu vous faut laisser,

Quand ne pouvez en repos demeurer;

Priez si fort que briefment Dieu vous oie,

L’Eglise veut à ce vous ordonner;

 

Priez pour paix, le vrai trésor de joie…

Priez, peuples qui souffrez tyrannie,

Car vos seigneurs sont en telle faiblesse

Qu’ils ne peuvent vous garder pour maistrie,

Ni vous aider en votre grand destresse;

Loyaux marchands, la selle si vous blesse

Fort sur le dos, chacun vous vient presser

Et ne pouvez marchandise mener,

Car vous n’avez sûr passage ni voie,

En maint péril vous convient-il passer;

Priez pour paix, le vrai trésor de joie… 

Quelques rondeaux

  • Ce premier jour du mois de may
  • Dedens mon Livre de Pensee
  • Dieu, qu’il la fait bon regarder
  • En faictes vous doubte
  • En verrai ge jamais la fin
  • En yver, du feu, du feu !
  • Fiés vous y !
  • J’ayme qui m’ayme, autrement non
  • Le temps a laissié son manteau
  • Les fourriers d’Eté sont venus
  • Ma seule amour…
  • Mon cuer, estouppe tes oreilles
  • Ne hurtez plus a l’uis de ma pensee
  • Ou puis parfont de ma merencolie
  • Puis ça, puis la…
  • Que me conseillez-vous, mon coeur ?
  • Qui ? quoy ? comment ? a qui ? pourquoy ?
  • Qui a toutes ses hontes beues
  • Vostre bouche dit…
  • Yver, vous n’estes qu’un villain

Extraits de quelques rondeaux:

Ce premier jour du mois de may

Ce premier jour du mois de may,
Quant de mon lit hors me levay
Environ vers la matinee,
Dedans mon jardin de pensee
Avecques mon cueur seul entray.
 
Dieu scet s’entrepris fu d’esmay!
Car en pleurant tout regarday
Destruit d’ennuyeuse gelee,
Ce premier jour du mois de may,
Quant de mon lit hors me levay.
 
En gast fleurs et arbres trouvay ;
Lors au jardinier demanday
Se Desplaisance maleuree
Par tempeste, vent ou nuee
Avoit fait tel piteux array,
Ce premier jour du mois de may.

Le temps a laissé son manteau

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.
 
Il n’y a beste, ne oyseau,
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissié son manteau !
 
Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livree jolie,
Gouttes d’argent, d’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau :
Le temps a laissié son manteau !
 

Traduction en français moderne:

Le temps a laissé son manteau

De vent, de froidure et de pluie,

Et s’est vêtu de broderie,
De soleil luisant, clair et beau

Il n’y a bête ni oiseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
« Le temps a laissé son manteau !
De vent, de froidure et de pluie,»

Rivière, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent, d’orfèvrerie ;
Chacun s’habille de nouveau.

 
Dieu, qu’il la fait bon regarder
 
Dieu, qu’il la fait bon regarder,
La gracieuse, bonne et belle !
Pour les grans biens qui sont en elle,
Chascun est prest de la louer.
 
Qui se pourroit d’elle lasser ?
Tousjours sa beauté renouvelle,
Dieu, qu’il la fait bon regarder,
La gracieuse, bonne et belle !
 
Par deça ne dela la mer
Ne sçay dame ne damoiselle
Qui soit en tous biens parfais telle ;
C’est un songe que d’y penser.
Dieu, qu’il la fait bon regarder !

Yver, vous n’estes qu’un villain

Yver, vous n’estes qu’un villain!
Esté est plaisant et gentil
en témoing de may et d’avril
qui l’accompaignent soir et main.

Esté revet champs bois et fleurs
de salivrée de verdure
et de maintes autres couleurs,
par l’ordonnance de nature.

Mais vous, Yver, trop estes plein
de nége, vent, pluye et grézil.
On vous deust banir en éxil.
Sans point flater je parle plein:
Yver, vous n’estes qu’un villain!…

Traduction en français moderne:

Hiver, vous n’êtes qu’un vilain,
Eté est plaisant et gentil,
En temoin de Mai et Avril
Qui l’accompagnent soir et matin

Eté revêt champs, bois et fleurs

De sa livrée de verdure,

Et de maintes autres couleurs,
Par l’ordonnance de Nature.

Mais, vous hiver, trop êtes plein

De neige, vent, pluie et grésil :
On vous dût bannir en exil .
Sans point flatter, je parle plain ,
Hiver, vous n’êtes qu’un vilain !…

Ma seule amour

Ma seule amour, ma joye et ma maistresse,
Puisqu’il me fault loing de vous demorer,
Je n’ay plus riens, à me reconforter,
Qu’un souvenir pour retenir lyesse. 
 
En allegant, par Espoir, ma destresse,
Me couvendra le temps ainsi passer,
Ma seule amour, ma joye et ma maistresse,
Puisqu’il me fault loing de vous demorer. 
Car mon las cueur, bien garny de tristesse,
S’en est voulu avecques vous aler,
Ne je ne puis jamais le recouvrer,
Jusques verray vostre belle jeunesse,
Ma seule amour, ma joye et ma maistresse.
 

Traduction en français moderne:

Ma seule amour, ma joie et ma Maîtresse,

Puisqu’il me faut loin de vous demeurer,
Je n’ai plus rien, à me réconforter,
Qu’un souvenir pour retenir liesse.

En allégeant par Espoir ma détresse,
Me conviendra le temps ainsi passer,
Ma seule amour, ma joie et ma Maîtresse,

Puisqu’il me faut loin de vous demeurer.

Car mon cœur las, bien garni de tristesse,
S’en est voulu avecques vous aller,
Et ne pourrai jamais le recouvrer
Jusques verrai votre belle jeunesse,
Ma seule amour, ma joie et ma Maîtresse

Vostre bouche dit…

Vostre bouche dit : Baisiez moy,
Ce m’est avis quant la regarde ;
Mais Dangier de trop prés la garde,
Dont mainte doleur je reçoy.
 
Laissiez m’avoir, par vostre foy,
Un doulx baisier, sans que plus tarde ;
Vostre bouche dit : Baisiez moy,
Ce m’est avis quant la regarde…

Que me conseillez-vous, mon cœur ? (en français moderne)

Que me conseillez-vous, mon cœur ?
Irai-je par devers la belle
Lui dire la peine mortelle
Que souffrez pour elle en douleur ?
 
Pour votre bien et son honneur,
C’est droit que votre conseil céle.
Que me conseillez-vous, mon coeur,
Irai-je par devers la belle ?
 
Si pleine la sais de douceur
Que trouverai merci en elle,
Tôt en aurez bonne nouvelle.
J’y vais, n’est-ce pour le meilleur ?
Que me conseillez-vous, mon cœur ?

Dedans mon Livre de Pensée (En français moderne)

Dedans mon Livre de Pensée,
J’ai trouvé écrivant mon cœur
La vraie histoire de douleur,
De larmes toute enluminée,
 
En effaçant la très aimée
Image de plaisante douceur,
Dedans mon Livre de Pensée!
 
Hélas ! où l’a mon cœur trouvée ?
Les grosses gouttes de sueur
Lui saillent, de peine et labeur
Qu’il y prend, de nuit et journée,
Dedans mon Livre de Pensée !

Chansons

  • En songe, souhait et pensée
  • Laissez-moi penser à mon aise
  • Ma seule amour
  • Ma seule amour que tant désire
  • Les fourriers d’Amours m’ont logé
  • Mon cœur, estouppe tes oreilles
  • Ne hurtez plus a l’uis de ma pensee
  • N’est-elle de tous biens garnie
  • Ou puis parfont de ma merencolie
  • Petit mercier, petit panier
  • Quelque chose que je dis d’amour

Extraits de quelques chansons

En songe, souhait et pensée (en français moderne)

En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine ;
Combien qu’êtes de moi lointaine,
Belle, très loyalement aimée.
 
Pour ce qu’êtes le mieux parée
De toute plaisance mondaine,
En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine.
 
De tout vous ai l’amour donné ;
Vous en pouvez être certaine,
Ma seule dame souveraine,
De mon las cœur moult désirée,
En songe, souhait et pensée

Laissez-moy penser à mon ayse

Laissez-moy penser à mon ayse,
Hélas! donnez m’en le loysir.
Je devise avecques Plaisir,
Combien que ma bouche se taise.
 
Quand Merencolie mauvaise
Me vient maintes fois assaillir,
Laissez-moy penser à mon ayse,
Hélas! donnez m’en le loysir.
Car afin que mon cueur rapaise,
J’appelle Plaisant-Souvenir,
Qui tantost me vient resjoüir.
Pour ce, pour Dieu! ne vous desplaise,
Laissez-moy penser à mon ayse.

Traduction en français moderne:

Laissez-moi penser à mon aise,

Hélas! donnez-m’en le loisir.

Je devise avecque Plaisir

Combien que ma bouche se taise.

 

Quand mélancolie mauvaise

me vient maintes fois assaillir,

Laissez-moi penser à mon aise,

Hélas! donnez-m’en le loisir.

 

Car, afin que mon coeur rapaise,

J’appelle Plaisant Souvenir,

Qui tantôt me vient réjouir,

Pour ce, pour Dieu, ne vous déplaise,

Laissez-moi penser à mon aise

En songe, souhait et pensée

En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine ;
Combien qu’êtes de moi lointaine,
Belle, très loyalement aimée.
 
Pour ce qu’êtes le mieux parée
De toute plaisance mondaine,
En songe, souhait et pensée,
Vous vois chaque jour de semaine.
 
 De tout vous ai l’amour donné ;
Vous en pouvez être certaine,
Ma seule dame souveraine,
De mon las cœur moult désirée,
En songe, souhait et pensée.

Mon cueur, estouppe tes oreilles

Mon cueur, estouppe tes oreilles,
Pour le vent de Merencolie ;
S’il y entre, ne doubte mye,
Il est dangereux à merveilles ;
 
Soit que tu dormes ou tu veilles,
Fays ainsi que dy, je t’en prie.
Mon cueur, estouppe tes oreilles,
Pour le vent de Merencolie ;
 
Il cause doleurs nompareilles,
Dont s’engendre la maladie
Qui n’est pas de legier guerie ;
Croy moy, s’a raison te conseilles.
Mon cueur, estouppe tes oreilles.

Quelques pièces poétiques:

  • Le Livre contre tout péché
  • La Retenue d’Amours
  • Le Songe en complainte
  • La Départie d’Amour

Extraits de quelques pièces poétiques

Le Livre contre tout péché

Rédigé en 1404 à l’âge de 10 ans donc), c’est le premier poème de Charles d’Orléans. C’est un court traité moral qui passe en revue les sept péchés capitaux.

Qui veult à grant honneur venir
Il doit l’amour Dieu acquérir
Car sans icelle moiennent
Nul ne peut faire bonnement
Aucune morale ëuvre
Pour ce pri à la Trinité
Et la dame d’umilité
Qu’ilz me veuillent tel sens donner
Qu’un livre puisse composer
Qui soit d’aucune utilité,
Pourfitant à humanité,
Et l’honneur de Dieu, et prouffit
De celui qui ce livre fit,
Lequel livre est appelé,
Le livre contre tout péché
 
Le songe en complainte
 
A très noble, haut et puissant seigneur
Amour, princve de mondaine doulceur.
 
Avescques ce, humblement vous mercie
Des biens quay eus soulz vostres seigneurie ;
Autre chose m’escris, quant à présent,
Fors que je pry à Dieu, le Tout Puissant,
Qu’il vous ottroit honneur et longue vie ;
Et que puissiez tousjours la compaignie
De faulx Dangier surmonter et deffaire,
Qui en tout temps vous a été contraire.
Escript ce jour troisième, vers le soir,
En Novembre, au lieu de Nonchaloir.
Le bien vostres, Charles, duc d’Orlians,
Qui jadis fut l’un de vos vrais servans…
 

Oeuvres mises en musique:

Le compositeur français Claude Debussy (1862-1918):

  • Dieu! qu’il la fait bon regarder!
  • Quand j’ai ouy le tambourin
  • Yver, vous n’ests qu’un villain

Le compositeur Français Francis Poulenc (1899-1963):

  • Priez pour nous

Le compositeur français Darius Milhaud (1892-1974):

  • Carols

Laurent Voulzy chante:

  • Ma seule amour

Quelques écrits sur l’oeuvre de Charles d’Orléans

  • Pierre Champion : Le vie de Charles d’Orléans 1911
  • Pierre Champion : Charles d’Orléans. Poésies 1923-1927
  • Marcel Françon : Les refrains des rondeaux de Charles d’Orléans 1942
  • George Darby : Observations on the chronology of Charles d’Orléans 1943
  • Jean Tardieu : Charles d’Orléans. Choix de rondeaux 1947
  • George Defaux : Charles d’Orléans ou la poétique du secret…1972
  • Claudio Galderisi : Sui rondeaux di Charles d’Orléans. L’allegoria e il verso 1986
  • Jean-Claude mühletthaler : Charles d’Orléans. Ballades et rondeaux 1992
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